Peut-on contraindre la mairie de Paris à communiquer ses notes de frais de restauration et de représentation à un justiciable qui les lui réclame ? « Oui ! » répond en substance le tribunal administratif de Paris, saisi par le journaliste Stefan de Vries. Next INpact publie la décision.
En 2021 après Jésus-Christ, des entités administratives ont toujours visiblement des difficultés à comprendre les demandes de communication de documents (dites procédure CADA pour « Commission d’accès aux documents administratifs »). Et la mairie de Paris n’échappe pas à la règle.
Dans un mail adressé en janvier 2018, le journaliste néerlandais Stefan de Vries, spécialiste de la vie politique française, réclamait de la ville communication d’une liasse de documents : notes de frais, reçus des déplacements, frais de restauration précisant le nom des personnes invitées outre les reçus de tous les autres frais de représentation des membres de son cabinet, et ce sur les 12 derniers mois.
Silence des services qui, au bout d’un mois, équivaut à une décision de refus. L’ex-journaliste de France 24 n’en démord pas. Il saisit alors la CADA. Bien lui en a pris. Le 12 juillet 2018, l’autorité rend un avis favorable pour le cœur de sa demande.
Le 26 février 2019, ne voyant rien venir, il réitère sa demande, armé cette fois du fameux avis. Nouveau silence de la mairie, et nouvelle décision implicite de rejet. La suite de l’épisode s’est dénoué devant le tribunal administratif de Paris.
Un silence attaqué devant le tribunal administratif
Défendu par Me Khatri, Stefan de Vries a attaqué ce refus « en creux » pour contraindre la ville à ouvrir enfin les vannes.
Dans son jugement du 11 mars que nous diffusons ci-dessous, la juridiction administrative va d'abord balayer l’ensemble des arguments procéduraux imaginés par la municipalité.
Sur le fond, le tribunal a surtout rappelé la définition particulièrement large de la notion de « documents administratifs ». Selon l’article L.300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, elle embrasse « notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ». Et encore, la liste n’est pas exhaustive.
Rien qui n'ait trait à la vie privée
Le jugement, très pédagogique, cite également une autre disposition. Selon l’article L. 311-6 du même code, ne sont pas communicables les documents « dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée », ceux « portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable » et enfin les documents « faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. »
Mais les juges auront eu beau chercher, analyser et ausculter, il ne ressort pas des pièces du dossier que les pièces réclamées, « qui se rattachent à l’usage de fonds publics par la maire de Paris et des membres de son cabinet », entrent dans l’une de ces exceptions. Argument qu’avait défendu vainement la mairie.
Des documents communicables pour la justice
« Par suite, contrairement à ce que soutient la maire de Paris, ces documents n’ont pas à faire l’objet d’une occultation en application des dispositions précitées du code des relations entre le public et l’administration ».
Le journaliste, aujourd’hui chez Euronews, « est dès lors fondé (…) à demander l’annulation de la décision implicite de rejet par laquelle la maire de Paris a refusé de lui communiquer les documents demandés ». Victoire totale.
Le « refus illégal » d’Anne Hidalgo a même été qualifié de « faute de nature à engager » sa responsabilité. La mairie est au final condamnée à devoir lui payer 1 000 euros pour couvrir son préjudice matériel et moral, consécutif à ces retards.
Et si M. De Vries n’a pas obtenu la mesure d’astreinte, le tribunal enjoint à la maire de Paris de lui communiquer la copie non anonymisée de tous ses frais de restauration ainsi que ceux de son cabinet, outre « la copie non anonymisée de tous les autres frais de représentation de la maire », et ce dans un délai de deux mois. Le demandeur a enfin obtenu 2 000 euros pour couvrir les frais exposés.
Dans la newsletter qu'il consacre à la vie politique française, Stefan de Vries explique que c'est la neuvième fois qu'il saisit ainsi la CADA, qui lui a toujours donné raison. Évoquant la « longue attente » à laquelle il a été confronté, de Vries déplore que « ce long délai n'est pas inhabituel » :
« Les tribunaux français sont structurellement sous-financés. La France ne dépense que 69 € par citoyen et par an pour le système judiciaire, tandis que l'Allemagne dépense presque le double, 131 €. Les juges sont sous-payés, les palais de justice sont souvent abandonnés et font souvent penser aux Misérables (le livre, pas la comédie musicale!). »