Des chercheurs font un pas vers la « production industrielle d’hydrocarbures biosourcés »

Mais il reste beaucoup à faire…
Tech 9 min
Des chercheurs font un pas vers la « production industrielle d’hydrocarbures biosourcés »
Crédits : aleksandarnakovski/iSTock

Une équipe internationale de chercheurs a « décrypté » le fonctionnement d’une photoenzyme clé pour la production de biocarburants et la chimie verte : la FAP (acide gras photodécarboxylase). Une avancée importante, mais qui est pour le moment encore loin d’être suffisante.

Dans un communiqué, le CEA explique que des « chercheurs ont décrypté les mécanismes de fonctionnement de la FAP – pour Fatty Acid Photodecarboxylase - naturellement présente dans des algues microscopiques comme la chlorelle. Cette enzyme avait été identifiée en 2017 comme capable, à l’aide de l’énergie lumineuse, de former des hydrocarbures à partir d’acides gras produits par ces microalgues ». 

On revient en douceur sur cette annonce et vous explique ses implications pour l’avenir… les enjeux sont en effet importants car il est question de « la production durable de biocarburants à partir d’acides gras naturellement produits par des organismes vivants ». La quête d’un Graal en quelque sorte : faire du biocarburant à partir d’algues, mais on n’est pas encore prêt d’y arriver pour le moment.

Quand des microalgues produisent des hydrocarbures

Commençons par planter le décor avec quelques rappels de biologie : « Les microalgues sont des micro-organismes photosynthétiques, c’est-à-dire qu’elles peuvent utiliser le CO₂ atmosphérique pour synthétiser les molécules organiques dont elles sont constituées », explique le CEA.

Il y a quelques années, le CNRS précisait qu’on « dénombre des milliers d’espèces de microalgues […] Leur forte teneur en protéines, lipides, sucres et pigments en fait un véritable or vert aux multiples applications en nutrition, cosmétique, énergie et chimie verte ». 

Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives rappelle de son côté que ces microalgues produisent « de grandes quantités de lipides et en plus faibles quantités des hydrocarbures semblables à ceux trouvés dans le pétrole ».

Roulement de tambours… voici l’enzyme FAP

En 2017, une importante découverte était publiée dans les revues scientifiques : l’enzyme FAP – acronyme anglais pour Fatty Acid Photodecarboxylase ou acide gras photodécarboxylase dans la langue de Molière – qui permet aux microalgues de « convertir les acides gras constituant leurs lipides directement en hydrocarbures ».

Pour ne rien gâcher, la FAP « est d’un type très rare qu’on appelle photoenzyme, c’est-à-dire une enzyme capable d’utiliser l’énergie lumineuse pour accomplir sa réaction ». Ce « détail » est très important car il permet de l’étudier plus facilement. En effet, une difficulté majeure des chercheurs est généralement de parvenir à analyser précisément « des phénomènes qui durent seulement des millièmes de milliardième de seconde ».

  • Enzyme FAP
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  • Enzyme FAP
  • Enzyme FAP

Le fonctionnement de la FAP élucidé en détail

Avec les photozenzymes les chercheurs utilisent des impulsions lumineuses dont ils maitrisent la durée et la fréquence. Voici le résultat de leurs analyses :

« lorsque la FAP est éclairée et absorbe un photon, un électron est arraché en 300 picosecondes à l’acide gras produit par les algues. Cet acide gras est alors dissocié en précurseur d'hydrocarbure et en dioxyde de carbone (CO₂). La majorité de ce dernier est ensuite transformée en bicarbonate (HCO₃⁻) en 100 nanosecondes ».

Un processus extrêmement rapide, qui mérite que l’on s'attarde sur les détails. Pour cela, les chercheurs de l'Institut de biosciences et biotechnologies d'Aix-Marseille (BIAM) à Cadarache proposent un plongeon au cœur de cette enzyme, dans ce que l’on appelle son « site actif ».

Sur place, on trouve plusieurs éléments : le « FAD, un dérivé de la vitamine B2, qui est une petite molécule associée à l’enzyme et indispensable à son fonctionnement », car elle permet justement à l’enzyme d’utiliser la lumière. Les autres éléments essentiels à la réaction sont le substrat (un acide gras), un acide aminé très particulier – une arginine – et enfin une molécule d’eau.

Voici le déroulement du cycle catalytique :

  • Il est initié par l’arrivée sur l’enzyme d’un photon qui va être absorbé par le FAD
  • Le FAD ainsi énergisé souhaite alors se débarrasser de cette énergie excédentaire. Il va alors arracher un électron au substrat, en 300 picosecondes.
  • Cela entraine la décarboxylation spontanée du substrat, c’est-à-dire sa coupure en une molécule de CO₂ et un radical alkyle. Ce dernier est presque un hydrocarbure. Il ne lui manque qu'un atome d’hydrogène (c’est-à-dire un proton et un électron).
  • Cet hydrogène manquant est obtenu par le transfert combiné d’un proton, l’arginine, et le retour de l’électron qui était en attente sur le FAD. Cette opération ne prend que 100 nanosecondes.
  • Il manque désormais un proton sur l’arginine. C’est au tour de la molécule d’eau d’entrer en jeu en se fractionnant en un proton (H+) et en ion hydroxyde (OH-). Le H+ retrouve l’arginine (qui n’est plus en manque) et le OH- réagit avec le CO2 formant du bicarbonate, « dans un procédé extrêmement rapide ». 
  • Maintenant le bicarbonate quitte le site actif, mais les scientifiques ignorent par contre « s’il sort de la protéine tel quel ou après retransformations en CO₂ ». Dans tous les cas, cette étape est suivie du retour en 3 millisecondes d’une molécule d’eau.
  • La phase finale s’enclenche : c’est au tour de l’hydrocarbure de quitter le site actif. Un nouvel acide gras peut alors faire son entrée et un nouveau cycle réactionnel commence.

Cerise sur l’enzyme, cette activité n’empêche pas la photosynthèse – qui utilise elle aussi la lumière. La raison est assez simple : la molécule intégrée à la FAP qui absorbe le photon « est courbée », ce qui a pour conséquence de « déplacer le spectre d’absorption de la molécule vers le rouge, de sorte qu'elle utilise des photons non exploités pour l’activité photosynthétique de la microalgue ».

Toutes ses découvertes font l’objet d’une publication dans Science.

Et maintenant ?

C’est bien beau de décrypter le fonctionnement de l’enzyme FAP, mais à quoi tout cela peut-il servir concrètement ? Pour le moment à pas grand-chose… mais il s’agit de faire avancer la théorie, ce qui est toujours intéressant et bien souvent une étape indispensable avant la pratique.

Les enjeux sont importants, car en plus de faire avancer la science et notre connaissance du vivant, cette « élucidation du cycle catalytique de la FAP devrait en outre contribuer à améliorer cette enzyme en vue d’une production industrielle d’hydrocarbures biosourcés ». Une étape est certes franchie, mais il reste encore un très long chemin probablement semé d’embuches avant d’arriver au Graal. 

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