Blocage des sites X : « il existera toujours des méthodes pour contourner la vérification d’âge »

Quand Tukif ne kiffe pas
Droit 9 min
Blocage des sites X : « il existera toujours des méthodes pour contourner la vérification d’âge »
Crédits : Robin2b/iStock

Le CSA est en passe d’activer la procédure, votée l’an passé en plein cœur de l’été : engager une procédure de blocage judiciaire à l’encontre des sites X, du moins ceux se limitant à une simple déclaration de majorité (« disclaimer »). Le webmaster de Tukif, un des sites visés, a bien voulu répondre à nos questions.

Avec Jacquie et Michel, Pornhub, Xvideos, Xnxx et Xhamster, le site Tukif fait partie des premiers sites dénoncés par trois associations. Il leur est reproché de se contenter d’une simple déclaration de majorité pour contrôler l’âge des internautes qui fréquentent leurs pages destinées aux adultes.

Or, depuis la loi du 30 juillet 2020, portée par le groupe LREM, le législateur a désactivé juridiquement cette pratique. C’est l’une des plus conséquentes briques du plan de bataille de la majorité présidentielle contre le porno en ligne.

En 2017, Emmanuel Macron assurait déjà qu’« aujourd'hui, la pornographie a franchi la porte des établissements scolaires comme naguère l'alcool ou la drogue. Nous ne pouvons pas d'un côté déplorer les violences faites aux femmes et, de l'autre, fermer les yeux sur l'influence que peut exercer sur de jeunes esprits, un genre qui fait de la sexualité un théâtre d'humiliation et de violences faites à des femmes qui passent pour consentantes ».

Trois ans plus tard, Adrien Taquet, secrétaire d’État au ministère des Solidarités et de la Santé , ajoutait qu’existe, selon lui, « une sorte de continuum entre une exposition trop précoce à des films pornographiques et des comportements violents qui pourraient se manifester par la suite ».

Avec la loi de juillet 2020, un site se limitant à un disclaimer reste éligible à la sanction, celle consistant à laisser accessible aux mineurs des contenus destinés aux adultes. L’éditeur risque alors trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, voire 375 000 euros d’amende pour les personnes morales.

La procédure est rythmée en deux temps. Premier temps, la saisine du CSA qui se voit armé de la possibilité d’adresser une mise en demeure aux sites mis à l’index. Sans réaction suffisante, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut alors saisir la justice aux fins de blocage.

Problème : le législateur s’est bien gardé de définir un système pouvant remplacer ces « disclaimers ». La députée LREM Bérangère Couillard, rapporteure, considère sur ce point qu’« il revient aux éditeurs de sites de s’assurer que leurs contenus ne sont pas susceptibles d’être consultés par des mineurs. La liberté des moyens leur est laissée pour ce faire ».

Nous avons pu recueillir le témoignage du webmaster de Tukif (qui préfère être présenté ainsi), sur ce système de contrôle d’âge désormais dans le droit positif.

Comment accueillez-vous la procédure initiée devant le CSA ? Où en est-elle ?

Nous accueillons cette procédure avec beaucoup de scepticisme, car le décret n'ayant pas été publié, la loi semble impossible à appliquer en l'état.

Pour le moment la procédure n'est pas officiellement lancée, nous n'avons pas été mis en demeure contrairement à ce qu'indiquent plusieurs articles de presse. Nous avons simplement reçu un courrier du CSA nous demandant des observations utiles concernant l'instruction de notre dossier suite à la saisine du CSA par trois associations à l’encontre de notre site.

Qu’envisagez-vous pour contrôler l’âge des internautes consultant votre site ?

Nous travaillons en partenariat avec une entreprise tiers pour l'installation d'un système permettant de vérifier l'âge des internautes avec trois méthodes pour le moment :

Vérification par pièce d'identité : notre système scanne la pièce d'identité de l'utilisateur afin de détecter son âge. Si l'utilisateur a plus de 18 ans, l'accès est autorisé. Le scan est fait directement sur l'appareil de l'utilisateur, le fichier image de la pièce d'identité n'est envoyé sur aucun serveur et n'est pas conservé pour garantir l'anonymat des utilisateurs.

Vérification par carte bancaire : notre système vérifie que le numéro de carte bancaire est valide, mais ne réalise aucune transaction sur la carte. De ce fait, la date d'expiration ou le CVV ne sont pas nécessaires aux fins de la vérification. Si le numéro de carte est valide, l'accès est autorisé.

Vérification par selfie (analyse de la photographie du visage de l’utilisateur) : nous utilisons un script basé sur l’intelligence artificielle permettant d'estimer l’âge de l'utilisateur de façon très précise et en quelques secondes à partir de cette photographie. Si l’âge estimé est supérieur ou égal à 18 ans, l'accès est autorisé. L'analyse est faite directement sur l'appareil de l'utilisateur, le fichier image du selfie n'est envoyé sur aucun serveur et n'est pas conservé pour garantir l'anonymat des utilisateurs.

Nous travaillons sur d'autres méthodes de vérification d'âge qui sont encore en cours de développement.

La méthode que les utilisateurs plébiscitent selon les sondages est une vérification par SMS. Nous avons pour cela contacté l’ARCEP ainsi qu’Orange et SFR afin de développer un système permettant après l'envoi d'un SMS pour vérifier le numéro et de valider l'âge du détenteur de la ligne téléphonique à l’aide des données clients des opérateurs. Orange nous a indiqué que c'est impossible, l'ARCEP et SFR ont signifié une fin de non-recevoir.

À deux reprises nous avons contacté le CSA pour en savoir plus sur le cadre des mesures à prendre et connaître leur avis sur les méthodes de vérification que nous préparons. Nous n’avons reçu aucune réponse à ce jour. TuKif.com pourrait très bien finir par être bloqué en France, non pas par refus d’installer une vérification de majorité, mais parce que le CSA reste muet face à nos interrogations et semble vouloir appliquer la sanction à l’issue de la date butoir sans aucune concertation avec nous.

Notre système est anonyme et ne transfère ni ne stocke aucune donnée personnelle sur nos serveurs. Toutes les procédures s'effectuent sur l’appareil de l’utilisateur afin d’assurer la confidentialité et la sécurité des données et de ne laisser aucune prise aux éventuelles tentatives de hack, ce qui n’est pas le cas de tous les systèmes développés et mis en place par différents concurrents. La CNIL n’ayant pas encore réagi nous sommes très inquiets quant aux potentielles fuites ou attaques de bases de données contenant noms, prénoms, document d'identité et préférences sexuelles de citoyens français ayant vérifié leur âge qui arriveront à coup sûr.

Il paraît évident que le gouvernement n’a pas pris la mesure des conséquences de la nouvelle loi et révèle un manque de connaissance flagrant d’Internet et de son fonctionnement.

Pourquoi ?

Déléguer la lourde responsabilité du contrôle de majorité, et de l’hébergement de données personnelles aux éditeurs de sites Internet démontre que le gouvernement a voulu se débarrasser du problème de l'identité numérique sans réfléchir aux conséquences.

De plus, le gouvernement semble seulement vouloir profiter de l'effet d’annonce du blocage des plus gros sites sans aller au bout des choses tout en faisant porter un risque sur les données sensibles des Français en forçant les multinationales du porno à les collecter.

Le Royaume-Uni avait un projet similaire il y a quelques années avant de se rendre compte du danger qu'il faisait courir à leurs citoyens avec un tel dispositif et a abandonné le projet en 2019.

La France ne semble pas s'embarrasser des risques qu'elle ferait courir à ces citoyens en appliquant cette loi.

Combien pèse le public français dans vos accès ?

La France représente 60% des accès au site TuKif.com soit entre 12 et 18 millions d'utilisateurs uniques par mois pour un total de plus de 20 millions de visites mensuelles depuis la France.

Est-il possible d’envisager une solution 100 % efficace ? Pour quel coût ?

Cela paraît impossible, il existera toujours des méthodes pour contourner les systèmes de vérification, un simple VPN, l'utilisation d'un navigateur comme Tor ou simplement le partage de comptes vérifiés entre mineurs.

La méthode la plus efficace est sans conteste l'activation par défaut des systèmes de contrôle parentaux. Les fournisseurs sont parfaitement capables et sont les mieux placés pour le faire via les box et le trafic 4G, mais leur lobbying intense a fait en sorte que l'État a rejeté l'ensemble de cette responsabilité sur nous, alors que selon divers sondages nous sommes les moins bien placés pour faire cela, car les utilisateurs ont une confiance très limitée envers les sites pour adultes.

Seuls Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster, Tukif et Jacquieetmichel ont été visés, non l’océan les milliers d’autres sites. Votre réaction ?

C'est tout simplement un scandale ! Les sites comme TuKif.com, qui sont les mieux régulés, qui coopèrent avec les autorités notamment sur des affaires de Revenge porn et qui respecteront la loi seront en plus victimes de la concurrence déloyale, perdront la quasi-totalité de leur audience au profit d'autres sites qui resteront eux sans vérification d'âge, avec un contenu non régulé pouvant contenir de la pédopornographie et qui ne coopèrent pas avec les autorités.

Si une simultanéité entre tous les éditeurs de sites petits ou grands n’est pas respectée, la situation ne fera qu’empirer.

Les professionnels qui s’efforcent de respecter la légalité des contenus se verront pénalisés et laisseront place à des éditeurs de sites sans règles qui ne filtrent pas leurs vidéos et autres contenus et qui se contrefichent que des mineurs puissent avoir accès à leurs contenus.

L’action du CSA aura alors provoqué le contraire de l’effet recherché et une très grave et dangereuse dégradation des contenus disponibles sur Internet et susceptibles d’être vus par des mineurs.

Notre crainte est largement fondée, car plusieurs sondages montrent que de 60 à 65% des utilisateurs iront simplement chercher un site sans vérification quand il leur sera demandé de vérifier leur âge.

Qu'en est-il de Twitter, le plus gros site porno du monde, ou encore Reddit, la section image des moteurs de recherche, les énormes groupes pornos sur Telegram et Whatsapp privilégiés par les plus jeunes, les comptes privés Snapchat, pourquoi ne sont-ils pas concernés ?

Nous nous battrons autant qu'il le faut afin que la loi soit appliquée pour tous les sites au même moment, il en va de notre survie et de la préservation des emplois que nous générons.

La loi est certes votée, mais suggérez-vous déjà des pistes de réforme ?

Le député de la majorité Bruno Studer soutient l'activation par défaut du contrôle parental ce qui est la seule chose logique à faire pour régler le problème des mineurs sur les sites porno. Pourquoi créer un nouveau système avec le CSA qui demande des ressources considérables, qui déséquilibre un marché stable en créant de la concurrence déloyale, quand un système déjà en place ne demande qu’à être activé par défaut ?

Une alternative beaucoup plus efficace à la liste noire prévue par la loi est la création d'une liste blanche gérée par le CSA. Les sites pornos devraient s'inscrire pour valider leur système de vérification avant une date butoir, tout autre site adulte non présent sur la liste blanche serait alors bloqué et non référencé par les moteurs de recherche.

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