Des « boîtiers anti-attentats » dans 33 écoles primaires

Thoobee or not to be
Economie 13 min
Des « boîtiers anti-attentats » dans 33 écoles primaires
Crédits : Thoonsen

Après avoir doté ses 33 écoles maternelles et élémentaires de portillons sécurisés (pour contrôler qui peut entrer) et de barres de confinement (en cas d'intrusion), la ville de Châteauroux a équipé leurs 183 salles de classe de « boîtiers anti-attentats ». Ils pourront aussi servir à alerter la direction de problèmes avec des élèves ou parents. Coût de l'opération de « sécurisation » : 560 000 euros.

« Châteauroux : la Ville équipe ses écoles de boîtiers anti-attentats », titrait La Nouvelle République la semaine passée : après avoir « été testé dans trois groupes scolaires » l'an passé, « toutes les écoles de Châteauroux sont désormais équipées d’un système de sécurité pour les protéger de la menace terroriste ».

Ces « boîtiers noirs comprenant un bouton d’appel à l’aide et un autre pour demander le confinement » sont « directement reliés aux outils informatiques (smartphone, PC et tablettes) des policiers municipaux et nationaux ».

« Quand le bouton "confinement" est enclenché, on reçoit une alerte. On sait quelle école et quelle classe l’a lancée. L’objectif est de pouvoir intervenir le plus rapidement possible. La consigne est de commencer par créer un périmètre de sécurité autour de l’établissement concerné en attendant l’arrivée des unités spéciales de la police d’État. On ne pénètre pas nous-mêmes dans l’école sauf s’il y a des tirs », explique Franck Boyer, directeur de la sécurité publique municipale de Châteauroux.

« Des exercices seront pratiqués avec les enfants pour leur enseigner la marche à suivre en cas de déclenchement de l’alarme. Coût total de l’investissement (portails sécurisés et boîtiers) pour la collectivité : 1 M€ », concluait l'article.

Aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, l'expert en sécurité Bruce Schneier avait introduit l'expression de « comédie sécuritaire » pour désigner les mesures de sécurité destinées à donner au public une impression de sécurité sans pour autant améliorer réellement la sécurité.

Nous avons donc voulu comprendre de quoi il en retournait et découvert que le système n'aurait coûté que 560 000 euros, soit près de deux fois moins. Même si ça fait quand même un peu cher (1 400 euros) le « boîtier anti-attentat » ZigBee.

Une « solution globale de sécurisation »

Entreprise « spécialisée dans les solutions contre le vol à l'étalage », Thoonsen Trading, une PME castelroussine passée de 4 à 40 employés en 16 ans, décidait en 2016 de « diversifier son activité en développant une solution globale de sécurisation des employés et travailleurs isolés : le THOOBEE ».

« Je nous trouvais un peu trop focalisés sur les accessoires anti-vols. Le temps était venu de penser à de nouveaux débouchés », indique Jacky Thoonsen, son fondateur. Son site web précise que les Galeries Lafayette « souhaitaient une solution globale de sécurisation des magasins, sans fils et facile à installer » :

« Le THOOBEE permet de gérer des situations d'urgence dans un magasin : vols, incivilités, agressions... grâce à un simple bouton placé à la caisse l'hôtesse pourra appeler l'agent de sécurité qui sera averti par un message pré-établi sur son pager et saura tout de suite à quelle caisse intervenir. »

Thoobee Thoonsen

Le THOOBEE pourrait aussi améliorer le service client « avec la mise en place d'un bouton appel vendeur pour les vitrines fermées et un bouton d'appel cabine qui permet à la cliente en cabine d'essayage de contacter une vendeuse sans sortir de la cabine pour un changement de taille par exemple ».

« Plus de 66 % des salariés du commerce sont exposés quotidiennement aux incivilités ! », avance le fabriquant, pour qui sa « solution révolutionnaire et totalement dédiée est parfaite pour les travailleurs isolés ou lorsqu'un membre de votre personnel se trouve seul avec un client ».

Près d’un an et demi après le lancement de ce THOOBEE, Thoonsen fut contactée par un autre groupe de la grande distribution, explique La Nouvelle République, « pour lequel elle a mis au point un boîtier anti-incivilités incluant des systèmes de protection en cas d’attaque terroriste à l’intérieur et à l’extérieur du magasin » :

« Cette fois-ci, le boîtier devait, en plus de l’alerte, déclencher une action (faire clignoter les lumières du magasin pour indiquer au personnel la nécessité de confiner la clientèle ou, au contraire, activer un message sonore d’évacuation ; envoyer un message d’alerte sur le portable de chaque salarié). »

Des incivilités aux alertes attentats

Thoonsen, « qui se positionne parmi les leaders du département en matière d'innovation (1er déposant de brevets dans l'Indre catégorie PME depuis 2015 - source INPI) », se disait « fier », en juin 2020, sur Facebook, de compter « un nouveau brevet à son actif avec le système de boutons d'alerte THOOBEE ! »

Thoobee Thoonsen

La demande de brevet, déposée en juin 2015, portait sur une « installation de surveillance et/ou d’appel par borne d’appel dans un lieu de vente, sans toutefois y être limitée », et reposant sur le protocole ZigBee de communications sans fil à faible consommation :

« À titre nullement limitatif, l’installation de surveillance et/ou d’appel par borne d’appel de l’invention peut aussi être utilisée dans une maison de retraite, ou un lieu temporaire tel qu’un stand temporaire d’une foire, tout lieux nécessitant la surveillance ou l’appel de personnes en vue d’une action précise (ouverture d’une porte, conseil, livraison, réception etc...). »

Le post Facebook, lui, était accompagné de plusieurs hashtags : « #incivilité #alerte #attentat #travailleursisolés #commerces #écoles #administrations ».

Subrepticement, le bouton d'alerte qui avait initialement été pensé comme une « solution globale de sécurisation des magasins sans fils », destinée à lutter contre les « vols, incivilités, agressions... », était désormais présenté comme un système « d'alerte attentat ».

De l'entretien à la « sécurisation » des écoles primaires

« En collaboration avec l'inspecteur de l'Éducation nationale, la Ville de Châteauroux a souhaité mettre en place des dispositifs de sécurisation de ses établissements scolaires primaires » expliquait-elle fin 2017, suite aux vagues d'attentats de 2015. « Avec le concours des chefs d'établissement et d'officiers de police judiciaire il a été envisagé trois axes prioritaires qui ont fait l'objet d'une expérimentation » :

« Axe n°1 : renforcer la sécurisation de l'enceinte via la mise en place de visiophone sur le portail d'entrée.

Chaque établissement sera équipé d'un portail et d'un portillon piéton standardisé, d'un visiophone permettant un contrôle d'accès via un ou plusieurs récepteurs dans l'école et une possibilité d'ouverture grâce à un badge nominatif, d'une fermeture de porte automatique, et d'une gâche électrique ou d'une ventouse. »

Les visiophones permettront, en outre, « par l'intermédiaire d'une connexion à distance, une vidéosurveillance du domaine public au droit des portails ».

« Axe n°2 : fermeture des classes en cas d'intrusion.

En accord avec l'inspection académique, des barres anti-intrusion sur la porte d'entrée entre le couloir et la classe sont testées afin de permettre le confinement des enfants. »

L'objectif est de « permettre aux enseignants de barrer la porte en urgence sans avoir, dans la panique, à rechercher des clefs ou autres dispositifs ».

« Axe n°3 : alarme intrusion, déclenchement de l'alerte, moyen de communication entre enseignants (point actuellement à l'étude).

Une réflexion et une expérimentation sont actuellement à l'étude afin de permettre à un enseignant constatant une intrusion de déclencher l'alerte auprès de ses collègues. »

Deux solutions étaient alors envisagées : « mettre en place une installation d'alerte grâce à une sirène spécifique et des boutons d'alerte dans chacune des classes », ou « équiper chacun des enseignants d'un terminal numérique lui permettant par le réseau Wifi de déclencher l'alerte ».

560 000 euros, soit 17 000 euros par école ou 3 000 euros par classe

Le terme d'« attentats » n'était pas, cela dit, mentionné. Mais en août 2019, la ville de Châteauroux lançait un appel d'offres de « fourniture et pose de dispositifs d'alarme et d'alerte attentat », d'un montant maximum de 250 000 euros et dont l'objectif était de « mettre en place des moyens spécifiques pour chaque établissement afin de :

    • Permettre à chaque membre du personnel de l'établissement de déclencher le confinement ou l'évacuation
    • Diffuser l'alarme sonore dans l'école ou le bâtiment concerné
    • Transmettre l'alerte aux forces de l'ordre, la préfecture et toute personne désignée. »

En juillet 2020, le marché était attribué à Thoonsen, pour 240 000 euros. Au total, nous explique Roland Vrillon, maire adjoint de Châteauroux en charge des travaux, l'opération aura coûté 560 000 euros, soit 17 000 par école, ou 3 000 par classe : 290 000 pour le contrôle d'accès (soit 9 000 par école), 20 000 pour les barres de confinement (faites par la régie de la ville) et 250 000 pour les boitiers d'alerte (soit 7 500 par école, et 1 400 par classe).

« On est très content et on va le décliner dans les trois crèches publiques de la ville et dans le centre aéré », précise l'adjoint au maire :

« On a développé ça sur trois années en étroite concertation avec le corps enseignant, on a aussi fait des tests grandeur nature du boîtier d'alerte sur un trimestre dans trois écoles aux configurations différentes pour trouver la technologie et l'entreprise. On a aussi travaillé avec l'inspection académique et les enseignants pour que ça ne soit pas une usine à gaz, et que ce soit accepté et approprié par le corps enseignant. »

« Les écoles sécurisées face aux attentats »

En novembre 2020, Thoonsen partageait, toujours sur Facebook, une capture d'écran d'un article paru dans le n°30 de Chateauroux Métropole, le mensuel de l'agglomération, intitulé « Les écoles sécurisées face aux attentats », accolé aux hashtags « #alerte #attentat #incivilités #sécurité #sansfil #écoles ».

On y apprenait que la technologie des Thoobee®, « créée pour les grandes surfaces a été adaptée aux contraintes du milieu scolaire en partenariat avec la ville de Châteauroux Métropole » afin d’« apporter plus de sérénité aux enseignants dans les classes équipées ».

L'article précisait également que « des visiophones à l’entrée des établissements ont d’abord été installés en 2018, avant que des barres anti-intrusion ne le soient également, dans les salles de classe cette fois-ci ».

Thoobee Thoonsen

En 2017, un article de La Nouvelle République précisait que « cet équipement est installé dans le cadre de la sécurisation des établissements scolaires, dont le coût total pour la municipalité est de 250.000 € ».

L'article de Chateauroux Métropole expliquait pour sa part que « la Ville entre dans la troisième et dernière étape avec la mise en place d’un système d’alerte attentat » :

« Comme c’est le cas pour l’alarme incendie, chaque classe disposera d’un déclencheur afin d’avertir l’ensemble des personnels d’une menace. L’information arrive également jusque dans les services de la police municipale et nationale. »

« Un budget annuel de 100 000 euros sur une période de trois ans a ainsi été alloué par la Ville » pour équiper l'ensemble des salles des 33 écoles castelroussines.

ThooKnow pour les problèmes avec un élève ou un parent

En janvier 2021, Thoonsen publiait sur YouTube une vidéo intitulée « PPMS - Plan Particulier de Mise en Sureté dans les écoles ». Il y expliquait que son « dispositif d'alerte THOOBEE » sans fil était doté d'un « protocole sécurisé jusqu'à 100 m », d'une « fonction aide pour lutter contre les incivilités subies par les enseignants », d'un « afficheur ThooKnow dans le bureau du directeur » et de sirènes dans le couloir.

 

« En cas de danger » (en l'espèce, un individu vêtu en noir – lunettes comprises – arborant un fusil semi-automatique et s'approchant de la fenêtre ouverte), « l'enseignant pourra appuyer sur ce dispositif pour déclencher une alarme selon les protocoles établis ».

Dans la vidéo, le boîtier THOOBEE est doté de trois boutons (confinement, évacuation et aide, plus les numéros de téléphone de police secours, de la police municipale et des urgences), le ThooKnow du directeur 6 : évacuation, confinement, police, validation, direction et aide.

L'adjoint au maire nous précise que chaque école dispose de deux pupitres ThooKnow, pour le directeur et son adjoint, qu'ils sont mobiles, et que chaque école a en outre été dotée de deux boutons THOOBEE mobiles supplémentaires.

« On a proposé au moins cinq versions de boîtiers. C’est celle comprenant une double fonction, en cas d’incivilité et d’attentat, qui a été retenue », explique à la Nouvelle République Valentin Gaumet, ingénieur chez Thoonsen. Le bouton rouge, « confinement », est réservé aux attaques terroristes.

Relié à une boîte 4G, il provoque l’intervention des secours via des SMS et mails d’alertes à la police qui reçoit, en outre, un plan de l’école concernée pour intervenir.

Le second bouton, « aide », ne déclenche pas de secours extérieurs à l’école. Il alerte « uniquement le directeur d’un problème en cours avec un élève ou un parent » : « Dans les faits, il a déjà servi plusieurs fois. Ce qui permet au passage de vérifier le bon fonctionnement du système et de s’assurer qu’il reste opérationnel si un danger plus important doit survenir… »

Les boîtiers représenteraient déjà 10 % du chiffre d’affaires de Thoonsen. « Une part qui pourrait bien progresser rapidement », conclut La Nouvelle République : « Nous avons déjà été contactés par une préfecture, séduite par le concept. On espère intéresser aussi d’autres communes à qui nous allons présenter notre boîtier lors du prochain congrès des maires de France. »

« Tu crois que la maîtresse arrivera à nous sauver tous ? »

Un directeur d'école qui avait testé le système expliquait à France Bleu Châteauroux que « lorsque l'on appuie sur ce bouton "confinement", une alarme spécifique retentit dans les différents bâtiments et le système s'enclenche, c'est-à-dire qu'on verrouille les portes, on s'allonge sous les tables, on se met en situation d'intrusion éventuelle ».

L'adjoint au maire nous précise que « lorsqu'il y a déclenchement d'un confinement, c'est toute l'école qui est confinée : l'enseignant n'a rien d'autre à faire que baisser la barre et s'occuper des enfants ».

Le signal est renvoyé, en temps réel, à l'inspection académique et à la police municipale, avec l'adresse de l'école et la localisation de la salle d'où a été envoyée l'alerte, afin qu'elle se rende sur place, lève le doute ou appelle la police nationale. Le directeur dispose lui d'un troisième bouton « évacuation », mais « il ne peut l'utiliser que sur l'ordre des policiers ».

« Le premier rôle de ce dispositif est de minimiser au maximum les risques d'attentat et d'attaque », expliquait Brice Tayon, maire adjoint chargé de la sécurité à Châteauroux.

Le directeur d'école précisait ne l'avoir utilisé qu'une seule fois, « lors d'un exercice avec les enseignants et les enfants. Certains petits en ont gardé un mauvais souvenir, comme la fille de Myriam, âgée de 5 ans », relevait France Bleu : « Pour la rassurer, elle lui a dit "on est dans un monde où malheureusement il faut se méfier et mieux vaut se préparer". "Elle m'a dit que ça lui faisait peur et m'a demandé tu crois que la maîtresse arrivera à nous sauver tous s'il arrive quelque chose", se souvient Myriam. »

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