Chaque année, le régulateur des télécoms publie son rapport sur l’état de l’Internet en France. Celui de 2020 est le premier sous l’égide de la nouvelle présidente Laure de la Raudière. Elle rappelle que « les réseaux sont et doivent rester un "bien commun" et une "infrastructure de libertés" ». Il reste néanmoins encore un gros point noir dont l'IPv6.
La première partie du rapport revient évidemment sur les conséquences de la crise sanitaire et des deux confinements de 2020 sur les réseaux fixes et mobiles. Un point déjà abordé dans le rapport de l’année dernière (sur l’état d’Internet en France en 2019).
L’Arcep rappelle que, en temps normal en effet, « le trafic Internet connaît un pic le soir, du fait d’usages relativement consommateurs en bande passante (vidéo notamment), et durant les week-ends. Ce sont ces pics d’utilisation qui déterminent le dimensionnement des réseaux ».
L’impact du confinement sur les usages…
Ce profil a été modifié de façon importante début 2020 : « le pic de trafic habituellement constaté en soirée a été "étalé" sur toute la journée. Le profil de trafic en journée ressemblait ainsi davantage au profil de trafic observé pendant les week-ends ». Cette modification s’explique par un changement des usages : plus de visioconférences en lien avec le télétravail, hausse du streaming vidéo et des jeux en ligne.
Comme nous l’avons déjà expliqué, les réseaux fixes ont largement tenu le coup, notamment car ils sont calibrés en fonction des pics et pas de l’usage moyen. Sur les réseaux mobiles, « aucune augmentation notable n’a été observée suite au premier confinement, même si certaines congestions ponctuelles ont pu être observées en France ».
Les utilisateurs étaient néanmoins invités à privilégier le Wi-Fi à la 4G lorsque cela est possible. De manière générale, cette pratique permet aussi de diminuer son empreinte écologique… à condition de ne pas se trouver derrière une 4G box évidemment.
… et la qualité de service
Selon l’Arcep, qui se base sur un observatoire Ookla, la qualité de service a chuté : « le débit moyen des mesures effectuées en France sur le réseau fixe est passé de 146,26 Mb/s au 9 mars 2020 à 126,45 Mb/s au 13 avril 2020, soit une baisse d’environ 15 % ». Sur les réseaux mobiles, la baisse serait inférieure à 5 %. Dans tous les cas, un retour à la normale a été observé deux mois plus tard.

Durant la crise, le BEREC (l’organe des régulateurs européens) publiait des rapports détaillant l’état des réseaux en Europe, de manière bi-hebdomadaire, puis mensuel. Le résultat est sans appel : il a « conclu constamment à l’absence de congestion majeure des réseaux en Europe ».
Le régulateur rappelle que, si besoin, le traitement différencié de certains contenus par les FAI est possible, mais « strictement encadré par le règlement Internet ouvert ». Il n’y a ainsi que trois exceptions : « l’obligation de respecter une autre disposition légale, la nécessité pour un FAI de préserver la sécurité de son réseau et enfin le risque d’une congestion imminente ».
API dans les box des FAI : des démonstrations cet été
Le rapport se penche ensuite sur l’amélioration de la mesure de la qualité d’accès à Internet. Il est évidemment question d’un dossier de longue haleine : l’intégration d’une API dans les box des FAI. Le calendrier est déjà connu, depuis la publication d’un arrêté au Journal officiel le 16 janvier 2020 et la première échéance se rapproche.
Pour rappel, les FAI avaient 18 mois pour effectuer « la démonstration auprès de l'Arcep d’une box de développement avec l’API implémentée », 22 mois pour la mettre en place dans au moins 5 % des box, 26 mois pour 40 % et 30 mois enfin pour au moins 95 % des box.
C’est donc cet été que les « opérateurs devront effectuer auprès de l’Arcep la démonstration d’une box de développement avec l’API », avant de commencer son déploiement d’ici la fin de l’année.
- « Carte d’identité de l’accès » : les plans de l'Arcep pour ajouter une API dans les box des FAI
- Qualité de service : l'Arcep entérine « la mise en place d'une API dans les box » des FAI

Des mesures collaboratives, attentions aux biais
L’Arcep en profite pour faire le point sur les acteurs tiers de la mesure qui se sont déclarés conformes à son Code de conduite. Sur le fixe : nPerf, DébiTest 60, 5GMark, Speedtest UFC-Que Choisir, IPv6-test, Speedtest et TestADSL. Sur le mobile : nPerf, DébiTest 60, 5GMark, Speedtest et Tutela.
L’Arcep propose aussi quelques exemples de biais lors des mesures de qualité de service… qui ne se trouvent pas toujours là où on les attend. On peut ainsi voir l’influence du chiffrement des données (HTTPS) et des solutions intégrées de blocage de la publicité sur les débits.
Première conclusion du régulateur : « Les navigateurs basés sur Chromium (Chrome, Edge, Brave, Chromium) sont fortement impactés par la publicité avec des débits descendants entre 12 et 71 Mb/s. Ces mêmes débits sont entre 161 et 208 Mb/s avec un bloqueur de publicité ».
La situation est par contre bien différente avec Firefox qui n’est que « peu impacté par les publicités, c’est le navigateur qui affiche le meilleur débit descendant sans bloqueur de publicité : entre 106 et 127 Mb/s. Cela reste toutefois très éloigné du débit réel de 1 Gbit/s ».
Autre point important, la consommation globale de la mémoire, qui « varie de 1,1 Go à 3,5 Go selon le navigateur utilisé ». Lors des tests du régulateur, Windows 10 sans bloqueur de publicité était le plus consommateur, tandis qu’Ubuntu était le plus économe, et de loin. Si les résultats détaillés sur les biais de mesure vous intéressent, on ne peut que vous conseiller de lire les pages 29 à 32 du document.
La chimère de la carte de couverture parfaite,
Sur le mobile, le gendarme des télécoms rappelle que le seuil de fiabilité des cartes de couverture est passé de 95 à 98 %, sous la pression des élus et des consommateurs. Il s’agit de la théorie. La pratique ne colle pas toujours à ce que l’on peut observer sur les cartes. L’Arcep le reconnait d’ailleurs sans détour : « elles ne représenteront jamais parfaitement la réalité ».
C’est pour cela qu’elles sont doublées de mesure in situ, dont la conclusion est que « la qualité des services de l’Internet mobile continue de s’améliorer globalement pour tous les opérateurs, et ce dans toutes les zones : rurales, intermédiaires et denses, mais à un rythme moindre que les années précédentes ».
« Cela peut s’expliquer notamment par le contexte sanitaire et un durcissement de certains protocoles de mesure pour être au plus proche de l’expérience utilisateur », explique l’Arcep. Le débit moyen passe ainsi de 62 (en 2019) à 64 Mb/s (en 2020) dans les zones denses, de 46 à 50 Mb/s dans les zones intermédiaires et de 28 à 31 Mb/s dans les rurales.
Afin de compléter les mesures de débits, l’Arcep propose un nouvel indicateur en métropole et en outre-mer : le taux de tests dépassant les 3 Mb/s. Cette limite permet « dans la plupart des cas d’assurer les usages Internet mobile "standards" ». Le taux varie entre 55,3 % à Saint-Barthélemy et 91,7 % en Martinique, contre 84,2 % en métropole.

Panorama de l’interconnexion en France, qui augmente de +50%
Le second gros morceau du rapport concerne l’interconnexion en France, dont les débits ne cessent de grandir année après année. Fin 2020, « le trafic entrant vers les principaux FAI en France à l’interconnexion a augmenté de plus de 50 % en un an pour atteindre 27,7 Tb/s ».
« On observe une augmentation importante du trafic (+26 %) au premier semestre 2020, qui pourrait en partie refléter l’augmentation des usages lors du premier confinement en France », explique le régulateur.
Les 27,7 Tb/s se décomposent en trois morceaux, dont deux très gros :
- Transit : 48,4 % du trafic, soit 13,4 Tb/s (contre 8,88 Tb/s fin 2019)
- Peering privé : 48,7 % du trafic, soit 13,5 Tb/s (contre 8,97 Tb/s fin 2019)
- Peering public : 2,9 % du trafic, soit 0,8 Tb/s (contre 0,57 Tb/s fin 2019)
Si les liens de transit occupent une place si importante en France, c’est en grande partie en raison du « transit entre Open Transit International (OTI), Tier 1 appartenant à Orange, et le Réseau de Backbone et de Collecte Internet d’Orange (RBCI), qui permet d’acheminer le trafic vers les clients finaux de ce FAI ». Le transit est beaucoup moins élevé chez les autres FAI car ils n’ont pas d’activité de transitaire et font appel à du peering.
L’usage des CDN internes, les capacités d’interconnexion
Autre changement notable en 2020, « le trafic provenant des CDN internes vers les clients des principaux FAI en France a presque doublé (+82 %) pour atteindre environ 7,1 Tb/s ». Selon le régulateur, cette forte « augmentation pourrait s’expliquer par la modification des usages lors de la crise sanitaire, notamment l’augmentation de la vidéo à la demande qui recourt principalement à des CDN internes dans le réseau des différents opérateurs ».
Passons de l’autre côté du miroir avec le trafic sortant du réseau des quatre principaux FAI : il atteint 2,6 Tb/s, soit 46 % de plus que fin 2019. Il est donc largement inférieur à celui entrant, et l’écart ne fait que se creuser depuis des années : « le taux d’asymétrie entre ces deux trafics est passé de 1/4 en 2012 à plus de 1/10 en 2020. Cette augmentation est due notamment à l’augmentation du contenu multimédia consulté par les clients (streaming vidéo et audio, téléchargement de contenu de grande taille, etc.) ».
Suite aux mesures de confinement, les capacités d’interconnexion ont connu « une augmentation du même ordre de grandeur que le trafic entrant ». Fin 2020, elles étaient ainsi estimées à 66,9 Tb/s, soit 2,4x plus que le trafic entrant ; il reste donc de la marge dans les « tuyaux ».
Netflix, Google, Akamai, Facebook et… le reste du monde
Comme les années précédentes, « 50 % du trafic vers les clients des principaux FAI en France provient de quatre fournisseurs : Netflix, Google, Akamai et Facebook ». Mais, selon l’Arcep, « l’écart se creuse entre le volume de trafic provenant de Netflix et celui des autres fournisseurs de contenu ».
De plus, la présence de plusieurs CDN (Akamai, Level 3, Fastly…) dans la liste des principales sources « confirme le rôle important de ces acteurs dans l’acheminement du trafic Internet ». C’est le cas des vidéos Disney+ car la plateforme n’a pas de CDN internes chez les FAI, contrairement à Netflix.
L’Arcep propose un rapide point sur les tarifs, à prendre avec des pincettes. En effet, cette fourchette est uniquement basée sur les sociétés qui ont bien voulu répondre aux questions. « Les prestations de transit se négocient toujours entre moins de 10 centimes d’euro HT et plusieurs euros HT par mois et par Mb/s. Quant au peering payant, il se situe dans une fourchette comprise entre 25 centimes d’euro HT et plusieurs euros HT par mois et par Mb/s ».
Lente agonie d’IPv4, trop lente progression d’IPv6
Le rapport revient aussi sur la pénurie d’adresse IPv4 et la trop lente transition vers IPv6. Même si cette dernière s’améliore, il reste encore beaucoup de travail avant de parler d’une véritable transition des clients, notamment sur le mobile. SFR est sans aucun doute l’opérateur le plus en retard sur ce point.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Bouygues Telecom : 28 % de clients activés sur le fixe, entre 87 et 98 % sur le mobile,
- Free : 99 % de clients activés sur le fixe, 0 % sur le mobile
- Orange : 75 % de clients activés sur le fixe, entre 0 % et 60 % sur le mobile
- SFR : 1,6 % des clients activés sur le fixe, entre 0 et 0,2 % sur le mobile
Si les opérateurs prévoient d’arriver à au moins 85 % d’IPv6 sur iPhone et 40 % sur Android d’ici mi-2023, les prévisions de la marque au carré rouge sur le fixe sont alarmantes : 10 à 20 % seulement dans deux ans. Notez que Free Mobile propose IPv6 à ses clients depuis le début de l’année.
Du côté des sites français, ce n’est pas la grande joie non plus, avec seulement 26 % des plus visités et 61 % des pages accessibles en IPv6. 94 % des hébergeurs mails sont encore bloqués en IPv4, tandis que 74,9 % des serveurs DNS sont en IPv6, etc.
Selon un observatoire repris par l’Arcep, la France se classerait en dixième position des pays en termes d’utilisation d’IPv6. L’Inde, la Belgique et les États-Unis sont en tête, suivis par l’Allemagne, la Malaisie, la Grèce, Taiwan, le Vietnam et la Suisse.
L’Arcep veille « à l’ouverture d’Internet »
Le rapport s’attaque ensuite à un autre sujet qui tient à cœur à l’Arcep : « Veiller à l’ouverture d’Internet ». Il y a deux sous-parties : « Garantir la neutralité d’Internet » et les « plateformes, maillons structurants de l’accès à Internet ». Dans le premier cas, c’est l’occasion de (re)mettre en avant l’application Wehe qui peut désormais détecter un blocage de port, la plateforme J’alerte l’Arcep, les travaux au niveau européen, etc.
- « J’alerte l’Arcep » : plus de 100 000 signalements, le taux de Free a presque doublé
- C’est une « belle journée » : la Cour de justice de l’Union européenne consacre la neutralité du Net
Pour les plateformes, la situation a évolué… pas forcément dans le bon sens. Désormais, « la question n’est plus de savoir si les grands acteurs du numérique posent des problèmes, mais comment les résoudre ». Au niveau mondial, plusieurs propositions ont été faites pour mettre en place une régulation économique « ex ante » des géants du numérique.
« En Europe, la Commission européenne a publié le Digital Markets Act le 15 décembre 2020 », mais cette « avancée majeure » mériterait selon l’Arcep « d’être renforcée sur plusieurs aspects, en particulier l’ajout d’outils plus proactifs pour le régulateur ».
Soutenir un « numérique soutenable »
La dernière partie du rapport se penche sur le « défi environnemental du numérique » et se demande comment agir. L’occasion de replacer ses travaux sur « un numérique soutenable ». Ce rapport, en plus de faire le point sur le sujet, était accompagné de onze propositions.
Le gendarme rappelle que la feuille de route de février 2021 du gouvernement « identifie plusieurs chantiers pour l’Arcep, comme la réalisation d’un baromètre environnemental, l’analyse des pratiques de distribution de terminaux et de leur effet sur le renouvellement des terminaux, l’amélioration, conjointement avec l’ADEME, de l’estimation de l’empreinte environnementale du numérique ».
Parmi les attentes, citons une « étude sur l’impact environnemental des infrastructures et des services numériques co-portée avec l’ADEME, [une] analyse de l’impact environnemental des offres commerciales de téléphonie mobile notamment celles des offres groupées, [une] réflexion sur les voies et moyens pour mieux prendre en compte les enjeux environnementaux dans la potentielle prochaine attribution des fréquences 5G bande 26 GHz », rappellent les secrétaires d'État Barbara Pompili et Cédric O.
L’Arcep compte désormais réunir tous les acteurs en septembre 2021 « pour faire un état des lieux sur l’avancée des propositions qu’elle a faites et plus généralement sur l’évolution de l’empreinte environnementale du numérique ».