Dans un arrêté publié le 19 août, le préfet des Yvelines, compte tenu de la crise sanitaire, a exigé la présentation d’un passe sanitaire pour accéder aux grands magasins et centres commerciaux. Le tribunal administratif de Versailles a suspendu hier son application.
Que ce soit au centre Mon Grand Plaisir, à Carrefour Le Plateau ou encore Auchan Grand Plaisir et tous les autres centres de plus de 20 000 mètres carrés, la présentation d’un passe sanitaire a été jugée absolument nécessaire par l’autorité préfectorale.
Cette restriction générale a été justifiée par le développement rapide du variant Delta dans les Yvelines où, selon les informations du préfet, le taux d’incidence était, à date, proche des 200 cas pour 100 000 habitants « en croissance continue depuis le début du mois d’août ».


L’arrêté, qu’on retrouve dans des formes similaires dans d’autres départements d’île de France, a été fustigé par SUD Commerces et Services Francilien-Solidaires.
Le syndicat le juge en effet contraire à la loi de gestion de la crise sanitaire, d’autant qu’avec une telle généralisation, « des millions de personnes, dont certaines sans-papiers, sont ainsi privées d’accès à des commerces de proximité permettant leur alimentation (supermarchés), leur santé (pharmacies et centres commerciaux) et la rentrée de leurs enfants (fournitures scolaires) ». Soit « autant de besoins essentiels définis par le gouvernement lors des confinements successifs ».
Cette lecture a finalement été suivie par le tribunal administratif de Versailles, pourrait-on dire. Saisie par une personne, la juridiction vient en effet de suspendre l'arrêté dans le cadre d’une procédure d’urgence.
Un arrêté hors des clous de la loi sur la gestion de la crise sanitaire
Pourquoi ? Le texte a été pris sur fondement de la loi sur la gestion de la crise. L’article 1er de ce texte prévient certes qu’un passe sanitaire est exigé pour l’accès aux grands magasins et centres commerciaux. Cependant, encore faut-il d'un, une décision motivée du préfet, de deux, que les risques de contamination le justifient, et enfin que la mesure soit prise « dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ».
C’est donc ce bout de phrase qui a été fatal pour le préfet des Yvelines. En effet, comme l’a relevé la juridiction, « les mesures de restriction imposées (…)s’appliquent de façon générale et absolue à l’ensemble des commerces situés dans les grands magasins et centres commerciaux listés », sans prévoir d’aménagement « permettant de réserver l’accès des personnes ne disposant pas de passe sanitaire aux établissements commercialisant des biens de première nécessité dans l’enceinte de ces magasins et centres, en particulier aux commerces alimentaires, en méconnaissance des dispositions législatives applicables ».
Des dossiers de presse non en phase au ministère de la Santé
Cette doctrine ne s'est pas encore généralisée. Relevons par exemple que les kits de communication du ministère de la Santé plaident pour la solution qu'avait choisie le préfet.
Sur cette page, il est expliqué encore et toujours que le passe s’applique dans les grands centres commerciaux supérieurs à 20 000 m2, « selon une liste définie par le préfet de département, là où la circulation du virus est très active, et en veillant à garantir l’accès aux transports parfois compris dans les centres, ou l’accès aux biens de première nécessité par l’existence de solutions alternatives au sein du bassin de vie ».
Problème, ces notions de « bassin de vie » ou encore de « solutions alternatives » qu’on retrouve d’ailleurs encore dans cette « FAQ » du ministère du travail, ne figurent pas dans le texte de loi.
Toulouse, aux antipodes de Versailles
La cacophonie gagne en décibels à la lecture d’une autre ordonnance rendue le même jour, par le tribunal administratif de Toulouse.
L’affaire concernait un hypermarché Leclerc qui avait institué un accès pour laisser entrer et sortir sa clientèle, par une entrée indépendante du centre commercial, sans contrôle du passe sanitaire.
Le tribunal a cette fois rejeté la requête de la société contre un arrêté préfectoral similaire, considérant qu’au stade de l’instruction, « le préfet de la Haute-Garonne a pris soin de vérifier que, pour chaque centre commercial concerné dont celui en litige de Roques-sur-Garonne, il existait une offre de proximité équivalente permettant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ».
Ainsi, selon l'ordonnance, cet arrêté est intervenu « dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi que l’exige la loi et ne méconnaît donc pas les dispositions de l’article 1er de la loi du 5 août 2021 ».
Dans les méandres des travaux parlementaires
Pour tenter de déterminer la bonne lecture de cette disposition, il faut se plonger dans les travaux menés en amont de la publication au Journal officiel de la loi sur la gestion de la crise sanitaire.
Lorsqu’il a validé la proportionnalité des atteintes aux libertés, le Conseil constitutionnel a laconiquement souligné que les mesures prises par les préfets « devaient garantir l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu'aux moyens de transport accessibles dans l'enceinte de ces magasins et centres ».
Phrase trop ambiguë, qui impose de remonter dans la forge des travaux parlementaires. Dans le projet de loi initial, il était prévu que le préfet devait toujours garantir « l’accès des personnes aux biens et produits de première nécessité sur le territoire concerné ».

Ce critère du « territoire concerné » aurait permis de jouer sur le critère de l’équivalence ou du bassin de vie. Sauf que le texte a évolué au fil des travaux.
D’abord, suite à un amendement porté par Thomas Rudigoz (LREM), l’article a été ajusté à la marge en commission des lois. La logique fut néanmoins maintenue : autoriser l’accès, sans passe sanitaire, aux centres et établissements commerciaux comportant des points de ventes de biens de première nécessité, mais seulement si « aucun autre établissement commercial équivalent n’est accessible à proximité » (rapport en commission des lois).

Après le vote en séance, les députés ont adopté cette disposition sans l'ombre d'une modification :

Au Sénat, autre salle, autre ambiance. La Commission des lois a tout simplement supprimé cette extension du passe sanitaire au motif que « les connaissances scientifiques ne font pas état d’une contamination accrue » dans ces centres commerciaux, dixit Philippe Bas. « Les lieux de contamination sont davantage les lieux dans lesquels le port du masque n’est pas respecté, ce qui n’est pas le cas dans les commerces », insistait-il.
Cette suppression fut maintenue en séance et même en Commission mixte paritaire.
Et ce n’est qu’en bout de course que le gouvernement a déposé un amendement pour réintroduire ce contrôle des passes imprimés ou sur écran :

Son exposé des motifs est réduit au minimum : « le préfet peut imposer la présentation du passe sanitaire pour l'accès aux grands magasins et centres commerciaux, dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu’aux moyens de transport ».
Néanmoins, le critère du commerce équivalent « à proximité » ou sur le « territoire » proposant des biens de première nécessité, a bien disparu. Et pour comprendre un peu mieux cette nouvelle rédaction, inutile de s’arrêter aux débats à l’Assemblée nationale organisés le 25 juillet.
Mieux vaut se concentrer sur les travaux du Sénat, et en particulier la prose de Philippe Bas lorsque le sénateur LR assure que « le passe sanitaire ne pourra être exigé pour l’approvisionnement en produits alimentaires et de première nécessité à l’entrée de ces grands centres – cela n’est possible nulle part ».
C’est d'ailleurs après l’exposé de cette garantie que les sénateurs ont voté favorablement l'amendement gouvernemental. Grille de lecture que seule l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Versailles semble suivre, mais qui devra être sanctuarisée au Conseil d'État.