Nuages européens sur le blocage des sites X en France ?

Du précédent anglais
Droit 6 min
Nuages européens sur le blocage des sites X en France ?
Crédits : ADragan/iStock

Et si la législation organisant le blocage des sites pornos se contentant d’un simple disclaimer d’âge s’écroulait ? Voilà le risque consécutif à un défaut de notification du texte à la Commission européenne. Contacté, le cabinet d’Adrien Taquet se veut rassurant.

Plusieurs sites, que ce soit KultureGeek, PhoneAndroid ou RTL, ont affirmé que le CSA avait adressé des mises en demeure à plusieurs sites pornos. De fait, la missive n’est qu’une demande d’observations, non encore la véritable mise en demeure programmée par la loi contre les violences conjugales.

Petit retour en arrière. Cette loi adoptée en juillet 2020 autorise quiconque à saisir le CSA afin qu’il constate que des sites réservés aux adultes sont accessibles aux mineurs. Avant comme après, cette accessibilité est une infraction.

La loi portée par le groupe LREM a néanmoins asséné un tour de vis supplémentaire, sous forme de précision dans le Code pénal : les déclarations d’âge ou disclaimers placardés sur les pages d’accueil, où l’internaute affirme être majeur, ne peuvent plus être invoquées comme rempart.

En novembre dernier, trois associations, l’association Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), le Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant (COFRADE) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF) ont réclamé du président du CSA, dans un courrier révélé par Next INpact, que celui-ci mette en demeure plusieurs sites X de se conformer à ce texte, et faute de mieux, qu’il saisisse la justice aux fins de blocage.

Les sites visés sont :

  • pornhub.com
  • xvideos.com
  • xnxx.com
  • xhamster.com
  • tukif.com
  • jacquieetmicheltv2.net
  • jacquieetmichel.net
  • jacquieetmicheltv.net

Et l’enchaînement des faits a été différent. Dans ces courriers, dont nous avons pu avoir connaissance, le CSA n’a pas mis en demeure ces sites, mais leur a demandé « au plus tard le mardi 16 mars 2021 » de fournir les observations que chaque éditeur jugera « utiles à l’instruction de ce dossier ».

Pour le secrétariat d'État, il n'y a pas à notifier la Commission

Et c’est seulement à l’issue de ce délai que le Conseil menace d’adresser ses fameuses mises en demeure, si les mesures envisagées ne sont pas suffisantes pour contrôler l’âge des internautes à distance. Et pour l’instant, aucun n’a reçu de mise en demeure.

Un nuage plane néanmoins sur les rouages de la loi LREM. Il vient de Bruxelles. Selon nos constatations, la France n’a pas notifié à la Commission européenne cette législation que le CSA applique ou est en passe d’appliquer.

Le secrétariat d'État en charge de l'enfance et des familles nous assure cependant que cette notification n’est pas nécessaire selon lui.

Selon son analyse, l’article 23 de la loi contre les violences conjugales « précise les pouvoirs des autorités, dans ce cas le CSA, constatant un délit et les modalités de leur action pour que ce délit cesse et soit sanctionné » nous indique le cabinet. « Il ne crée pas une règle relative à la création d’un service numérique ni à la prestation d’un tel service. Cet article ne relève donc pas de l’obligation de notification au titre de la directive 2015/1535 », celle relative à l’obligation de notification.

Contacté, Thomas Rohmer, président d’OPEN, abonde dans le même sens, assurant avoir « bordé les choses juridiquement », avant d’adresser la fameuse lettre de saisine au CSA. Il affirme avoir « fait valider par trois cabinets d’avocats qu’il n’y avait pas lieu de saisir la Commission européenne ».

Certes, la loi de 2020 prévoit qu’un décret d’application précise les conditions d’application de ces dispositions. La notification pourrait intervenir à l’occasion de sa publication. Le fait que le CSA se soit limité à de simples observations pourrait s’expliquer par le souci de temporiser.

Que se passe-t-il lorsqu’un État membre notifie un texte ? Il doit impérativement patienter durant trois mois. Trois mois durant lesquels la Commission européenne va jauger de sa compatibilité avec le droit européen. Les autres États membres ont eux-mêmes la possibilité d’adresser des critiques, comme ce fut le cas avec la proposition de loi Avia

En Grande-Bretagne, lorsque nos voisins avaient envisagé un contrôle d’âge à l’entrée des sites pornos, le pays avait bêtement oublié d’alerter les instances européennes. S’en était suivi un report de la législation de plusieurs mois

Quels risques d'un défaut de notification ?

Et que se passe-t-il s’il applique un texte non notifié… mais qui aurait dû l’être ? Les conséquences sont ravageuses. 

L’Allemagne avait interdit aux moteurs de recherche d’utiliser des extraits d’articles de presse sans l'autorisation de l'éditeur. En 2019, patatras. Faute d’avoir alerté préalablement la Commission, la loi adoptée pour l’occasion devenait inapplicable, direction poubelle, sur décision de la CJUE. 

En France la jurisprudence est rare, mais pas inexistante. En 2013, par exemple, le Conseil d’État annulait pour la première fois un arrêté relatif aux noms de domaine pour les mêmes raisons. 

La directive Notification prévoit donc la saisine de la Commission via « une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information ».

L’enjeu est de garantir le bon fonctionnement des règles du marché intérieur, « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée », dixit le texte, qui ne proscrit pas la libre circulation des contenus pour adultes...

Voilà pourquoi chaque État membre a l’obligation d’alerter l’instance bruxelloise des dispositions techniques qu’il envisage. Il en va « du bon fonctionnement du marché intérieur » puisqu’ « il est opportun d'assurer la plus grande transparence des initiatives nationales visant l'établissement de règlements techniques »

Et le champ d’application est très vaste. La directive oblige la notification de chaque « règle relative aux services », c’est-à-dire celle ayant « pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de [le] réglementer de manière explicite et ciblée ».

Selon le cabinet d’Adrien Taquet, la loi ne devait donc pas être notifiée. Ici, ce texte français part d’une infraction préexistante, l’interdiction de rendre accessible aux mineurs un contenu pornographique, pour préciser que l’infraction reste constituée même lorsque le site X se contente d’un disclaimer.

La procédure se poursuit avec l’intervention du président du CSA, qui se voit en capacité d’adresser des mises en demeure à n’importe quel site en France, en Europe ou au-delà, voire de saisir la justice pour organiser un blocage d’accès.

N’est-ce pas là une série de normes relatives « aux services » suite à une modification du Code pénal ? Imaginons demain si chaque État membre adopte dans sa législation interne des règles propres : ici désactivation des disclaimers, là production d’une carte d’identité, là-bas, utilisation d’un identifiant électronique, etc. S’en suivrait bel et bien un risque de perturbation du marché par effet patchwork, aux antipodes de la directive notification.

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