InSight permet de caractériser la structure interne de Mars, une première !

InSight permet de caractériser la structure interne de Mars, une première !

Dépoussiérer avec… de la poussière

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Sébastien Gavois

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Sciences et espace

11/08/2021 10 minutes
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InSight permet de caractériser la structure interne de Mars, une première !

La sonde InSight de la NASA et le sismomètre français SEIS ont permis d'établir « le premier modèle de la structure interne de Mars […] et ce jusqu’au noyau ». À l’aide de son bras robotique, la sonde en profite pour faire le ménage sur ses panneaux solaires et utilise sa pelle pour essayer de limiter les interférences.

Le Centre National pour la Recherche Scientifique rappelle qu'avant la mission InSight, « la structure interne de Mars était encore mal connue ». Nous disposions certes de modèles, mais ils « ne reposaient que sur des mesures recueillies par les satellites en orbites ou l’analyse des météorites martiennes retombées sur Terre ».

Le CNRS explique que l’épaisseur de la croûte était estimée entre 30 et 100 km, tandis que le rayon du noyau devait être compris entre 1 400 et 2 000 km. « Les détails de la structure interne de la planète et la profondeur des frontières entre croûte, manteau et noyau, étaient, eux, complètement inconnus ». C’est là qu'InSight entre en jeu.

Une année martienne à collecter des données

Depuis maintenant plus de deux ans, la sonde prend des mesures in situ de la planète. Les scientifiques ont ainsi « collecté et analysé les données sismiques d’une année martienne (soit presque deux ans terrestres) ». Trois publications scientifiques ont récemment été mises en ligne, avec de nouveaux détails sur notre cousine (éloignée).

Les scientifiques proposent une estimation de la taille du noyau, de l’épaisseur de la croûte et de la structure interne du manteau. Mars rejoint ainsi la Terre et la Lune dans le club très fermé des planètes et satellites telluriques dont la structure profonde est explorée par la sismologie.

« Pour la première fois, il est possible non seulement de comparer la structure interne de la Terre avec celle d’une autre planète tellurique, mais aussi l’état de leur moteur thermique interne », se réjouit Philippe Lognonné, responsable scientifique de l’instrument SEIS.

Comment étudier des ondes sismiques avec une seule station ?

Le CNRS rappelle deux principaux problèmes que les astronomes ont dû dépasser pour obtenir des données. Tout d’abord, il faut habituellement disposer de plus d’une station « pour déterminer tout à la fois un modèle de structure, le temps (d’arrivée) du séisme et sa distance », ce qui n’est pas le cas sur Mars.

« Il a donc fallu rechercher, identifier et valider dans les enregistrements sismiques, la signature d’ondes ayant interagi différemment avec les structures internes de Mars. Ces nouvelles mesures, couplées avec des modélisations minéralogiques et thermiques de la structure interne, ont permis de s’affranchir de la contrainte de station unique ». Cette méthode « ouvre une nouvelle ère pour la sismologie planétaire » pour les chercheurs.

Afin de mieux comprendre comment ils se débrouillent avec une seule station, Lognonné propose une explication rapide en images (moins d’une minute). On ne peut que vous conseiller de la regarder :

Deuxième obstacle sur Mars, le faible niveau de sismicité et le « bruit » généré par l’atmosphère : « même si les séismes martiens ont une magnitude relativement faible et inférieure à 3,5, la très grande sensibilité du capteur VBB et le bruit très faible en début de nuit nous ont permis d’aboutir aux découvertes que nous ne pensions possibles, il y a deux ans, qu’avec des séismes de magnitude plus grande que 4 », précise Philippe Lognonné.

Les données transmises sont donc soigneusement triées et nettoyées des interférences et du bruit ambiant. Ce sont ainsi plus de 600 événements sismiques qui ont été catalogués, « dont plus de 60 correspondent à des séismes relativement lointains ». Une dizaine seulement comportent des informations sur la structure profonde de Mars.

Trois discontinuités dans la croûte martienne

« Les ondes sismiques directes d’un séisme sont un peu le son de notre voix en montagne, qui génère des échos. Et ce sont les échos de ces ondes, provenant d’une réflexion sur le noyau ou à l’interface croûte-manteau ou même à la surface de Mars que nous avons recherchés dans les signaux grâce à leur similarité par rapport aux ondes directes », explique Lognonné. En étudiant le comportement des ondes sismiques directes et de leurs « échos », les chercheurs peuvent ainsi identifier des « discontinuités dans la croûte ».

La première a été observée à une dizaine de kilomètres de profondeur. Elle « marque la séparation entre une structure très altérée, résultant d’une très ancienne circulation de fluide et une croûte peu altérée ». Une seconde discontinuité a été identifiée à 20 km sous la surface et une troisième – moins marquée – à 35 km. Conclusion : « La croûte martienne sous InSight fait donc entre 20 et 35 kilomètres d’épaisseur », indique-t-il dans un article.

« Nous avons utilisé toutes les méthodes d’analyse récentes, tant sur les séismes d’origine tectonique que sur les vibrations d’origine environnementale (le bruit sismique) pour identifier ces discontinuités », indique Benoit Tauzin, chercheur au LGL-TPE (Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes, environnement).

Le flux de chaleur dans le manteau

Dans une autre étude, c’est le manteau de la planète qui est passé au crible par les ondes sismiques. Cette fois-ci, la différence de temps entre le parcours des ondes directes et de celles résultant de leur réflexion sur la surface a été analysée. Avec une seule station, il est ainsi possible de déterminer la structure du manteau supérieur.

Les chercheurs obtiennent la variation des vitesses des ondes en fonction de la profondeur. Or, ajoute le CNRS, « ces variations de vitesse sont liées à la température ». Les chercheurs peuvent ainsi « estimer le flux de chaleur de Mars qui serait ainsi de trois à cinq fois plus faible que celui de la Terre », explique Henri Samuel, chargé de recherche CNRS à l’IPGP (Institut de Physique du Globe de Paris).

Selon Philippe Lognonné, « les résultats suggèrent alors que la température du manteau de Mars croit linéairement avec la profondeur jusqu’à atteindre un peu plus de 1 500 °Celsius entre 500 et 600 kilomètres de profondeur ». Il est aussi possible « d’émettre des contraintes sur la composition de la croûte martienne qui concentrerait plus de la moitié des éléments radioactifs producteurs de chaleur présents dans la planète », ajoute Henri Samuel.

Et c’est au tour du noyau de la planète

Dans la troisième étude, les scientifiques se sont concentrés sur la surface du noyau de la planète. Partant des observations de la sonde InSight et de l’instrument SEIS, ils se lancent dans une espèce de partie de Jeopardy! pour essayer de retrouver des caractéristiques du noyau à partir des résultats à leur disposition.

« Pour cela, nous avons testé plusieurs milliers de modèles de manteau et de noyau par rapport aux phases et signaux observés », explique Mélanie Drilleau, ingénieur de recherche à l’ISAE-SUPAERO. « Malgré les faibles amplitudes des signaux associés aux ondes réfléchies (appelées ScS), un excès d'énergie est observé pour les noyaux avec un rayon entre 1790 km et 1870 km », indique le CNRS.

Selon ce dernier, « une telle taille implique la présence d’éléments légers dans le noyau liquide et a des conséquences majeures sur la minéralogie du manteau à l’interface manteau/noyau ».

Des réponses qui soulèvent de nouvelles questions

Comme toujours en pareille situation, ces réponses soulèvent des interrogations : « l’altération de la croûte sur les 10 premiers kilomètres est-elle générale ou limitée à la zone d’atterrissage d’InSight ? Quel sera l’impact de ces premiers modèles sur les théories de formation et d’évolution thermique de Mars, en particulier pour les premiers 500 millions d’années où Mars avait de l’eau liquide à sa surface et un fort volcanisme ? ».

Sur la surface de Mars depuis fin 2018, la mission primaire était prévue pour durer deux ans, jusque fin 2020 donc. Il y a quelques mois, elle a été prolongée (sans surprise puisque tout se passait relativement bien) de deux années supplémentaires… de quoi multiplier les mesures et affiner encore les modèles.

InSight améliore ses conditions de travail avec une pelle et du « sable »

Sur Mars, la sonde InSight est néanmoins confronté à certains problèmes, notamment la présence de poussière depuis l’atterrissage sur ses panneaux solaires chargés de l’alimenter en énergie. Impossible d’envoyer une équipe de nettoyage sur place, mais les scientifiques ont trouvé une astuce.

« En ramassant du sable martien aux abords de l'atterrisseur et en le saupoudrant [via le bras articulé de la sonde, ndlr] près des panneaux solaires à l'heure de plus fort vent de la journée martienne, les grains de sable emportés par le vent ont aussi emporté les fines poussières accumulées sur leur passage », explique l’Institut de Physique du Globe de Paris. On parle d’effet de saltation.

Le 21 juin, Charles Yana, chef de projet Opérations SEIS pour la mission InSight, expliquait que « les dernières activités de nettoyage d’un panneau solaire [l’autre est inaccessible par le bras robotisé, ndlr] nous ont fait gagner de l’énergie. Peu, mais suffisamment pour finalement garder SEIS allumé plus longtemps sans danger alors qu’il était prévu de l’éteindre courant juin ».

« Le surplus d’énergie ainsi récupéré permettra aussi de continuer l’enfouissement du câble du sismomètre SEIS et ainsi l’amélioration du bruit de l’expérience ». Ce câble – baptisé tether – relie SEIS à la sonde InSight, mais il « a tendance à générer des craquements thermoélastiques qui perturbent les mesures lorsque la température chute brutalement » à la tombée de la nuit. Les températures peuvent chuter de près de 80 °C en 1h seulement.

Afin de limiter ce phénomène, l’idée est de recouvrir le tether d’une fine couche de régolithe martien. Charles Yana a récemment signé un article expliquant cette opération. « Lancées le 14 mars et le 28 mars derniers, les deux premières pelletées ont déposé le régolithe directement sur le bouclier qui recouvre SEIS, permettant ainsi d’être au plus près de l’instrument en laissant glisser le sable jusqu’au tether ».

L’opération a été un succès avec « quelques millimètres de sable » à l’extrémité du câble… même si le dépôt était un peu plus à gauche que prévu. Le plan prévoit entre 6 et 8 dépôts.

Écrit par Sébastien Gavois

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Sommaire de l'article

Introduction

Une année martienne à collecter des données

Comment étudier des ondes sismiques avec une seule station ?

Trois discontinuités dans la croûte martienne

Le flux de chaleur dans le manteau

Et c’est au tour du noyau de la planète

Des réponses qui soulèvent de nouvelles questions

InSight améliore ses conditions de travail avec une pelle et du « sable »

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Commentaires (15)



L’opération a été un succès avec « quelques millimètres de sable » à l’extrémité du câble… même si le dépôt était un peu plus à gauche que prévu. Le plan prévoit entre 6 et 8 dépôts.




J’ai l’impression qu’on parle de mon gamin qui essaie de manger lui-même ; il y est arrivé, mais bon, il en a foutu un peu à côté :D … sauf que là, entre le cerveau et la pelle/fourchette, il y a quelques kilomètres :D . Après, ils ont comme point commun d’être jeune sur leur planète respective ^^ .



Sinon, rigolo de voir les méthodes “système D” (le sable sur le panneau) utilisées sur des bijoux d’ingénierie !


La prochaine sonde il va vraiment falloir prévoir le bras balayette :8



Tirnon a dit:


La prochaine sonde il va vraiment falloir prévoir le bras balayette :8




pour rayer les panneaux ?


Le sable balayé par le vent, ça ne doit pas être mal non plus pour faire des micro-rayures…


Il vaut mieux des panneaux rayés que des panneaux ensablés :)



Sinon, juste un moyen de retourner les panneaux, et de les faire vibrer, ça devrait être suffisant, non ?




Commentaire_supprime a dit:


Je viserai plutôt un système de nettoyage par ondes ultrasoniques.




Je suis peut être à côté de la plaque, mais dans l’atmosphère de Mars, je suis pas sûr que ce soit l’idéal. Mais ça doit dépendre de comment c’est appliqué :)



Tirnon a dit:


La prochaine sonde il va vraiment falloir prévoir le bras balayette :8




Je viserai plutôt un système de nettoyage par ondes ultrasoniques. Reste à savoir si c’est envisageable avec les contraintes techniques de fonctionnement d’une sonde planétaire, si un ingénieur qui s’y connaît passe par ici…



stratic a dit:


Le sable balayé par le vent, ça ne doit pas être mal non plus pour faire des micro-rayures…




pas sur, le balais appuie sur le sable en le retirant, pas le vent.


On ne peut pas utilisé de soufflette non plus il faudrait bien trop aspirer/compresser l’air ambiant pour être efficace. C’est pour ça que le balais reste le seul moyen :D



Cqoicebordel a dit:


Il vaut mieux des panneaux rayés que des panneaux ensablés :)



Sinon, juste un moyen de retourner les panneaux, et de les faire vibrer, ça devrait être suffisant, non ?



Je suis peut être à côté de la plaque, mais dans l’atmosphère de Mars, je suis pas sûr que ce soit l’idéal. Mais ça doit dépendre de comment c’est appliqué :)




Sinon on met une personne de petite taille avec le prochain engin et il nettoie de façon régulière les panneaux



Cqoicebordel a dit:


Je suis peut être à côté de la plaque, mais dans l’atmosphère de Mars, je suis pas sûr que ce soit l’idéal. Mais ça doit dépendre de comment c’est appliqué :)




J’y pense parce que ça fonctionne pour les capteurs d’appareils photo. Ultrasonique s’applique à la fréquence des ondes mécaniques produites par un vibreur ad hoc.


Dans ce cas là, effectivement. Ça rejoint mon idée de retourner les panneaux et de le faire vibrer :)

Je ne savais pas que ça existait pour les appareils photo. C’est intéressant !


Le rover chinois a des panneaux basculants, simple et efficace. Pourquoi les américains n’y ont-ils pas pensé ?


A moins d’avoir participé aux réunions de projet, je pense qu’il sera difficile d’avoir une réponse autre que des spéculations.



Les rovers de la NASA sont alimentés par des RTG, donc pour eux la question se pose moins.


Pas la même source d’énergie, comme dis avant c’est une pile au plutonium. Les panneaux solaires sont un bonus, et je crois recouverts d’un revêtement spécial pour justement éviter la poussière, en attendant les tornades/tempêtes.



Les ingénieurs sont des bricoleurs, et testent des trucs. Leur technique coûte presque rien (quelques watts pour le bras) et de ne demande pas d’amener des trucs depuis la Terre !



Reghr a dit:


Le rover chinois a des panneaux basculants, simple et efficace. Pourquoi les américains n’y ont-ils pas pensé ?




Plus (donc trop) cher et ça alourdirait la charge totale (les lancements sont payés au kilo), donc non ?