Copie privée : l’amendement des ayants droit pour les aider à frapper les biens reconditionnés

Vilain Google
Droit 7 min
Copie privée : l’amendement des ayants droit pour les aider à frapper les biens reconditionnés
Crédits : FangXiaNuo/iStock

L’industrie de la musique s’est sacrifiée pour mâcher le travail des députés. Elle leur a adressé un amendement pour ouvrir la voie à la copie privée sur les téléphones et tablettes reconditionnés. Nous dévoilons ce document. Pour l'instant, aucun député ne l'a repris à son compte, en commission du moins.

La proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France est surveillée comme le lait sur le feu par les ayants droit. Leurs regards angoissés sont tournés vers son article 14 Bis B, celui-là même qui veut interdire la perception de redevance pour copie privée sur les biens reconditionnés, du moins ceux ayant déjà subi une telle ponction.

Pour mémoire, cette redevance, payée par les fabricants et les importateurs aux sociétés de gestion collective, compense la liberté pour chacun de réaliser des copies licites sur des supports vierges. Tablettes, smartphones, disques durs externes, cartes mémoires, clefs USB, DVD et CD vierges, etc. Le prélèvement culturel, collecté par les sociétés de perception et de répartition des droits, vient compenser cette liberté de copier des œuvres de sources licites (donc pas nécessairement le P2P).

Jusqu’à présent, le prélèvement ne portait que sur les produits neufs, mais les industries culturelles cherchent à en maximiser les rendements pour frapper dans un avenir proche, les biens reconditionnés.

Deux fronts

Pour gonfler ces flux financiers qu'ils touchent, 273 millions d’euros collectés en 2020, ils mènent deux fronts : l’un judiciaire, l’autre administratif.

Sur le volet judiciaire, ils ont poursuivi plusieurs reconditionneurs pour leur réclamer des millions d’euros sur les smartphones vendus ces cinq dernières années, durée de prescription de la redevance. Non sans ambition, ils considèrent que les barèmes actuellement en vigueur s’appliquent aussi bien aux produits neufs qu’aux produits reconditionnés, faute de précision dans les textes qu’ils ont eux-mêmes adoptés.

Sur le volet administratif cette fois, une étude expresse a été initiée en Commission copie privée, financée par leur soin, afin de jauger les pratiques de copie d’un petit panel de personnes. L’idée ? Démontrer que des particuliers copient encore et toujours quelques œuvres, pour justifier le vote d’un barème spécifique qui s’abattra sur l’ensemble des smartphones et tablettes reconditionnés.

Déposé par le sénateur Patrick Chaize, l’amendement qui veut finalement interdire la multiperception de la redevance copie privée, à chaque reconditionnement d’un téléphone, a été évidemment mal accueilli… D'autant qu'il a été adopté par le Sénat ! 

Cet article de la proposition de loi désormais examiné à l’Assemblée nationale vient tout bonnement casser ce plan que les sociétés de gestion collectives espéraient sans accroc. 

Elles ont dû ainsi affronter la fronde des reconditionneurs, qui ont du mal à comprendre la raison d’être de ce qu’ils perçoivent comme une « taxe » sur l’écologie et les consommateurs les moins fortunés, et au-delà, un secteur lui aussi frappé par la crise.

Les sociétés de gestion collective auraient cependant obtenu voilà quelques semaines un arbitrage du Premier ministre en faveur de la perception. Un arbitrage obtenu avant les conclusions de l’étude d'usages très rapidement lancée depuis la Commission copie privée, où elles ont été lourdement soutenues par le ministère de la Culture

Un amendement à disposition des députés

Dans la forge parlementaire, les producteurs de musique ont adressé aux députés un amendement de suppression, ficelé, mitonné et concocté par leurs soins, afin d’éradiquer l’article 14 BIS B de la proposition de loi.

Dans le document, que nous révélons, les députés sont invités à rajouter leur nom après « présenté par », en endossant artificiellement les arguments portés dans l’exposé des motifs.

Les producteurs de musique avancent que l’interdiction de la redevance pour copie sur le reconditionné « aurait un effet direct de privation de revenus pour tous les professionnels de la culture, qui sont parmi les plus touchés par la crise sanitaire ».

Selon leurs petits calculs, « une exonération de RCP sur les reconditionnés causerait un préjudice immédiat estimé à 30 millions d’euros qui pourrait doubler voire tripler dans les années à venir avec le développement de l’usage ». Un chiffre sorti d’une étude que les ayants droit ont eux-mêmes financée où ils jaugent à 2,6 millions le nombre de téléphones reconditionnés vendus en 2020, avec une redevance théorique moyenne de 11,80 euros.

amendement copie privée

Un péage sur les usages de copie

Dans leur amendement, ils affirment que « maintenir la RCP sur les reconditionnés ne revient pas à payer deux fois pour le même usage ». Dans leur esprit, « un appareil reconditionné (et donc nettoyé et réparé, à ne pas confondre avec un produit d’occasion) fait l’objet d’un nouvel usage par un second acquéreur pour une durée d’utilisation similaire à celle d’un téléphone neuf (plus de 2 ans) ».

En somme, un changement d’écran ou de batterie, un coup d’éponge, une revente et voilà notre téléphone prêt à subir à nouveau la redevance pour copie privée.

Une définition nettement plus douce que celle du « bien reconditionné » que l’exécutif prépare tant bien que mal par décret, à savoir « un produit ou d’une pièce détachée d’occasion (…) ayant subi des tests portant sur toutes ses fonctionnalités afin d’établir qu’il ou elle répond aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre, ainsi que, s’il y a lieu, une ou plusieurs interventions afin de lui restituer ses fonctionnalités ».

Peu importe. Selon les ayants droit, sur un reconditionné « la capacité à réaliser des copies est réinitialisée et génère un nouveau préjudice aux ayants droit qui justifie une contrepartie financière ». Et selon eux, ce léger prélèvement est indolore : « l’impact pour le consommateur est d’autant plus limité (environ 3 %) qu’il s’agit de produits haut de gamme restant chers (332€ en moyenne pour un smartphone reconditionné) ».

Un téléphone qui changera quatre fois de main, subira donc autant de fois la perception, les ayants droit considérant que les usages de chaque utilisateur s’empilent.

Une redevance payée en partie par les contribuables

Ils affirment encore que « l’économie des reconditionnés n’est ni circulaire, ni locale : les reconditionnés ne sont pas des produits essentiellement vendus par des TPE de l’économie circulaire et solidaire, mais des produits commercialisés par des géants de l’Internet ». Et de pointer un doigt sur Back Market « qui fédère essentiellement des vendeurs étrangers ». Ils ne précisent pas que la redevance sera payée par l’ensemble des reconditionneurs, que celui-ci importe des biens d’Asie ou la SARL française qui ne s’alimente que sur le marché français.

Enfin, avancent-ils, le prélèvement sera d’autant plus discret que la proposition de loi prévoit un crédit d’impôt à la numérisation des TPE-PME « qui inscrit l’acquisition d’équipements reconditionnés parmi les dépenses éligibles ».

Ils citent encore l’article 14 qui « propose un taux de TVA réduit sur la réparation et l’acquisition d’appareils reconditionnés, la TVA écologique étant un sujet qui pourrait plus généralement marquer la future présidence française de l’Union européenne ».

En somme, ils admettent vouloir aspirer une partie du coup de pouce fiscal offert aux reconditionneurs, via la redevance pour copie privée.

Questionnaire qualitatif, questionnaire quantitatif

Les industries culturelles, qui n’avaient eu de cesse de dénoncer le lobbying de Google lors du débat sur la directive droit d’auteur, oublient de préciser dans leur amendement paré et ficelé que l’étude d’usage menée sur les biens reconditionnés est avant tout qualitative.

Parmi les questions, il a été demandé aux sondés s’ils ont copié davantage, autant ou moins de fichier qu’avec leur ancien téléphone neuf. Ils évitent donc soigneusement de mesurer une volumétrie précise des fichiers copiés, se contentant de glaner des impressions. Par ce biais, selon les quelques résultats obtenus, ils pourront ajuster l’actuel barème pour les smartphones neufs, défini en 2017.

Au prix d’une procédure CADA, nous avions à l’époque obtenu communication des résultats de l’étude d’usages sur les smartphones. L’Institut CSA, en charge de cette étude, avait à plusieurs reprises dénoncé des bases trop « faibles » au fil de son rapport.

Sur les 6 derniers mois, par exemple, 48 des 621 personnes interrogées avaient répondu avoir copié des films et autres œuvres protégées. 17 de ce même ensemble avaient dupliqué des clips musicaux ou vidéos sur la même période.

Malgré ces données négligeables, la Commission Copie privée avait établi un barème allant jusqu’à 14 euros pour les téléphones d’une capacité supérieure à 64 Go. Barème qui sert aujourd’hui de rampe de lancement de l’assujettissement des supports reconditionnés.

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