La Cour des comptes se penche sur les cendres de l’Agence du numérique

L’agence tous risques
Droit 6 min
La Cour des comptes se penche sur les cendres de l’Agence du numérique

Dans le cadre de son rapport annuel publié aujourd’hui, la Cour des comptes s’est penchée sur les politiques de feu l’Agence du numérique. Au menu des magistrats financiers : French Tech, couverture numérique du territoire et inclusion numérique. 

Pour la Cour, certaines de ces politiques donnent parfois des résultats intéressants, mais butent souvent sur nos réalités administratives. 

L’Agence du numérique avait été créée en février 2015 et avait trois missions très différentes. D’abord, participer au déploiement des infrastructures numériques fixes et mobiles. Ensuite, lutter contre l’illectronisme. Enfin, aider les start-up françaises à travers la French Tech.

Trois missions très disparates qui, suite à la dissolution de l’agence depuis le 1er janvier 2020 ont été réparties entre l’agence nationale de la cohésion des territoires et la direction générale des entreprises de Bercy, qui a été chargée de la French Tech.

La French Tech : une action com’ réussie

La Cour dresse un bilan plutôt positif de la French Tech. Elle « a renouvelé l’image du tissu d’entrepreneurs français du numérique, « grâce à une stratégie de marque qui s’est révélée mobilisatrice ». La marque French Tech est une réussite, mais les initiatives sont très axées sur la com’, comme la politique de labellisation de communautés French Tech, le Next 40 ou le French Tech 120.

Certaines des initiatives butent sur les réalités de l’administration française. Ainsi le programme French Tech Ticket lancé en 2015. Il subventionnait à hauteur de 45 000 € des équipes étrangères s’installant en France pour au moins un an. À la clef : une délivrance de visa accélérée, une incubation pendant un an et un accompagnement spécifique. Las, « ce programme, qui a buté sur la durée des formalités de renouvellement des titres en préfecture, n’a pas été renouvelé en 2019 ». Le droit français de l’immigration passe avant les intérêts numériques du pays…

Le French Tech Ticket a depuis été remplacé en 2017 par un French Tech Visa, qui permet aux start-ups françaises de bénéficier d’une procédure accélérée pour le recrutement de salariés étrangers. Mais pour la Cour, « sa mise en place récente ne permet pas de l’évaluer et notamment de déterminer si la durée des formalités en préfecture a pu être réduite. »

La Cour des comptes s’interroge également sur l’implantation à Station F, « une idée intéressante, un montage critiquable ». Station F est un campus de start-up de 35 000 m² situé, depuis 2017, à la Halle Freyssinet dans le XIIIe arrondissement. L’agence avait activement participé à la création de la SAS Station French Tech, dont les deux associés sont publics.

Cette SAS, au capital d’un million d’euros, sans salarié, a passé deux marchés avec un prestataire événementiel chargé de développer les recettes commerciales pour payer les 600 000 € de loyer annuel à Station F. Déficitaire en 2017 et 2018, la SAS serait légèrement bénéficiaire en 2019.

Pour la Cour, la présence de services publics à Station F peut être un facteur de synergies entre acteurs du numérique et administrations. Mais le montage interroge : « il n’est pas de la vocation des pouvoirs publics de détenir une société dont les activités sont celles d’un loueur d’espaces et d’un prestataire événementiel. »

Dans sa réponse, Bercy rétorque qu’il ne partage pas le constat de la Cour sur l’action trop centrée com’ de la French Tech, mettant en avant d’autres programmes (Community fund, French Tech Visa, Welcome to la French Tech Desk). Sur Station F, Bercy confirme qu'il sera prochainement procédé au retrait de l'État de la gouvernance et du capital de la SAS Station F. « La direction de l'Immobilier de l'État sera consultée pour définir, le cas échéant, les conditions de location du futur lieu d'implantation de la mission. »

Le poids des réseaux

L’action principale de l’Agence du numérique était d’encourager la couverture numérique du territoire, à travers notamment la mission très haut débit et la mission France Mobile. Le plan France très haut débit (que nous avons détaillé dans notre second magazine) représente 20 milliards d’euros d’investissement sur dix ans, avec notamment 3,3 milliards de l’État au soutien des réseaux d’initiative publique, les moins denses.

Pour la Cour, il y aura des retards probables dans les zones d’initiative publique : « Des interrogations demeurent toutefois sur la capacité à atteindre 100 % de couverture en THD (et 55 % en FTTH) à horizon 2022 » dans ces zones.

Concernant la couverture 4G, la Cour note que la première échéance (fin juin 2020) a « été reportée d’environ trois mois et demi, au 9 octobre 2020. Elle révèle qu’une quarantaine de sites n’ont pas été livrés dans les temps par les quatre opérateurs », alors qu’il s’agissait de sites connus depuis longtemps. À noter, à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour analysera en 2021 le déploiement des réseaux mobiles 4G en France et l’accord « New Deal mobile ».

Sur ces points, dans sa réponse, le gouvernement est plus confiant que la Cour. Il pense pouvoir atteindre les objectifs du Plan France Très Haut Débit. Pour les 40 sites qui avaient du retard concernant la 4G en octobre, « l'ensemble de ces sites fait l'objet d'un examen détaillé par le régulateur, en lien avec les opérateurs concernés ».

Mais la Cour regrette également l’opacité sur les financements. Ainsi « aucune indication sur les bénéficiaires de subventions n’étant fournie dans les documents budgétaires 174 ni sur le site internet de l’agence depuis 2017, le Parlement ne peut pas aisément suivre l’avancement des différents projets de RIP et apprécier les besoins en crédits de paiements, sachant que plus de 80 % des paiements restaient à effectuer fin 2019. »

De plus, pour mettre en œuvre le plan très haut débit, l’agence du numérique a eu recours, pour une quinzaine de personnes, « à des personnels mis à disposition par des sociétés titulaires de marchés ». Un choix, très coûteux, qui « apparaît particulièrement critiquable ».

L’illectronisme : le pass passe pas

Dernière politique de l’agence du numérique : la lutte contre l’illectronisme, qui, selon l’Insee, concerne 17 % de la population, souvent âgée, peu diplômée ou modeste. Une politique d’inclusion numérique qui s’est concentrée sur deux outils : le « pass numérique » et la Mednum. La Cour est cinglante : les dispositifs sont « inutilement complexes » et « n’ont pas donné de résultat ».

Ainsi le Pass numérique en est toujours au stade expérimental, au bout de quatre ans. 1 million de Pass numérique devaient être déployés pour permettre l’accompagnement de 200 000 personnes.

« Il n’existe pas aujourd’hui d’évaluation de l’efficacité de cet instrument. Les retours d’expérience des premiers déploiements du pass sont, pour le moment, peu convaincants, les commanditaires rencontrant des difficultés à définir le public cible et à l’atteindre effectivement. Ils font également état de la réticence de certains acteurs de la médiation numérique, majoritairement associatifs, à l’idée de rendre leurs services payants via la facturation des services d’accompagnement ». L’absence de leur d’évaluation ressort de la majorité des expériences, « jetant un doute sérieux sur l’efficacité de l’instrument. »

Bercy se justifie : le pass a « été fortement impacté par la crise sanitaire en 2020, les collectivités n'ayant pas pu entamer la distribution ». Mais sur le bilan du pass, un parcours d'évaluation des compétences ABC PIX permettra de suivre l’effet sur les bénéficiaires.

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