Il y a un peu moins de deux ans, un « cataclysme » s’est produit relativement proche de nous… enfin à un milliard d’années-lumière tout de même. Il s’agissait d’un sursaut gamma, mesuré par différents instruments avec une précision alors inégalée, avec une surprise à la clé.
Le 29 août 2019, un phénomène important s’est produit dans l’espace : « les scientifiques enregistrent une explosion cosmique parmi les plus brillantes jamais observée dans l’Univers. Ce sursaut gamma a émis les photons les plus énergétiques jamais détectés dans ce type d’événement ».
En quoi est-ce important ? Tout simplement car l’analyse des données recueillies « remet en question l’origine des rayons produits lors de l’explosion », et donc d’une certaine manière notre connaissance de l’univers.
Ces travaux ont fait l’objet d’une publication scientifique dans le magazine Science il y a quelques jours, comme l’explique le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Des cataclysmes stellaires aux sursauts gamma
Edna Ruiz Velasco (un des auteurs de l’article) de l’Institut Max-Planck de physique nucléaire (MPIK) à Heidelberg en Allemagne rappelle que « les sursauts gamma sont des flashs lumineux de rayons X et gamma observés dans le ciel, émis par des sources extragalactiques [c’est-à-dire en dehors de notre galaxie, ndlr] lointaines ».
Ces explosions ne sont rien de moins que « les plus violentes de l'Univers ». Pour finir de s’en convaincre, la collaboration Ligo explique que les sursauts gamma « émettent typiquement autant d’énergie en quelques secondes que notre Soleil pendant les 10 milliards d’années de sa vie d’étoile ». Et n’allez pas croire que de tels phénomènes sont exceptionnels : « ils se produisent approximativement une fois par jour et proviennent de directions aléatoires dans le ciel ».
La création des sursauts gamma est « associée à la formation cataclysmique des trous noirs, soit par fusion de deux astres compacts (étoile à neutrons ou trou noir), soit par l'explosion soudaine d'une étoile massive, vingt à cent fois plus grosse que notre propre Soleil », explique le CNES.
Leur durée varie entre une fraction de seconde et des milliers de secondes. Les chercheurs les classent généralement en deux catégories (même si c’est un peu réducteur, car il existe d’autres paramètres) en fonction de leur durée : plus ou moins de 2 secondes.
Les sursauts longs (plus de 2 secondes donc) « sont produits par l’effondrement du cœur d’étoiles massives en rotation rapide sur elles-mêmes ». « Nous avons désormais la preuve que les GRBs courts (< 2 secondes) sont dus à la fusion de deux étoiles à neutrons, et peut-être aussi (mais cela n’a pas encore été observé directement) à la fusion d’une étoile à neutrons et un trou noir », expliquent les scientifiques.
Des phares qui éclairent « l'âge sombre de sa création »
Lorsqu’un tel événement se produit, il entraine la formation de jets de matière avec des vitesses proches de celle de la lumière, environ 300 000 km/s. Ensuite, ils décélèrent « dans le milieu circumstellaire [le disque de matière tournant autour d'une étoile, ndlr], balayant tout sur le passage ».
Dans un élan poétique, le Centre national d’études spatiales explique que « les sursauts gamma, si brillants, sont observables aux confins de l'Univers, agissant comme de véritables phares éclairant l'âge sombre de sa création ».
Ils sont étudiés depuis plusieurs dizaines d’années, mais sont malgré tout « des phénomènes encore mal compris », reconnait le CNES ; toutes les nouvelles informations sont donc bonnes à prendre. Le déroulement d’un sursaut gamma comprend deux phases. La première « chaotique » est très courte, tandis que la seconde dite « de rémanence » dure bien plus longtemps (on parle généralement en mois) et s'estompe doucement.
GRB 190829A : « proche » à… un milliard d'années-lumière
Maintenant que les bases sont posées, revenons au 29 août 2019 : les satellites Fermi et Swift détectent un sursaut gamma dans la constellation d’Éridan (hémisphère sud). Il est baptisé GRB 190829A. GRB pour Gamma-Ray Bursts (sursaut gamma en anglais), tandis que les chiffres correspondent à la date : (20)19 pour l’année, 08 pour le mois (août) et 29 pour le jour.
C’était « l'un des sursauts gamma les plus proches observés jusqu'à présent, avec une distance d'environ un milliard d'années-lumière », des conditions très intéressantes pour récolter des données. En effet, le CEA rappelle que, généralement, les « sursauts typiques » se trouvent à une vingtaine de milliards d'années-lumière environ.
En plus des satellites, les chercheurs ont « capté la rémanence de l'explosion dès qu'elle est devenue visible pour les télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System) en Namibie ». Le signal « était suffisamment fort pour être détecté immédiatement […] Cela nous a permis d'informer rapidement la communauté mondiale », explique Fabian Schüssler du CEA-Irfu et coordinateur de l’équipe en charge d’analyser ce sursaut. En tout, la campagne de mesure a duré pas moins de trois jours.
Un trillion de fois l'énergie des photons de la lumière visible !
Autre avantage découlant de la « faible » distance de la source de ce sursaut gamma, les astrophysiciens ont pu « mesurer en détail le spectre de la rémanence, c'est-à-dire la distribution des énergies des photons du rayonnement ». En effet, durant leur course jusqu’à la Terre, les photons n’ont pas été absorbés par des collisions avec la « lumière de fond », contrairement à ce qui se passe sur de plus grandes distances.
Le résultat est impressionnant : « Le spectre du GRB 190829A a ainsi pu être déterminé jusqu'à une énergie de 3,3 téra-électronvolts ». Cela ne vous parle pas ? C’est environ « un trillion [10¹⁸ ou un milliard de milliards, ndlr] de fois l'énergie des photons de la lumière visible. Il s'agit de l'énergie la plus élevée d'un sursaut gamma enregistrée à ce jour ». En 2019, le précédent record était de « 1 000 milliards ».
Ce sursaut gamma n’est que le quatrième à être détecté depuis le sol, mais les précédentes explosions s’étaient produites beaucoup plus loin dans l’univers. La rémanence n’avait pu être mesurée que pendant quelques heures à chaque fois (contre plusieurs jours ici), avec une énergie qui ne dépassait pas 1 téra-électronvolts. On comprend ainsi mieux la singularité de GRB 190829A et l’intérêt scientifique qu’il dégage.
Les rayons X et gamma plus proches qu’on le pensait
Reste à voir en quoi cela remet en question quoi que ce soit. L’analyse détaillée des rayons X et gamma a montré « de curieuses similitudes » entre les deux. Or, les théories actuelles supposent « que les deux composantes de l'émission doivent être produites par des mécanismes distincts ».
Deux points ne vont justement pas dans ce sens. Tout d’abord, « les rayons X et rayons gamma ont diminué de manière synchronisée ». Ensuite, « le spectre en énergie des rayons gamma correspond clairement à une extrapolation du spectre des rayons X ». Pour le CEA, « les rayons X et les rayons gamma de très haute énergie de cette rémanence ont été produits par le même mécanisme et en même temps ».
Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives prometteuses, qui devraient s’épanouir avec les instruments des prochaines générations. « Les scientifiques s'attendent à ce que des détections régulières dans la bande de très haute énergie deviennent courantes avec des instruments améliorés, ce qui aidera à comprendre pleinement ces explosions cosmiques gargantuesques »… et donc le fonctionnement de notre Univers, dans lequel nous ne sommes qu’un tout petit (petit (petit…)) point.