L'explosion des contaminations, en Inde, est telle que Twitter est submergé de « SOS » de malades ou de leurs proches, mais également d'hôpitaux, réclamant en urgence de l'oxygène, entre autres. L'un d'entre-eux vient d'être inculpé pour diffusion de fausse rumeur. A contrario, des centaines d'Indiens se mobilisent pour les aider.
La semaine passée, le gouvernement indien a demandé à Facebook, Instagram et Twitter de supprimer plusieurs dizaines de messages critiquant sa gestion de la pandémie de Covid-19, alors que le pays fait face à une hausse catastrophique des cas et les hôpitaux sont totalement débordés.
Le gouvernement de Narendra Modi (Parti du peuple indien, BJP) a justifié cette censure par le « risque d’incitation à la panique, l’utilisation d’images hors contexte, et le risque que ces messages perturbent son action face à la pandémie ». Si le pays était relativement épargné jusqu'alors, le nombre de cas confirmés explose littéralement.
Dans le même temps, Twitter a commencé à être inondé de milliers de tweets, émanant tant de particuliers que de centres médicaux et mêmes d'hôpitaux, demandant de l'aide pour obtenir des lits de soins intensifs, de l'oxygène, des ventilateurs, du Remdesivir, du plasma et d'autres éléments essentiels au traitement de la Covid-19. À l'instar de cet SOS d'un hôpital tweetant qu'il ne lui restait plus que 45 minutes d'oxygène en stock :
One of India's top hospital chains, Fortis, is sending SOS requests to Prime Minister of the country via Twitter. #IndiaCOVIDCrisis pic.twitter.com/3HcLj9d1qd
— Aditya Kalra (@adityakalra) April 22, 2021
Le 16 avril, un journaliste de 65 ans, Vinay Srivastava, tweetait pour sa part que son taux d'oxygène était tombé à 52, mais qu'aucun laboratoire hospitalier ne décrochait le téléphone. Le lendemain matin, il demandait de nouveau de l'aide sur Twitter, son taux étant tombé à 31.
Ses appels à l'aide, retweetés plusieurs milliers de fois, n'auront servi à rien. Il est mort dans l'après-midi alors que son fils implorait les autorités locales pour qu'elles lui trouvent un lit à l'hôpital.
Death in three tweets! #India pic.twitter.com/pU5RNWHIfm
— Sameer Yasir (@sameeryasir) April 17, 2021
Vice, qui revient sur sa mort en quasi-direct sur le réseau social, rappelle qu'une saturation en oxygène dans le sang inférieure au niveau de 94 est considérée comme alarmante pour les patients atteints de Covid-19.
« À l'hôpital de Balrampur, les gardes de sécurité m'ont même maltraité. Seuls les patients positifs à Covid peuvent être admis. Il n'y a pas de lits », a raconté son fils Harshit à The Print, après avoir été renvoyé de trois hôpitaux.
Il avait bien fait un test PCR le 17 au matin, mais le résultat ne pouvait lui être délivré que trois jours plus tard. Quand bien même il aurait été testé positif, Vinay Srivastava n'aurait pas pu être accepté dans les hôpitaux, qui exigeaient une lettre du médecin-chef (CMO) des autorités, suite à une directive du gouvernement.
Son fils avait supplié le personnel de sécurité en service de le laisser entrer, en vain. Depuis que la nouvelle de la mort de Srivastava est devenue virale, le gouvernement a ordonné aux hôpitaux d'admettre également des patients suspects de Covid.
La contre-attaque de dizaines de jeunes Twittos
La mort de Vinay Srivastava a bouleversé Nairit Gala, raconte Forbes India : « chaque fois que je me souviens de cet exemple, cela me donne des frissons. Voir quelqu'un mourir devant vous [virtuellement] est dévastateur. Je pouvais ressentir le désespoir et l'angoisse que sa famille avait dû endurer. Vous ne pouvez pas laisser quelque chose comme cette diapositive. Cela a été un tournant pour moi ».
Du haut de ses 20 ans, Nairit Gala, qui étudie la finance et est également gestionnaire de fonds d'actifs, a alors commencé par retweeter les demandes SOS, pour se rendre compte que ce n'était pas suffisant et qu'il fallait faire quelque chose de plus. Il a alors commencé à maintenir une base de données de ressources, et continué à rechercher des personnes qui avaient besoin d'aide.
Après que Gala a publié un tweet demandant à plus de personnes de l'aider, plus de 60 bénévoles, tous âgés de 18 à 25 ans, et qui ne se connaissaient pas jusqu'alors, ont commencé à tweeter de concert.
Une équipe garde un œil sur les demandes d'aide, une autre recueille des informations sur les prospects vérifiés, tandis qu'une troisième les vérifie. Le tout grâce à Twitter et une base de données dans Google Drive, qui contient différents documents contenant des informations vérifiées sur les lits d'hôpitaux, les services d'ambulance, la disponibilité de l'oxygène et du plasma, etc.
We tried and collected most of the links. It will connect you all to the resources. They are getting updated regularly. Frm ICU, OXYGEN, PLASMA to THERAPY AND FOOD. There is everything in this sheet.
— Aditi | DM or Check TL for covid resources (@stfulady) April 23, 2021
Please share it as much as you can https://t.co/OWQM4DW3x1
RT! AMPLIFY #covid
Ils ont ensuite décidé de créer un bot sur Twitter, qui retweete automatiquement les demandes et y répond avec le lien vers la base de données. « En seulement 14 heures, nous avons reçu 1 500 demandes », explique Anushka Jain, 20 ans elle aussi.

D'autres ont lancé plusieurs pages web facilitant les recherches sur Twitter et sur le web (par types de besoins exprimés dans les principales villes impactées), ou géolocalisant les lits et ventilateurs disponibles dans les hôpitaux. Au total, on dénombre d'ores et déjà plus d'une dizaine d'initiatives crowdsourcées de ce type, qui voient des citoyens tenter d'aider les autorités et les personnels soignants débordés.
Here are maps of #Bengaluru & #Delhi with all #Covid19 hospitals + their current availability of beds, ICUs & ventilators marked. Data is from official govt sources & reflected close to real time. Hope this helps you find the closest resources. Please RT!https://t.co/nPV9yzNp7V pic.twitter.com/45fbAgW3Qh
— Amogh Vaishampayan (@amogh42) April 25, 2021
L'équipe travaille aussi à la création d'un site Web car beaucoup de gens n'utilisent pas Twitter. Ils sont également en train de configurer et de commencer à fournir de l'aide via des applications de messagerie comme WhatsApp et Telegram pour répondre à plus de personnes.
Gala a également réussi à s'associer à certaines ONG et lancera bientôt une campagne de dons de plasma afin que le maximum de personnes puisse en offrir avant de se faire vacciner (une personne ne peut pas donner de plasma après avoir été vaccinée).
Certains bénévoles finissent par travailler plus de 12 heures par jour, chacun d'entre eux contribuant au moins 6 heures. L'équipe répond à environ 1 000 demandes par jour. Il existe cependant de nombreux cas dans lesquels les volontaires sont incapables d'aider les gens parce que les ressources s'épuisent rapidement; la demande l'emporte clairement sur l'offre, déplore Forbes.
« C'est un problème majeur. Nous travaillons tous jour et nuit, et pourtant nous ne sommes pas en mesure de garantir que les gens reçoivent de l'aide des pistes que nous fournissons. Mais nous faisons de notre mieux pour fournir des prospects dans un délai de 5 à 10 minutes », déclare Gala.
Conscient que de plus en plus de gens utilisaient Twitter pour s'informer de l'explosion de la pandémie, @TwitterIndia a lui aussi commencé à publier de nombreuses ressources afin d'aider les gens à s'informer, trouver de l'aide, apprendre à utiliser la recherche avancée pour affiner leurs requêtes, inciter les développeurs à utiliser son API, enrayer l'infodémie de fausses informations, tout en... lançant un nouvel émoji dédié, qui s'affichera désormais, en 11 langues, accolé aux hashtags #COVID19IndiaHelp, #COVIDEmergencyIndia et #COVIDIndiaSOS.
This emoji represents how people have helped others & is available in 11 Indian languages: Bengali Gujarati Hindi Kannada Malayalam Marathi Odia Punjabi Tamil Telugu Urdu. Hashtags to activate are: #COVID19IndiaHelp, #COVIDEmergencyIndia #COVIDIndiaSOS. https://t.co/UJ0A17k7z7
— Manish Maheshwari (@manishm) April 29, 2021
+2 892 % de patients hospitalisés pour Covid-19
La semaine passée, relève BellingCat, le tableau de bord Corona de Delhi indiquait que seuls 16 des 4 684 lits de soins intensifs Covid étaient vacants dans le territoire de la capitale nationale, qui dénombre une population estimée à 19 millions de personnes.
Sept jours plus tard, on dénombre certes 249 lits de soins intensifs en plus, mais seuls 11 des 4 933 lits sont disponibles. À titre de comparaison, en janvier, 1 740 des 1 993 lits de soins intensifs étaient vacants...

Quant au nombre de lits Covid « non intensifs », il est passé de 5 711 (dont 5 114 inoccupés) à 20 877, dont 1 219 vacants seulement. Le nombre de patients hospitalisés pour Covid-19 est passé de 850 à 24 580, soit... +2 892 %.
En mars, il n'y avait en moyenne que cinq tweets par jour (hors retweets) contenant les mots-clés « delhi » et « urgent ». Le 21 avril, ce nombre était passé à plus de 400, avec une nouvelle demande d'aide envoyée toutes les 24 secondes en fin de soirée le 22 avril. Le pourcentage de ces demandes indiquant un besoin en oxygène a également augmenté de façon spectaculaire le 22 avril.

Jeudi, rapporte Scroll.in, les principaux hôpitaux de la capitale nationale ont failli manquer d'oxygène pour la troisième journée consécutive. Des bouteilles d'oxygène ont été pillées dans une ville du Madhya Pradesh.
En réponse à un hôpital privé plaidant qu'il ne lui restait plus que deux heures d'oxygène, la Haute Cour de Delhi a même ordonné au gouvernement central de déployer des forces paramilitaires pour assurer un passage sûr aux camions-citernes à oxygène se dirigeant vers le Capitale.
La BBC a de son côté découvert que, faute de trouver des bouteilles d'oxygène dans les hôpitaux, d'aucuns en achètent sur le marché noir, où elles peuvent se négocier 50 000 roupies (557 €), alors que d'ordinaire elles n'en coûtaient que 6 000 (67 €). Et les revendeurs agréés contactés par la BBC avaient eux aussi multiplié leurs prix par 10, « au moins ».

Inculpé pour avoir demandé de l'oxygène
La police du district d'Amethi, dans l'État de l'Uttar Pradesh, là où est décédé Vinay Srivastava, vient de son côté d'inculper un homme qui avait lui aussi demandé, sur Twitter, de l'aide pour trouver de l'oxygène, au motif que son « faux tweet » et ses « informations trompeuses » avaient incité d'autres personnes à faire des allégations contre le gouvernement.
Elle l'accuse d'avoir répandu une rumeur sur les pénuries d'oxygène « dans l'intention de provoquer... la peur ou l'alarme ». Bien qu'il n'avait que 61 followers, que son message fut très peu retweeté, et qu'il n'avait pas mentionné la Covid, Shashank Yadav pourrait être envoyé en prison. La police a déclaré que l'accusé, libéré avec un avertissement, « avait avoué son erreur ».
तत्काल संपर्क किया तो जानकारी हुई कि इनके चचेरे भाई के नाना 88 वर्षीय थे, न उन्हें COVID था, न ऑक्सीजन की चिकित्सीय परामर्श थी। रात 8 बजे उनकी मृत्यु हार्ट अटैक से हुई। इस समय सोशल मीडिया पर इसप्रकार की समाज मे भय पैदा करने वाली पोस्ट डालना निन्दनीय ही नहीं, कानूनी अपराध भी है।
— AMETHI POLICE (@amethipolice) April 27, 2021
Les autorités lui avaient tout d'abord répondu, dès le lendemain, sur Twitter, en révélant que son grand-père était entre-temps mort d'une crise cardiaque, tout en l'accusant d'avoir commis une infraction :
« Contacté immédiatement, on a appris que le grand-père maternel de sa cousine avait 88 ans, qu'il n'avait pas de Covid et qu'il n'y avait pas eu de consultation médicale d'oxygène. Il est décédé d'une crise cardiaque à 20 heures. À l'heure actuelle, il est non seulement condamnable, mais aussi une infraction légale de publier ce type de messages générateurs de peur sur les réseaux sociaux. »
Son tweet avait été relayé, et donc amplifié, par le rédacteur en chef de The Wire, l'un des pure players indépendants indiens, qui avait au surplus tagué plusieurs responsables politiques d'Amethi. Et quelqu'un au gouvernement aurait décidé, explique The Wire, que cette « mauvaise publicité » pour le district et l'État ne devrait pas rester impunie.
L'objectif pourrait également être d'envoyer un signal aux familles de l'Uttar Pradesh que toute tentative de parler en public des difficultés à obtenir un traitement pourrait conduire à une poursuite pénale.
L'Uttar Pradesh est l'un des États les plus touchés de l'Inde. Son ministre en chef, Yogi Adityanath, un allié de droite du Premier ministre Narendra Modi, avait déclaré le 25 avril dernier, une semaine après le décès de Vinay Srivastava, qu'il n'y avait pas de pénurie d'oxygène dans les hôpitaux COVID privés ou publics de l'Uttar Pradesh.
Il avait aussi exigé que les biens de toute personne répandant des rumeurs et de la propagande soient saisis.