Le Conseil constitutionnel censure les échanges entre administrations et services de renseignement

Le Conseil constitutionnel censure les échanges entre administrations et services de renseignement

Une censure... à effet reporté

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Marc Rees

Publié dans

Droit

09/07/2021 6 minutes
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Le Conseil constitutionnel censure les échanges entre administrations et services de renseignement

Le Conseil constitutionnel vient, une nouvelle fois, de censurer une partie de la loi renseignement. La décision intervient suite à une question prioritaire de constitutionnalité de la Quadrature du Net, rejointe par la Ligue des Droits de l’Homme. Elle concerne la remontée d’informations des autorités administratives vers les services.

Pour nourrir le travail du renseignement, les sources peuvent être multiples. Un service autorisé à mettre en place une mesure de surveillance en vue de lutter contre la délinquance organisée peut ainsi ramener dans ses filets des éléments qui concernent d’autres services, par exemple dédiés à la lutte contre le terrorisme.

Le législateur a prévu en 2015 cette hypothèse en autorisant ces services à partager « toutes les informations utiles à l’accomplissement de leur mission ».

De même, il autorise depuis les autorités administratives à transmettre là encore toutes les informations « utiles » aux services.

Deux facultés ouvertes par la loi de 2015 attaquées par la Quadrature du Net et la LDH. Leur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) vise précisément l'article L. 863-2 du Code de la sécurité intérieure

Pourquoi ? Les deux associations estiment que le législateur a été bien trop peu bavard dans l’encadrement de ces modalités. Oubliant quelque peu le périmètre de ses compétences, il a nécessairement méconnu « le droit au respect de la vie privée, la protection des données personnelles, le secret des correspondances ainsi que la liberté d'expression ».

Selon le résumé dressé par le Conseil constitutionnel, LQDN et la LDH dénoncent l’absence de définition « des informations pouvant être partagées, les catégories de personnes pouvant accéder à ces dernières, les finalités de ce partage ainsi que son régime juridique ». Autre reproche : « l'absence de contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement » (CNCTR).

Le partage d’information entre les services de renseignement

Pour les neuf Sages, le législateur a voulu, à travers le prisme de la disposition attaquée, « organiser et sécuriser le partage d'informations entre les services de renseignement et améliorer leur capacité opérationnelle ».

Pour eux, pas de doute : « ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ».

Dans leur décision, ils relèvent par ailleurs que les services du premier et second cercle du renseignement concourent les uns et les autres à la défense des intérêts fondamentaux de la nation.

Considérant que « le service de renseignement détenteur d'une information ne peut la partager que si cette information est nécessaire à l'accomplissement des missions du service destinataire » et que ces informations partagées « sont soumises au respect des règles encadrant les traitements de données à caractère personnel par les services de renseignement », le juge constitutionnel a finalement consacré la conformité de ces modalités aux textes fondamentaux.

Il a d’ailleurs précisé au détour d’une phrase que « les dispositions contestées ne font pas obstacle au contrôle susceptible d'être exercé, par les autorités compétentes, sur les informations partagées ».

En clair, la CNCTR et derrière le Conseil d’État conservent leur compétence pour vérifier ces échanges sur l’autel de la loi de 2015. Et le Conseil constitutionnel de juger les premier et troisième alinéas de l’article L.863-2 du Code de la sécurité intérieure comme conformes.

La communication d’informations par les autorités administratives

Les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes gérant les régimes de protection sociale, etc. se voient aussi dotés du pouvoir de communiquer aux services tous les renseignements jugés « utiles », soit à la demande des services concernés, soit à leur seule initiative.

Cette fois, le Conseil constitutionnel relève que si « le législateur a entendu améliorer l'information des services de renseignement », les missions de ces autorités peuvent être sans aucun lien avec ces activités sensibles.

Mieux, l’adjectif « utile » associé à « information » ne permet pas de connaître « la nature des informations concernées », le législateur ayant été avare en précision.

De sorte, relève encore la décision, que « la communication d'informations ainsi autorisée peut porter sur toute catégorie de données à caractère personnel, dont notamment des informations relatives à la santé, aux opinions politiques et aux convictions religieuses ou philosophiques des personnes ».

Pas de définition, mais surtout pas de garantie pour encadrer ces transmissions d’informations. La censure était prévisible. Elle est depuis quelques minutes consacrée sur l’autel du droit à la vie privée.

Une abrogation reportée dans le temps

Cependant, si une telle abrogation est en principe immédiate, le Conseil constitutionnel se réserve la possibilité de la déporter dans le temps lorsque ses conséquences seraient « manifestement excessives ».

Et c’est le cas ici : ce coup de gomme sur la loi de 2015 est repoussé au 31 décembre 2021, étant précisé que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne [pourront] être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. »

Ce temps imparti permettra au législateur d’aiguiser d’ici là la réforme de la loi renseignement, actuellement en cours.

Du charbon pour le moteur de la réforme de la loi de 2015

L’article 7 du projet de loi « relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » prévoit en effet de dépoussiérer le régime des échanges d’informations entre les services et surtout avec les autorités administratives.

Le texte en gestation respectera-t-il la présente décision ? En l'état, la remontée ne concernerait plus seulement « des informations utiles à l'accomplissement des missions » des services (L863-2) mais celles « strictement nécessaire à l’accomplissement [de leurs] missions (…) et susceptible de concourir à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation » (projet de loi).

Mieux, ces remontées pourront même concerner des informations couvertes par un secret protégé (fiscal, médical, etc.).

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Le partage d’information entre les services de renseignement

La communication d’informations par les autorités administratives

Une abrogation reportée dans le temps

Du charbon pour le moteur de la réforme de la loi de 2015

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Commentaires (4)


Censure temporaire, rassurez-vous.



(À quand la suppression, ou au minimum la neutralisation, de ce Conseil qui devient bien embêtant, à toujours mettre des bâtons dans les roues de la Dictature en marche ?)



(reply:1885333:Trit’)




y a pas si longtemps certains demandaient effectivement de passer outre le Constitution…


Heureusement, la Quadrature du Net existe. Elle devrait être reconnue fondation d’utilité publique.


En même temps, comme on en saura jamais rien , à part via un lanceur d’alerte (qui se fera sabrer), jamais le grand public ne sera informé de ces échanges, loi ou pas loi…..