Suite à l'autorisation donnée par l'ARCEP à Bouygues Telecom d'utiliser ses fréquences 1800 MHz (2G) pour vendre de la 4G à partir du 1er octobre 2013, les réactions d'Orange et de SFR ont été on ne peut plus amères. Pourtant, ces deux opérateurs peuvent aussi demander à l'ARCEP d'exploiter leurs fréquences 1800 MHz pour le LTE, mais des différences fondamentales existent entre eux et Bouygues Telecom.
« Une rupture de l'égalité entre opérateurs »
Cette décision « crée un nouveau choc sur un marché déjà fortement déstabilisé ». Le gouvernement et l'ARCEP ont « méconnu le principe de confiance légitime ». Il s'agit d'une « rupture de l'égalité entre opérateurs. (...) La décision du régulateur modifie substantiellement le cadre concurrentiel et économique dans lequel nous nous inscrivions lors de la formulation de notre offre financière pour obtenir les fréquences de 2,6 GHz et 800 MHz. »
Les réactions d'Orange et SFR sont donc particulièrement négatives vis-à-vis de la décision de l'ARCEP. Mais concrètement, pourquoi ces deux opérateurs sont-ils si hostiles au « refarming » et à la neutralité de ces fréquences avant leur date officielle, c'est-à-dire en 2016 ?
Comme vous pouvez le voir dans les réactions ci-dessus, les opérateurs les plus importants du pays estiment que l'Autorité de régulation des télécoms a faussé le marché en ne précisant pas à l'avance une telle possibilité. Ils sous-entendent ainsi que si une telle précision avait été faite au préalable, ils n'auraient pas dépensé plus d'un milliard d'euros pour les bandes de 800 MHz et de 2,6 GHz.
Rappelons en effet les dépenses des quatre opérateurs uniquement pour ces deux bandes de fréquences :
- SFR : 1,215 milliard d’euros (dont 1,065 milliard d’euros pour la bande 800 MHz)
- Orange : 1,178 milliard d’euros (dont 891 millions d’euros pour la bande 800 MHz)
- Bouygues Télécom : 911 millions d’euros (dont 683 millions d’euros pour la bande 800 MHz)
- Free Mobile : 271 millions d’euros (dont 0 euro pour la bande 800 MHz)
SFR et Orange « subissent les conséquences » de leur stratégie
« Les motifs pour lesquels SFR et Orange ne peuvent pas utiliser cette bande 1800 MHz pour y faire de la 4G sont des motifs qui résultent du choix de ces opérateurs. Ils ont choisi, par une stratégie industrielle que je ne critique pas, que je me borne à constater, d'utiliser leur bande 1800 MHz pour faire autre chose. Aujourd’hui, ils en subissent le cas échéant les conséquences, je peux entendre cela, mais franchement nous n’y sommes pour rien ! »
En 2016 au plus tard, Free disposera de 15 MHz duplex sur les fréquences 1800 MHz.
Concrètement, si Bouygues accepte la décision de l'ARCEP (ce qui fait peu de doutes), il devra reverser une partie de ses fréquences 1800 MHz à Free Mobile afin d'être à égalité avec Orange et SFR. En somme, les trois opérateurs disposeront des mêmes fréquences 1800 MHz. Sauf que de nombreuses différences séparent ces opérateurs.
Les clients 2G bien plus nombreux chez la concurrence
Tout d'abord, Bouygues compte 11,25 millions de clients, contre 20,69 millions pour SFR (84 % de plus) et 27,19 millions pour Orange (141 % de plus). Or près de la moitié de ces clients ont de vieux téléphones compatibles 2G. En somme, SFR et Orange ont des millions de clients 2G à encore gérer. Rajoutez à cela qu'Orange doit aussi gérer de nombreux clients de Free abonnés au forfait à 2 euros, soit entre 2 et 3 millions supplémentaires. L'opérateur historique doit donc gérer trois fois plus de clients 2G que Bouygues Telecom, et SFR environ deux fois plus.
Sur quelles fréquences passent donc ces clients dits 2G (GSM) ? Initialement, les opérateurs disposent des fréquences 1800 MHz pour un tel usage, mais aussi des fréquences 900 MHz. Toutefois, comme le rappelle très bien ce document de l'ARCEP datant de 2008, les fréquences 900 MHz sont de plus en plus utilisées pour faire passer de la 3G (UMTS), complétant ainsi la bande 2,1 GHz.
Selon le dernier bilan de l'Agence Nationale des Fréquences (ANFR), la 3G par les fréquences 900 MHz concerne 8306 supports et 9333 antennes au 1er mars 2013, soit grossièrement quatre fois moins d'antennes et trois fois moins de pylônes que pour la 3G via des fréquences de 2,1 GHz. Toutefois, la part du 900 MHz pour la 3G ne cesse de progresser, en grande partie du fait de Free Mobile il est vrai. Et SFR a surtout deux fois plus d'antennes 3G en 900 MHz que Bouygues et Orange. On comprend dès lors mieux pourquoi la concurrence apprécie peu cette autorisation accordée à Bouygues. Bref, pour la 2G, les opérateurs doivent particulièrement compter sur les fréquences 1800 MHz, la bande 900 MHz étant en partie dédiée à la 3G.
Si à moyen terme, la 2G disparaitra totalement, la voix passant exclusivement par la 3G et les données par la 4G, il n'en reste pas moins que d'ici ces prochaines années, il faudra encore gérer des millions d'abonnés purement GSM via les fréquences 1800 MHz ; et SFR et Orange bien plus que Bouygues. Et preuve que la 2G a une réelle importance encore aujourd'hui, Free Mobile pourrait bien exploiter les fréquences 1800 MHz cédées par Bouygues pour faire de la 2G non de la 3G ni même de la 4G, tout du moins dans un premier temps.
Un avantage évident pour Bouygues
Finalement, Bouygues est donc plus susceptible que les autres opérateurs à exploiter ses fréquences 1800 MHz pour la 4G. Et nous parlons tout de même d'une possible couverture LTE de 30 voire 40 % de la population dès fin 2013, alors que les obligations de l'ARCEP imposent une couverture de 25 % fin 2015, 60 % fin 2019 et 75 % fin 2023. Grâce à ses fréquences de 800 MHz, 1800 MHz et de 2,6 GHz, Bouygues pourrait donc atteindre une couverture de 50 % de la population en un rien de temps. Un taux de couverture qui sera bien difficile à atteindre pour Orange et SFR, malgré leur avance actuelle.
Nous en aurons le cœur net dès l'été ou l'automne 2013 lorsque Bouygues annoncera les villes couvertes par son réseau LTE. Notez que si Bouygues est en attente du décret gouvernemental pour savoir précisément quelle sera la redevance annuelle qu'il devra payer pour exploiter ces fréquences 1800 MHz pour la 4G. Cela pourrait dépasser les 60 millions d'euros, soit plus de 180 millions sur trois ans.