HubiC devient Shadow SAS, veut réenchanter et faire décoller sa fusée

5 000 nouveaux clients à bord
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HubiC devient Shadow SAS, veut réenchanter et faire décoller sa fusée
Crédits : Alexyz3d/iStock

Un peu plus de trois mois après la reprise de Blade par HubiC, la nouvelle équipe relance la machine : 5 000 nouveaux clients peuvent s'abonner sans délai ou presque. Une annonce qui, comme souvent, cache de nombreux détails. Retour sur un trimestre agité et les plans à venir de Shadow... SAS.

Cela fait maintenant près de cinq ans que nous suivons l'aventure de Shadow, un service de cloud computing dont l'histoire n'a pas toujours été simple. Ouvert à ses premiers clients fin 2016, il a très vite évolué avec un objectif en tête : atteindre 100 000 clients. Il s'est rapidement associé à Orange et LDLC en France, Proximus en Belgique, Charter outre-Atlantique, et s'est lancé dans de nombreux pays. Tout allait alors bien pour la startup Blade.

Blade : la folie dure trois ans

Au point que début 2018, elle attaquait une première migration, remplaçant les GeForce GTX 1070 de l'époque par des GTX 1080 puis des Quadro P5000 avec son partenaire d'alors,  2CRSi. Une manière de « rentrer dans le rang » face aux règles de NVIDIA : pas de GeForce dans des serveurs et des datacenters.

À l'époque, le service est commercialisé par vagues, les premiers clients ayant même droit à leurs petits noms selon le mois de leur premier abonnement (early birds, martiens, juntos). Tout ne se passe pas toujours comme prévu, les retards se multiplient, tout comme les annonces déçues. Mais les choses avancent et l'équipe a bon espoir qu'avec le temps, elle pourra mieux s'organiser.

D'une certaine manière, c'est ce qui arrive à partir de 2019... et là que tout commence à partir en vrille. Emmanuel Freund, l'un des co-fondateurs et CEO de l'entreprise, rencontre Octave Klaba. Ils travaillent ensemble au « projet Dark » et définissent avec les équipes d'OVHcloud une nouvelle manière de travailler, l'hébergeur devant désormais porter tout l'investissement dans les infrastructures et Blade se concentrer sur leur commercialisation et les opérations courantes. L'annonce est faite en octobre à l'occasion d'une conférence de presse au siège de Blade.

Les actionnaires avaient auparavant nommé Jérôme Arnaud à la tête de l'entreprise, Freund devant se concentrer sur des questions plus stratégiques. En coulisses, les relations avec « le board » étaient déjà tendues. Il fallait que Blade passe la seconde face à la concurrence croissante et multiplie les clients comme des petits pains.

« Nouvelle offre » : la promo (et les mensonges) de trop

Là encore, tout ne s'est pas passé comme prévu. Le projet prend du retard, la signature de l'accord avec OVHcloud s'embourbe dans des questions tarifaires. Le roubaisien considère que la baisse de prix annoncée est mortifère, il impose donc des garanties (financières) fortes. L'alternative proposée est de revenir à des tarifs plus classiques, auquel cas la confiance en l'avenir (rentable) de Blade lui permet de réduire ces montants. 

Mais la guerre d'actionnaires qui fait rage prend le dessus : les tarifs resteront bas. 2CRSi arrive avec la promesse de nouvelles machines en leasing pour tenir les tarifs, au risque d'un léger retard. Vous connaissez la suite.

Fin janvier 2020, Jérôme Arnaud annonce que la nouvelle offre n'est pas prête et ment sur les raisons réelles, évoquant des soucis matériels et les difficultés d'approvisionnement. Comme nous l'avions révélé à l'époque, c'était bien la décision à la dernière minute de ne plus se reposer sur OVHcloud qui en était la raison principale. Néanmoins, les tarifs baissent pour nombre de clients, réduisant d'autant les ressources de l'entreprise.

Quelques mois plus tard, le bilan est lourd : les nouvelles configurations n'ont pas été commercialisées, la crise sanitaire est venue s'ajouter à tous les problèmes de Blade qui, ironie de l'histoire, rencontre un succès fou. Son client logiciel, véritable produit principal, ne cesse de s'améliorer. Mais en quelques mois, c'est la dégringolade.

Un nouveau CEO (Cyrille Even) est nommé puis remplacé presque aussitôt. Au point que l'équipe de communication de Shadow faisait comme s'il n'avait pas existé lorsque nous l'interrogions à ce sujet. Il est remplacé à la rentrée 2020 par le duo Mike Fischer (CEO) et Jean-Baptiste Kempf (CTO).

Ils ont alors pour objectif de relancer la machine, à une époque où de nombreux employés quittent ou ont quitté l'entreprise. Il fallait continuer à faire évoluer le logiciel, repenser l'offre matérielle et organiser une nouvelle levée de fonds. Le tout alors que les tarifs sont toujours au plus bas.

Car pour se financer, Blade devait trouver constamment de nouveaux actionnaires pour « mettre au pot », par dizaines de millions d'euros à chaque fois. Cette tentative aura été celle de trop. La levée de fonds capote. Dès la fin 2020, la direction sait que l'entreprise va dans le mur. Nous enquêtions alors sur les suites qui seraient données, apprenant qu'un redressement judiciaire avait été décidé.

Blade devient HubiC puis ... Shadow SAS

Nous avions alors attendu son annonce aux salariés pour l'évoquer publiquement, le mardi 2 mars à 18h. Déjà à l'époque, Octave Klaba travaillait à une éventuelle reprise à travers la société HubiC. Pour lui non plus, ce ne fut pas un parcours de santé. Il dut faire face à des offres concurrentes, dont une d'employés menés par Jean-Baptiste Kempf, qui se sont associés ensuite à Scaleway (Iliad). Mais il l'a finalement emporté.

Depuis, des décisions ont été prises, tant pour l'organisation interne que les tarifs qui ont augmenté. Plusieurs recrutements sont en cours, notamment pour remplacer des salariés sur le départ. Les activations ont redémarré, les grandes lignes ont été dessinées avec un objectif de retour rapide à la rentabilité.

Car si pour le moment le minage met du beurre dans les épinards, l'équipe est consciente que son avenir passe par un retour à plus de 100 000 clients et l'arrivée de nouvelles offres. Pour parvenir à « faire décoller la fusée », il faut faire les choses dans l'ordre, nous confiait en fin de semaine dernière Eric Sèle, le nouveau patron.

Lors d'un entretien, il est revenu pour nous sur les projets de Shadow SAS. Car oui, l'utilisation du véhicule HubiC n'était que temporaire. L'équipe a longuement cherché un nouveau nom, en avait trouvé un et même acheté les noms de domaine... avant de revenir sur sa décision : Shadow reste Shadow. Le changement est intervenu cet été.

Dans un communiqué qui vient d'être publié, l'entreprise annonce également qu'elle s'ouvrira à 5 000 nouvelles commandes dès 14h, elles seront livrées dans les trois jours. Un « test pilote » qui doit marquer le début de la reprise en main concrète du service. Mais la route est encore longue.

Des débuts difficiles

D'Éric Sèle, nous ne savions rien il y a encore quelques mois. Les employés de Shadow qui nous confiaient leurs premières impressions étaient plutôt positifs, décrivant un homme posé, sympathique, prenant de bonnes décisions. Au risque de voir Octave Klaba occuper tout l'espace ? Sèle voit plutôt leur relation comme un duo, tel que celui mis en place chez OVHcloud avec Michel Paulin. Une sorte d'équilibre.

Les deux hommes se parlent ainsi régulièrement, mais les premiers mois, tout n'a pas été facile. Les relations en internes étaient tendues par la situation vécue ces dernières années et les tensions de la période du redressement. La carte de l'apaisement n'a pas toujours été jouée.

Outre les annonces de Klaba sur Twitter – pas toujours précédées d'une communication interne – les premiers échanges entre les salariés et la nouvelle équipe n'ont pas été simples. Ceux en charge de l'infrastructure ont notamment mal vécu l'annonce faite dès le départ : OVHcloud prend le relais.

Les employés pouvaient ainsi participer à la transition, postuler chez l'hébergeur, mais sans garantie aucune. Nombreux ont été ceux à partir, sans même demander une rupture conventionnelle. L'équipe s'est réduite comme peau de chagrin, alors que la tâche était monstrueuse puisqu'il fallait transférer les serveurs des datacenters actuels au sein de l'infrastructure d'OVHcloud. 

Le tout avec une contrainte supplémentaire : les premières installations de Shadow sont peu documentées. Au défi technique s'ajoute un travail d'enquête et de reconstitution digne d'un Sherlock Holmes.

Lors de notre entretien, Sèle confesse que des erreurs ont pu être commises au début. Il évoque aussi les efforts faits par la nouvelle direction, réels selon nos propres informations : des salaires revus à la hausse, certains se sont vu proposer des « retention package » s'ils acceptaient de mener leur mission jusqu'à leur terme. Dans ce genre de situation, le bateau tangue, la priorité était donc de le stabiliser.

Remettre Shadow dans la lumière

C'est d'ailleurs le premier étage de la « fusée » évoquée par Sèle, qui dit n'avoir jamais mené autant de sujets de front que depuis les débuts de son aventure Shadow. L'homme est pourtant un habitué du monde des télécoms, de l'infrastructure et des défis. Il a passé 5 ans chez Lucent, 10 chez Ciena, puis 4 à tenter de faire sortir la startup eBlink et son Wireless FrontHaul de terre dans le domaine des stations de base pour la téléphonie mobile. 

S'il n'y est pas parvenu, il a depuis mené des missions, notamment pour e.SNCF, avant d'être contacté par Octave Klaba à la reprise de Shadow. Les deux hommes se connaissaient de longue date. 

Sèle se veut pragmatique, avec un plan en tête. Pendant l'entretien, il a d'ailleurs répondu à l'ensemble de nos questions, sans chercher à nier ou contourner les interrogations sur des situations parfois difficiles. Une attitude de patron responsable en somme, qui dénote par rapport aux pratiques passées de l'entreprise, qu'il faut apaiser.

Il n'est donc plus question de placer un laser sur une île, mais bien de revoir tous les fondamentaux de Shadow. Ainsi, la marque va avoir droit à un nouveau logo et de nouveaux messages. Si nous étions soulagés de voir le nom HubiC disparaître (tant son passif est négatif), nous étions étonnés de le voir remplacé par Shadow.

La marque s'est construite presque exclusivement autour des joueurs, mais veut aujourd'hui séduire un public plus large, dont les entreprises. Interrogés, Eric Sèle et Yannis Weinbach (en charge du B2C) nous ont indiqué que ce choix avait été fait notamment parce que la marque était connue dans de nombreux pays, identifiée comme un service de cloud computing et qu'il était sans doute plus facile de la repositionner que de repartir de zéro. La nouvelle stratégie doit être déployée avant la fin de l'année.

Contrat OVHcloud, système informatique et souveraineté

Autre défi de cette fin d'été : définir le contrat cadre avec OVHcloud. En effet, l'hébergeur est désormais le prestataire de Shadow, qui lui louera ses serveurs pour un tarif fixé à l'avance. Son montant n'a rien de préférentiel, puisque le fait qu'Octave Klaba soit actionnaire ne doit pas interférer dans ces sujets. 

OVHcloud s'apprête d'ailleurs à être scrutée de près, l'entreprise préparant son entrée en bourse. Tout doit donc être carré. Bien entendu, une remise « volume » est accordée, sans être différente de celle qui serait proposée à une autre société équivalente, nous indique Sèle. Le contrat doit être finalisé dans les jours à venir.

Shadow vient d'accueillir un nouveau « CFO » (directeur financier), Pascal Magne, et s'attaque à un autre grand chantier : revoir son système d'information (SI), soit l'ensemble des outils qui lui permettent de gérer sa base de clients, son support, la facturation, etc. La refonte des tarifs a été l'occasion d'une simplification, mais il faut désormais passer en revue les outils accumulés au fil du temps, avec le besoin de souveraineté en tête.

Car la société a vocation à devenir une alternative européenne dans le domaine du cloud computing et des services, non soumise au Cloud Act et autres lois du genre. Il ne faudrait pas que son système d'informations le soit. Mais actuellement, ses mails sont chez Google et nombre des services SaaS utilisés sont américains. Cela doit changer.

Sèle a conscience que ce travail se fera sur le long cours, en même temps que la refonte progressive. L'objectif est cependant fixé, c'est le deuxième étage de sa fusée. Viendra ensuite le troisième étage pour enfin décoller à travers la mise en place de nouvelles verticales et services. C'est notamment le travail de Bruno Pennes que d'imaginer ces « nouveaux marchés », dont celui des entreprises (B2B). Mais tout reste à faire.

Le service de stockage né de la reprise d'HubiC par Klaba l'année dernière est l'un d'entre eux. Il servira d'ailleurs de plateforme d'essai pour le nouveau SI lorsqu'il sera en place. Il devra en effet accueillir le million d'utilisateurs que compte encore la solution à l'heure actuelle. Autant de clients potentiels pour la suite de l'aventure Shadow.

Shadow, fonctionnalités et nouvelles offres : qu'attendre ?

Reste la question principale pour beaucoup : quand de nouvelles configurations seront-elles proposées ? Comme l'a indiqué publiquement Octave Klaba, nous n'en sommes pas encore là. L'équipe teste actuellement des configurations à base de RTX A2000, A4000 et A6000. AMD pourrait être utilisé côté CPU. 

Mais rien de définitif n'a encore été décidé, d'autant que ce n'est pas une bonne période pour commander des GPU et autres composants par milliers, étant donné l'état de tension du marché et les prix élevés. Shadow se retrouve dans une situation où elle devra faire les bons choix stratégiques.

Car ses clients attendent avec impatience ces nouvelles offres, alors que d'ici le début de l'année prochaine, tous les grands constructeurs vont annoncer de nouveaux CPU et GPU. L'équipe doit-elle attendre cette génération ou miser sur la gamme actuelle ? En termes de calendrier, pour le moment, rien n'est assuré. Il faut néanmoins éviter à tout prix d'annoncer une nouvelle gamme juste avant que NVIDIA dévoile d'éventuelles GeForce de série 40 par exemple. « C'est mon rôle de m'en assurer », nous confie Yannis Weinbach.

Il y a néanmoins de bonnes nouvelles à court terme : 5 000 nouveaux « slots » sont ouverts aujourd'hui, permettant à des clients de s'abonner avec une livraison sous 72 heures au maximum. Il s'agit d'un galop d'essai pour mesurer l'appétence du marché. Car il faut au plus vite louer toutes les machines disponibles.

C'est le critère pour parvenir à la rentabilité, dont le seuil est estimé à un peu plus de 100 000 clients avec le nouveau tarif, selon les critères de la nouvelle équipe. Cela tombe bien, c'est à peu près sa capacité actuelle. Mais voilà, entre la procédure de redressement, la hausse des tarifs et la fin des engagements, les clients sont partis.

Selon nos informations, la barre des 60 000 abonnés avait été franchie. La liste d'attente, qui comptait un peu moins de 30 000 clients ayant commandé l'offre Shadow Boost il y a des mois, a été éclusée depuis. 10 000 nouveaux abonnés ont ainsi été trouvés par ce biais. Si aucun chiffre exact ne nous a été donné, le chiffre de 60 000 clients Shadow a été confirmé.

Il reste donc de nombreuses machines à mettre sur le marché, une partie ne pouvant pas l'être du fait des migrations vers les datacenters d'OVHcloud. Sèle nous confie que c'est ce qui l'a incité à revoir ses priorités. Il n'est donc plus forcément question d'avoir terminé d'ici la fin de l'année, ce qui aurait de toutes façons été difficile en raison des départs dans l'équipe infrastructure, au profit de la capacité d'abonnement.

Le début d'une nouvelle aventure, qui reste à écrire

Ce premier lot de 5 000 servira à définir la stratégie pour la suite. Si tout part en une journée ou en trois semaines, les décisions ne seront pas les mêmes. Viendra ensuite la question des nouvelles fonctionnalités.

Sur ce sujet, l'équipe se veut encore discrète, voulant préserver la surprise autant qu'éviter les promesses déçues. Elle dit se focaliser sur la qualité des nouvelles versions publiées, après la mise en place du double écran, du 4:4:4 et de la nouvelle authentification ces derniers mois, un travail mené principalement avant la reprise.

Il nous a néanmoins été confirmé que la réalité virtuelle (VR) passera en bêta en octobre. Concernant le client web évoqué par Octave Klaba, c'est un projet au long cours, qui ne fait que débuter. Aucune date n'est donnée.

Nous continuerons donc à suivre l'aventure Shadow de près, tant pour ce qui est de l'évolution de son client que de ses configurations et de sa stratégie. Car c'est sans doute dans les mois à venir que se prendront les décisions les plus importante de sa « nouvelle vie », celle qui pourront faire ou défaire son succès en 2022.

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