Le DSA à la française sauvé par des coups de fil de l’Élysée à Prague

Le DSA à la française sauvé par des coups de fil de l’Élysée à Prague

La Prague aux doigts

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Marc Rees

Publié dans

Droit

07/09/2021 7 minutes
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Le DSA à la française sauvé par des coups de fil de l’Élysée à Prague

Lors d’un échange au Bled Strategic Forum, Petr Očko, secrétaire d’État tchèque en charge du numérique, a décrit comment la France avait fait pression sur son pays pour sauver le calendrier du projet de loi Séparatisme. Explications.  

Le projet de loi Séparatisme a été publié au Journal officiel le 25 août dernier. Au menu, notamment, de nouvelles obligations dites de « moyens » pesant sur les épaules des plateformes.

Les opérateurs de ces services de mise en relation, du moins ceux dépassant un seuil défini par décret, devront en effet adopter une série de mesure afin de mieux lutter contre l’apologie des crimes, les provocations à la « discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », le harcèlement sexuel, la traite d’êtres humains, le proxénétisme, la pédopornographie, l’apologie ou provocation au terrorisme ou encore le fait de donner accès aux mineurs à des messages violents ou pornographiques. Pour cela, les plateformes devront :

  1. Mettre en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant :
    1. D’informer, dans les meilleurs délais, les autorités judiciaires ou administratives des actions qu’ils ont mises en œuvre à la suite des injonctions reçues
    2. D’accuser réception sans délai des demandes des autorités judiciaires ou administratives tendant à l’identification des utilisateurs
    3. De conserver temporairement les contenus signalés qu’ils ont retirés
  • Désigner un point de contact unique
  • Mettre à la disposition du public, de façon facilement accessible, leurs CGU où « ils y décrivent en termes clairs et précis leur dispositif de modération visant à détecter, le cas échéant, à identifier et à traiter ces contenus, en détaillant les procédures et les moyens humains ou automatisés employés à cet effet ainsi que les mesures qu’ils mettent en œuvre affectant la disponibilité, la visibilité et l’accessibilité de ces contenus »
  • Rendre compte au public des moyens mis en œuvre et des mesures adoptées pour lutter contre la diffusion des contenus haineux
  • Mettre en place des dispositifs d’alertes
  • Mettre en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant
    1. D’accuser réception sans délai des notifications visant au retrait d’un contenu
    2. De garantir l’examen approprié de ces notifications dans un prompt délai
    3. D’informer leur auteur des suites qui y sont données
    4. D’en informer l’utilisateur à l’origine de sa publication, si ces acteurs décident de retirer (même si le contenu est pédopornographique ou terroriste…). Les raisons sont données et il est informé des voies de recours
  • Mettre en œuvre des dispositifs de recours interne permettant de contester les décisions relatives aux contenus (retrait ou non)
  • Exposer dans leurs conditions d’utilisation, en des termes clairs et précis, ces procédures de retrait, pouvant conduire à des résiliations de compte pour les cas les plus graves (car répétés)
  • Pour les acteurs dépassant un seuil de connexion, évaluer les risques systémiques liés à leurs services. Ils devront mettre en place des mesures destinées à atténuer les risques de diffusion des contenus illicites rattachés à la liste.
  • Rendre compte au CSA des procédures et moyens

Et pour cause, le CSA gagne pour l’occasion de nouvelles compétences pour jauger ces obligations et même sanctionner les intermédiaires qui ne se conformeraient pas à ses mises en demeure.

À la clef ? Une amende portée jusqu’à 20 millions d’euros ou 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent (le montant le plus élevé étant retenu).

Les observations de la Commission, l'avis circonstancié de Prague

Ce texte sera applicable en principe jusqu’au 31 décembre 2023, le temps que le chantier du règlement Digital Services Act (DSA) aboutisse.

Préalablement à cette publication au Journal officiel, la députée Laetitia Avia n’avait pu s’empêcher d’affirmer que le Conseil constitutionnel avait « validé » l’ensemble des mesures contre la haine en ligne. En réalité les neuf sages n’ont pas examiné ces dispositions, qui restent donc sous la menace d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Le principal danger n’était toutefois pas rue de Montpensier, mais… à Bruxelles. Petr Očko, secrétaire d’État tchèque en charge du numérique, a en effet rappelé dans cette vidéo que la République Tchèque était le seul État membre à avoir adressé un « avis circonstancié » à l’encontre du projet de loi Séparatisme défendu par la France.

En clair ? Paris avait dû notifier ce texte à la Commission européenne afin de l’informer de sa volonté de créer ces nouvelles obligations à l’égard de l’ensemble des plateformes, même celles situées dans un autre État membre.

Des obligations présentées comme une prétranscription du projet DSA, mais qui viennent en réalité s’écarter de la directive sur le commerce électronique de 2000, pour l’heure toujours en vigueur.

Sans grande surprise, la Commission européenne a déjà adressé une série de remarques à la France, au fil d’ « observations ». Révélée dans nos colonnes, elles pointent plusieurs risques de contrariétés à ce droit existant. Des remarques restées sans effet puisque le véhicule des « observations » se limite à une simple opinion non contraignante.

L'avis circonstancié est beaucoup plus musclé puisqu’il a pour effet de prolonger cette procédure européenne d'un mois supplémentaire (soit quatre mois en tout), obligeant au surplus le pays à l’index de s’expliquer sur les mesures qu’il entend prendre pour répondre à ces critiques.

Le dernier jour de la procédure de notification toutefois, Prague a retiré ce document révélé par Contexte, permettant donc à la France de publier la loi le 25 août sans encombre.

Le bonheur, simple comme un coup de fil

Depuis le Bled Strategic Forum, Petr Očko a affirmé que son pays, avant de retirer son avis, avait « reçu de nombreux appels du cabinet d’Emmanuel Macron ». Un témoignage non voilé des pressions françaises sur cet autre État membre, confirmant les informations de nos confrères.

En ce début septembre, le secrétaire d’État n’a pu s’empêcher néanmoins de considérer que le texte français viole la directive e-commerce. Cette directive est en effet fondée sur le principe du pays d’origine (où l’on applique la loi du pays où le prestataire fournit le service), et non le principe du pays de destination sur lequel repose le texte français. On imagine sans mal le morcellement de l’UE si chaque pays se met à adopter ses propres normes pour frapper l’ensemble des acteurs en Europe, plaçant les plateformes sous une lourde insécurité juridique.

Écrit par Marc Rees

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Sommaire de l'article

Introduction

Les observations de la Commission, l'avis circonstancié de Prague

Le bonheur, simple comme un coup de fil

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Commentaires (18)


Franchement, faire pression à l’intérieur de l’Europe pour mettre en œuvre des protocoles fumés… On a pas besoin de cette belle image de “biiiiiiip” …



Sinon, sérieusement, le BLED strategic forum ! :roule:


Tous les pays font pression les uns sur les autres. L’Europe ça fonctionne à coup de “je vote pour ton project xxx mais en échange tu votes pour mon projet yyy”. Je n’ai pas le moindre doute que c’est un accord similaire qui a été passé ici.


Comme quoi la France sait défendre ses intérêts a l’UE, mais pas ceux de ces citoyens bizarrement…



Pas de politique juste un constat : les politiques (même Manu) nous dissent souvent “c’est la faute de l’Europe” mais sans essayer de négocier.



Parcontre là comme par hasard ça y vas à fond.



Ça sens l’usage de cette loi a but politique dans le cadre des élections de 2022…


Macron dit rarement “c’est la faute de l’Europe”…
Après je ne commente pas la politique, mais je ne l’ai très rarement entendu dire ça. Au contraire. Il est un peu à part sur ce plan là.


Comme quoi le diable s’habille en Prag-da :pastaper:



On imagine sans mal le morcellement de l’UE si chaque pays […]




c’est pourtant facile, il suffirait pour les autres pays d’adopter la seule législation qui vaille : la législation française !




Envol a dit:


Comme quoi la France sait défendre ses intérêts a l’UE, mais pas ceux de ces citoyens bizarrement…



Pas de politique juste un constat : les politiques (même Manu) nous dissent souvent “c’est la faute de l’Europe” mais sans essayer de négocier.



Parcontre là comme par hasard ça y vas à fond.



Ça sens l’usage de cette loi a but politique dans le cadre des élections de 2022…




La France sait parfaitement défendre ses intérêts à l’UE, même si on peut supposer qu’ele y choisit ses combats. L’excuse des politiques qui aiment mettre les mesures impopulaires sur le dos de l’Europe n’est que ça : une excuse de politiques qui refusent d’assumer leurs choix et ont trouvé ce prétexte bidon.



Le plus fort, c’est qu’après s’être défaussé sur l’UE ils se demandent pourquoi le peuple vote contre elle :roll:



anagrys a dit:



Le plus fort, c’est qu’après s’être défaussé sur l’UE ils se demandent pourquoi le peuple vote contre elle :roll:




Quel peuple ?



(quote:1895155:dvr-x)
Quel peuple ?




Une bonne partie déjà la Belgique une grosse partie de la population était contre, mais il l’ont fait sans demandé notre avis.



La France il ont demandé votre avis mais suite au NON il l’ont quand meme fait.



Donc quand on voit que deux des pays fondateur l’ont fait sans l’accord de leur population ca en dit long.


Ca reste des suppositions. C’est comme si on disait que la France est contre le pass vaccinale parce qu’il y a des manifestions le weekend. Ce n’est pas représentatif du peuple, mais juste de personnes partageant une idée/conviction commune. Il faudrait des sondages précis pour étayer ton propos et encore, un sondage n’est pas un vote.



Pour le référendum, c’était il y a bien longtemps, dans un contexte différent, avec des générations qui ont une vision différente également.



Aujourd’hui, le peuple ne votre contre rien, et pour rien non plus d’ailleurs…
D’ailleurs le seul partie qui portait l’idée de la sortie de l’UE l’a abandonné depuis 2017 je crois, justement parce que ca ne plaisait pas à son électorat (je pense que tu vois lequel…)



(quote:1895265:dvr-x)
Ca reste des suppositions.




Un referendum officiel, ce sont des suppositions maintenant?



(reply:1895140:J. N. Squire)




En Pravda. :cap:



Patch a dit:


Un referendum officiel, ce sont des suppositions maintenant?




Après la première lignes, il y a d’autres lignes en dessous.



(quote:1895408:dvr-x)
Après la première lignes, il y a d’autres lignes en dessous.




Ce qui ne change absolument rien au fait que ce ne sont pas des suppositions, contrairement à tes croyances et tes propres suppositions.


Ok, donc un referendum qui a plus de 15 ans aurait le même résultat aujourd’hui, ca va de soit. On se demande pourquoi on s’embête à faire des élections si souvent si tout est si figé.
Merci de tes lumières :)



(quote:1895445:dvr-x)
Ok, donc un referendum qui a plus de 15 ans aurait le même résultat aujourd’hui, ca va de soit. On se demande pourquoi on s’embête à faire des élections si souvent si tout est si figé. Merci de tes lumières :)




Certaines lois ont été votées il y a plusieurs centaines d’années et sont toujours en vigueur. Ce n’est pas parce que ca n’a pas été fait il y a 2 mois que ca ne vaut plus rien ¯_(ツ)_/¯


Un referendum n’est pas une loi.


Il est certain qu’avec toutes ces leds les lumières restent allumées… :D


On fait pression sur les voisins, par contre la Chine c’est “open bar” en France