« ATTENTION, notre site risque d'être bloqué en FRANCE très prochainement ». Voilà le message placardé par PornHub depuis peu. Ce message est consécutif à une procédure initiée par trois associations devant le CSA. La cible ? Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster Tukif et Jacquie et Michel.
Dans la lettre révélée par Next INpact, datée du 17 novembre dernier, ces trois mousquetaires avaient réclamé du gendarme de l’audiovisuel des actions à l’égard de six des principaux sites pornos accessibles depuis la France : Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster, Tukif et Jacquie et Michel.
Initiée par l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), le Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant (COFRADE, qui compte OPEN dans ses rangs) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF), cette procédure a pour tremplin la loi d’initiative LREM « visant à protéger les victimes de violences conjugales ».
Concrètement, ce texte a modifié le Code pénal en particulier son article 227-24 qui, depuis des années, réprime le fait de rendre simplement accessibles aux mineurs, des contenus pornographiques.
Cette loi du 20 juillet 2020 a ainsi ajouté un alinéa à cet article pour considérer ce délit toujours constitué lorsque l’accès au site X résulte d'une simple déclaration où l’internaute indique qu'il est âgé d'au moins dix-huit ans.
En clair : les déclarations sur l’honneur où, main droite en l’air, un visiteur affirme être majeur, ne valent plus rien. Conclusion mécanique : malgré ce « disclaimer », l’éditeur du site encourt toujours jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (quantum étant multiplié par cinq pour les personnes morales).
Une procédure de blocage lancée à partir de mi-avril
La procédure est en deux temps : d’abord une saisine du CSA, puis une action judiciaire aux fins de blocage décidée par le président du CSA. Le 18 février, nous révélions que le Conseil supérieur de l’audiovisuel était désormais prêt à prendre une décision.
Lorsqu’il constate qu’un site porno se limite à une déclaration d’âge, son président du CSA peut adresser au site concerné une mise en demeure. Pour le cas présent, la procédure a été plus graduée que celle prévue par le législateur.
Le président du CSA a adressé un courrier à l’ensemble des éditeurs des sites X concernés. Il a constaté à chaque fois que « l’accès au contenu de ces sites résultait d’une simple déclaration de majorité ». Selon nos informations, même la simple entrée d’informations de carte bancaire est, en l’état une condition d’accès qu’il juge insuffisante.
Roch Olivier Maistre a laissé à chacun d’eux la possibilité de lui communiquer « au plus tard le mardi 16 mars 2021, les observations que vous estimerez utiles à l’instruction de ce dossier ».
Faute de mieux, « à l’issue de ce délai, nous vous informons que la procédure de mise en demeure (…) sera susceptible d’être engagée ».
Si l’on reprend les dispositions de la loi LREM, d’ici la fin mars, le président du CSA menace de leur adresser une mise en demeure « enjoignant [chacun des sites] de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé ».
À cet instant, un nouveau délai de 15 jours débutera dans lequel la personne destinataire de l'injonction disposera de délai de quinze jours pour présenter ses observations.
À l'expiration de ce délai, donc au 15 avril, les sites qui n’auront mis en place une solution permettant de s’assurer que l’internaute est bien majeur pourront faire l’objet cette fois d’une procédure de blocage.
Concrètement là encore, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel pourra saisir le président du tribunal judiciaire de Paris à cette fin. Il pourra également demander le retrait de ces sites des moteurs de recherche.
Pass au bureau de tabac, FranceConnect... Les pistes de PornHub
Face à cette tempête annoncée, Porn Hub a mis en ligne un sondage, dont les résultats seront partagés « avec le gouvernement ».
Il demande aux internautes de se prononcer sur plusieurs pistes qui pourraient permettre de vérifier l’âge des visiteurs. « Si cette loi était mise en place, quelle serait votre préférence en tant que méthode de vérification ? »
- Un identifiant venant d'un service public (comme FranceConnect).
- Un identifiant fourni par mon prestataire internet (FAI).
- Une vérification "zéro euro" (gratuite) par carte bancaire.
- Un micropaiement par carte bancaire.
- Un code sms par le biais de mon prestataire mobile qui sait si je suis majeur ou pas.
- Un selfie avec une pièce d'identité.
- Un simple login fourni par mon fournisseur internet.
- Une analyse de mon visage en webcam par une AI [Intelligence Artificielle].
- Une analyse de mon visage en webcam par une personne réelle.
- Présenter un document d'identité par webcam à une AI [Intelligence Artificielle
- Présenter un document d'identité par webcam à une personne réelle.
- Acheter un pass dans un bureau de tabac.
- En personne dans un établissement public.
Une obligation impossible ?
La loi LREM montre désormais ses ombres, à savoir la difficulté de vérifier et s’assurer de la majorité d’un internaute. En attendant, on imagine assez mal qu’un internaute aille en mairie pour justifier de son âge avant d’accéder à PornHub (ou n’importe quel autre site porno). De même, on conçoit difficilement l’usage de FranceConnect, Cédric O ayant exclu cette piste.
Le micropaiement par carte bancaire a visiblement été rejeté par le CSA. Quant aux autres suggestions, notamment la fourniture d’une carte d’identité, rien n’empêche l’usage frauduleux d’une fausse pièce. Restent encore la méthode du selfie ou celle encore de l’achat d’un pass auprès d’un bureau de tabac dont on devine sans mal le succès très relatif…
Tous les sites ne seront pas forcément bloqués. On ne sait encore comment le CSA appréciera la solution choisie par Jacquie et Michel, qui a mis le cap sur My18Pass, basée sur OpenID qui repose à la fois sur une vérification de la carte bancaire et d’un document d’identité par un tiers.
Ces prochaines semaines seront en tout cas décisives pour les sites concernés, sachant toutefois que la loi de 2020 a renvoyé à un décret le soin de préciser les « conditions d'application » de l’article.
Le texte est sur la rampe, préparé selon nos sources dans les entrailles du CSA. Il serait programmé dans les semaines à venir.
Cette législation risque cependant de montrer rapidement ses limites. Le législateur en effet a précisé les contrôles d’accès désormais prohibés, mais sans préciser celles jugées acceptables.
La députée LREM Bérangère Couillard avait évacué cette difficulté par une pirouette : « il revient aux éditeurs de sites de s’assurer que leurs contenus ne sont pas susceptibles d’être consultés par des mineurs. La liberté des moyens leur est laissée pour ce faire ».
Chaque éditeur doit donc trouver une solution que ni les textes ni les débats parlementaires n’ont su définir. Pourrait du coup se poser rapidement une problématique plus épineuse : le législateur n'a-t-il pas dévolu trop généreusement au CSA le soin d'apprécier le spectre de cette infraction, en oubliant le périmètre de ses compétences ?