Tribune : le gouvernement défend la liberté d'expression... ou pas

Neutralité du niet

C’est aujourd’hui à 10h que Fleur Pellerin recevra l’avis du Conseil national du numérique «  relatif à la protection de la liberté d’expression au regard de la neutralité du net » des mains de Benoît Thieulin, président du CNNum. Les attentes sont fortes pour ce document, comme en témoigne la proposition faite par le collectif « NumNow », visant à pénaliser les atteintes à la liberté d’expression. Comme on le voit dans cette tribune, le texte est très ambitieux et a surtout pour mérite de montrer qu’en France, il n’existe pas à ce jour de pénalisation des atteintes à la liberté d’expression. Un mal nécessaire ou un oubli fâcheux ? Ce collectif a en tout cas bien en mémoire l’engagement de Jean-Marc Ayrault lors du séminaire gouvernemental sur le numérique. Nous publions ci-dessous une tribune signée Malicia, membre de ce collectif. Une tribune accompagnée d'une proposition de texte destinée à protéger pénalement les atteintes à la liberté d'expression. (Rédaction de PC INpact).

engagement liberté expression

 

La France se targue d'être la patrie des droits de l'Homme et a défini la liberté d'expression depuis plus de deux siècles dans son droit, d'abord via l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, ensuite par la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel dans le domaine. Ce droit de portée constitutionnelle est en réalité plutôt théorique car aucun délit ne vient sanctionner les atteintes à la liberté d'expression ou encore à l'accès à l'information. Il est en effet impossible pour un citoyen, sur le simple fondement de ce texte, de saisir la justice : essayez de porter plainte au commissariat pour atteinte à votre liberté d'expression telle que définie par la Constitution et vous aurez juste droit à un haussement de sourcil perplexe.

Jusqu'à la fin du 20e siècle, la liberté d'expression s'exerçait principalement sous deux formes : les assemblées physiques (syndicales, populaires, parlementaires, etc.) et la liberté de la presse. Ainsi, le Code pénal français dans son article 431-1 prévoit une protection dans le cadre des atteintes à l'autorité de l'État, et la loi de 1881 assure la protection de la liberté d'expression dans le cas de la presse. Il est évident qu'aucun de ces deux cadres réglementaires ne prend en compte les spécificités du numérique : les journalistes et acteurs de la presse ne sont plus les seuls à s'exprimer, tout un chacun lit, écrit, publie et commente ; la technique peut être utilisée, de manière parfaitement discrétionnaire (exemples dans le cas d'Apple, Amazon, Paypal ou encore Filecrop), pour entraver ces droits fondamentaux. La liberté d’expression est la première des libertés fondamentales, mais « Internet est le seul outil qui fasse de ce droit autre chose qu’une  pétition de principe », le rappelle à juste titre Laurent Chemla. D'où la nécessité ressentie de plus en plus fort d'étendre la protection de la liberté d'expression.

Coder la liberté d'expression ?

Une fois ce constat fait, la suite est limpide : il faut ajouter dans le droit français, au côté des dispositions de protection des libertés, donc dans le Code pénal, un délit d'atteinte à la liberté d'expression et à l'accès à l'information. « Code is law » pour citer le professeur de droit Lawrence Lessig. C'est à cette conclusion qu'est parvenu un collectif citoyen lors du premier rassemblement NumNowCamp sur le numérique à La Cantine (Paris) le 16 février dernier.

Le collectif a donc rédigé une proposition de projet de loi en ce sens, qui « ne vise pas à étendre ou modifier la définition de la liberté d'expression en droit français, mais à rendre cette liberté effective et à la protéger. »

Ce texte a été transmis au cabinet du Premier ministre dans les jours qui ont suivi et a fait partie des éléments probablement discutés pendant le séminaire gouvernemental sur le numérique du 28 février. Ce séminaire a débouché sur un ensemble de 18 mesures-clés dont la n°13 sur une « loi sur la protection des droits et des libertés numériques » (voir décryptage ici, capture ci-dessus).

Le gouvernement a-t-il décodé ?

La liberté d'expression et l'accès à l'information sur internet semblent être le cheval de bataille sur lequel le gouvernement mise ces derniers mois. Ainsi, la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, souhaitait réguler l'internet pour que les propos racistes et homophobes ne secouent pas aussi publiquement le quidam. Puis la ministre déléguée à l’Économie numérique, Fleur Pellerin, a honni la haine raciale sur Twitter, souhaitant que la question de la neutralité du Net soit examinée par le Conseil national du numérique. Et la sénatrice Esther Benbassa (EELV) affirmait récemment que « la loi sur la liberté de la presse de 1881 n'est plus appropriée aux nouvelles technologies » et devait mener une « réflexion nécessaire à l'élaboration d'une loi nouvelle sur la liberté de l'Internet », tout en précisant « J’ai conscience que c’est une question très délicate car on peut très vite saper la liberté d’expression. (...) Mais les mots peuvent aussi tuer. »

Qu'a donc décidé le gouvernement avec ces différents éléments sur la table ? C'est en ayant sous les yeux le résumé du séminaire que l'on saisit l'importance fondamentale des devoirs de philo : thèse, antithèse, malaise... Malaise car dans l'immédiat il est difficile de voir clair dans les pistes retenues : elles évoquent pêle-mêle le « respect de certaines de nos valeurs fondamentales, comme la liberté d’expression et de communication ou le droit à la vie privée », le « contrôle indépendant des mesures administratives de coupure ou de filtrage », la protection des données personnelles, la neutralité de l'internet, etc.


Malaise aussi car quid concrètement de la protection de la liberté d'expression et de l'accès à l'information ? Faut-il voir dans la formulation vague de la mesure n°13 une mise au panier de la proposition pourtant claire et simple du collectif NumNow, une temporisation, une reformulation, une volonté d'aller dans un sens différent, moins protecteur et plus coercitif ? Car on ne sait toujours pas si cette loi sur la liberté d'expression sera en défense ou en attaque même si l'évocation du cas Twitter ferait plutôt pencher pour la version attaque. Le texte met l'accent sur la « défense de nos valeurs », ce qui sous-entend l'interdiction de certains propos (négationistes, racistes, outrageant pour le chef de l'État) et parle de responsabilité des intermédiaires, mais sous l'angle de la responsabilité éditoriale. Enfin, la mention explicite du Code des postes et communications électroniques et les prérogatives à donner à l'ARCEP suggère que la liberté d'expression et l'accès à l'information seront du ressort de cette Agence qui se retrouverai ainsi avec des pouvoirs étendus.

Quel gouvernement aura le courage de défendre la liberté d'expression et d'accès à l'information aujourd'hui ?

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