Lucas S., serial entrepreneur des « legal tech » et... militant de l'extrême droite radicale

Legheiltech
Internet 15 min
Lucas S., serial entrepreneur des « legal tech » et... militant de l'extrême droite radicale
Crédits : imaginima/iStock

Enquête – Fondateur du groupuscule Vengeance Patriote, il dirige notamment l'entreprise qui a aidé Stéphane Bourgoin, qui intervenait dans différents médias au sujet des serial killers, à faire disparaître de YouTube des vidéos dévoilant ses mensonges. Autour de lui, une myriade d’entreprises et d’associations gravitent.

En janvier 2020, tout s'est effondré pour Stéphane Bourgoin. Depuis 28 ans, il était « l'expert » des tueurs en série préféré des médias. À son actif, une quarantaine de livres et d'innombrables apparitions à la télévision, la radio et dans la presse écrite. Mais une série de vidéos réalisées par le collectif 4e Oeil va déboulonner l'idole.

Fruit d’un an d’enquête, celles-ci dévoilent les multiples mensonges du « spécialiste » : non, il ne détient pas les restes du tueur Gerard Schaefer ; non, il n’a pas interviewé Charles Manson ; non, il n’a pas arraché de confession au meurtrier sud-africain Stewart Wilken. Tout est visiblement faux, même l’atroce assassinat de sa petite amie aux États-Unis, crime qui l’aurait poussé à s’intéresser aux tueurs en série – le « mythe fondateur » de Bourgoin.

En mai 2020, il reconnaît finalement ses mensonges auprès de Paris Match. « Oui, c’est vrai. Quand je vous parle, je me dis que j’en ai dit des bobards. Quelle connerie », confesse-t-il. Mais entre-temps, la plupart des vidéos du collectif 4e Oeil ont été supprimées par YouTube, comme le relate Arrêt sur Images. Elles restent toutefois visibles sur le site internet du collectif, d’autres chaînes YouTube et plateformes.

« Les vidéos que nous avions mises en ligne ont été supprimées par Youtube suite à la demande d'une "legaltech" se nommant Eternos Corporation », nous explique « Valak », membre du collectif. « Youtube ne prend pas la peine de vérifier de qui viennent les demandes de suppression pour ce motif. Ils ne prennent pas le moindre risque. Sauf que de vrais avocats qui nous suivaient nous ont bien confirmé que nous utilisions le droit de citation », ajoute l’enquêteur en ligne. Peine perdue : « Malgré des démarches auprès de YouTube, nous nous sommes vus dans l'impossibilité de récupérer notre chaîne car elle n'était pas monétisée ».

Contacté par Next INpact, l’auteur à succès explique que, bien qu’il ait reconnu ses mensonges, « ces vidéos contenaient des informations erronées sur [lui] » et nous confirme avoir missionné une entreprise pour les faire retirer pour cause d’atteintes au droit d’auteur.

Stéphane Bourgoin avait relayé sur son compte Instagram, dans un post depuis supprimé, l’annonce par l’entreprise d’un live YouTube, où Eternos affirme assurer sa défense juridique. Un direct « catastrophique » selon l’auteur, qui nous dit avoir cessé toute collaboration avec Eternos dans la foulée.

Instagram Stéphane BourgoinCapture du compte Instagram de Stéphane Bourgoin

Personal branling

Un collectif d’enquêteurs indépendants, qui a pris contact avec nous, s’est intéressé à cette entreprise et nous a transmis le fruit de ses recherches, que nous avons vérifiées.

Utilisant des techniques d’investigation en sources ouvertes (OSINT), ces anonymes ont découvert que le dirigeant d’Eternos, Lucas Sztandarowski, est un militant de l’extrême droite la plus radicale. Un jeune homme de 24 ans qui dirige son propre groupe de « patriotes » (dont certains se réclament du nazisme) et se trouve lié à toute une galaxie de structures, de cette fameuse legaltech à un site qui vend des livres nazis (et pour certains interdits).

Pourquoi diable Stéphane Bourgoin a-t-il fait appel à « Eternos Corporation » pour défendre ses droits ? Peut-être parce que l’entreprise se présente comme la « best Europe legaltech » sur son site, où elle met en avant des références prestigieuses comme Yandex, HSBC ainsi qu'Amazon.

Interrogé à ce sujet par Next INpact, Sztandarowski affirme qu’il a été « approché par certaines personnalités, dont monsieur Bourgoin ». Pourtant, selon un mail que nous avons pu consulter, c’est bien lui qui a proposé ses services à Bourgoin pour la modique somme de 300 euros, « par respect envers votre travail » expliquait-il.

L’entrepreneur a assuré à l’auteur qu’il ferait supprimer « l’ensemble des contenus en ligne [lui] portant atteinte » et qu’il irait « sans aucun problème jusqu’à la suppression de [la] chaîne YouTube » de 4e Oeil. La star déchue des plateaux de télévisions se laisse convaincre par ce discours, d’autant que l’entreprise se veut une multinationale présente à Dublin, Luxembourg, Milan et Moscou... Impressionnant ? À première vue seulement.

Car ces adresses correspondent en réalité à des espaces de coworking ou des services de domiciliation d’entreprises, voire même à… un simple café. Ce que reconnaît Sztandarowski, « on a peur de se faire envoyer des choses qu’il ne faut pas. Avec les grosses entreprises, il y a parfois des règlements de compte à coups de détectives privés », assure-t-il. Curieux. Avec son site en plusieurs langues, sa prétendue implantation internationale et ses références prestigieuses, Eternos coche bien toutes les cases de la grosse boîte.

Eternos Corp
Source : Eternos Corp

Mais ce vernis cache un certain amateurisme qui saute vite aux yeux, par exemple au visionnage des clips promotionnels mis en ligne sur la chaîne YouTube (quasi vide).

Outre une réalisation approximative, les gros buildings de verre et d’acier, cadres débordés et autre matériel se voulant high tech mis en avant sont en réalité presque tous sortis de banques d’images. C’est car « les bureaux de juristes avec des dossiers partout ne sont pas très esthétiques » nous explique Lucas Sztandarowski…

Parmi les détails qui sont même franchement risibles, l’insertion de ce qui ressemble fort à une tentative d’image subliminale dans une des vidéos (voir ci-dessous). Ou ce passage représentant une recherche Google au nom de l’entreprise (un classique pour inviter le spectateur à visiter le site corporate) dont il a fallu flouter les premiers résultats proposés (un historique mal effacé ?).

Par ailleurs, d’après les comptes d’Eternos, auxquels nous avons pu accéder, son chiffre d’affaires est très faible.

Eternos Subliminal

Derrière Eternos, une nébuleuse d’étranges business

La société n’en est pas à son premier méfait : en juin dernier, elle avait cherché à faire supprimer une vidéo du youtubeur Sylvqin, qui enquêtait sur la chaîne « Le lama fâché », spécialisée dans les vidéos de « top ».

« Nous avons reçu une mise en demeure en de la part de Lucas S., se revendiquant juriste d'Eternos Corporation, censé représenter les intérêts de la société détenant Lama Fâché. […] Notre conseil légal a pris contact avec Eternos pour régler ceci à l'amiable et demander des justificatifs sur le mandat de Monsieur Lucas S., mais celui-ci ne nous a jamais répondu », explique-t-il à Next INpact.

La vidéo écope pourtant d’un strike. Le vidéaste adresse à YouTube une défense tenant en six pages, et la vidéo reste en ligne. Eternos était-il vraiment mandaté par Le lama fâché ? « Nous n'avons jamais reçu les preuves demandées par notre conseil légal à Eternos Corporation. Nous avons pris contact avec les propriétaires de la chaîne le Lama fâché […] mais ceux-ci n'ont pas (encore ?) répondu. Cependant […] les conditions de strike Youtube précisent bien que seules les personnes identifiables OU leur représentant légal peuvent remplir une demande de strike », poursuit-il. Un peu fragile pour le big boss d’une « multinationale ».

Car, sur son portfolio en ligne, Lucas Sztandarowski se présente comme « ⚖️Juriste / 🏦Trust fund manager 📖Auteur / 😇Business angel » et comme le fondateur de nombreuses autres entreprises et associations. En 2016, il a ainsi créé Cyber Défenseur, site d’information et maison d’édition. En 2017, il a reçu le prix du « meilleur cyberjuriste » de l’association Cyberjuristes. Une structure liée à Lucas Sztandarowski et qui affiche parmi ses « meilleurs partenaires et sponsors » Eternos Corporation et Cyberdéfenseur.

Cyberjuristes
Source : Cyberjuristes

Toujours selon son portfolio, Lucas Sztandarowski rejoint Eternos Corporation comme « directeur informatique » en 2017 et est « élu PDG à l’unanimité » par le conseil d’administration un an plus tard. En 2019, il crée en outre le trust Acinonyx Invest, une structure basée au Belize qui propose de l’optimisation fiscale (et a créé une agence web).

« Patriote français, vous trouvez que l’Etat emploie mal l’argent de vos impôts ? La solution est l’optimisation fiscale patriotique » : vante Acinonyx, qui dit recourir à un « paradis fiscal » et à des « sociétés-écrans ». Interrogé par Next INpact, Sztandarowski assure que tout est légal, même si « les autorités françaises ne nous voient pas forcément d’un bon œil ». L’adresse indiquée correspond à ITSL, qui propose de la domiciliation de trusts au Belize.

Acinonyx Invest
Source : Acinonyx Invest

Derrière les affaires, l’extrême droite radicale

En faire beaucoup semble être la marque de fabrique de Lucas Sztandarowski. Aurait-il la folie des grandeurs ? La question se pose à le lecture d’une page Wikipédia, refusée, sur le jeune homme qui a été publiée sous le pseudo « Marah-Scalha Fortiplèbe », utilisateur enregistré qui se présente comme « une jeune littéraire de 20 ans environ » et qui n’a pour seule autre activité que d’avoir enregistré une image (le « blason de Lucas Sztandarowski », que le jeune homme et sa compagne utilisent à l’occasion sur les réseaux sociaux).

Outre que ce profil correspond à celui de son épouse, Léopoldine M., la page Wikipédia en elle-même fourmille de détails personnels qui ne peuvent a priori être connus que du couple ou de ses proches : date de mariage (« le 19 décembre 2019 avec Elisabeth de Saint-Juste », le pseudo utilisé par sa femme), hobbies, etc. Mais aussi nombre d’informations pompeuses aux sources farfelues, partiales ou détournées.

Ce Compiégnois de naissance se « prépare  » aussi à des lendemains moins roses : ancien militant – déçu – de l'Action française, il n’envisage l’avenir qu'à travers « l'effondrement » qui viendrait, cher aux collapsologues. Pour cela, il a réuni autour de lui un groupe de plusieurs centaines de jeunes « nationalistes et patriotes » disséminés un peu partout en France (mais aussi à l'étranger) connu sous le nom de Vengeance patriote.

Un groupuscule d'extrême droite qui semble avoir pour ambition de devenir une organisation quasi-milicienne et sur lequel StreetPress a récemment enquêté, évoquant le chef du mouvement comme un certain « Lucas S. ». Nous avons pu confirmer qu’il s’agit bien de Lucas Sztandarowski.

Interrogé à ce sujet, Stéphane Bourgoin dit « totalement ignorer » l'appartenance du dirigeant d’Eternos à l’extrême droite radicale et assure que s'il en avait eu connaissance il n’aurait jamais collaboré avec lui. « J’ai toujours voté à gauche, je n’ai rien à voir avec ces gens-là », assure-t-il.

Sur le serveur Discord du groupuscule, Sztandarowski se fait appeler « Maître de Saint-Juste » alors que sa compagne utilise directement l’un de ses alias : « Elisabeth de Saint-Juste ». Tous deux utilisent comme photo de profil un faux blason « qu’un ami royaliste aurait créé pour eux » selon la jeune femme et que l’on retrouve associé au compte Twitter « Lucas de Saint-Juste » qui se décrit comme « Juriste » à Eternos. Interrogée à ce sujet, l’organisation Vengeance Patriote dit ne pas avoir de chef et ne vouloir communiquer l’identité de ses membres.

Lucas Sztandarowski revendique dans la vidéo « FAQ de Vengeance Patriote », disponible sur YouTube, avoir donné à « son groupe une dimension internationale, plus survivaliste et plus défensive » et dit lui avoir inculqué une formation « paramilitaire », bien que composé « de gros bourgeois à la base ».

Il prévoit aussi des formations au tir en Pologne avec le stage Hussard, couru des militants d’extrême droite, et en Afrique du Sud, pays reconnu en matière de formation au combat. Selon celui qui se fait appeler « commandant », il faudra que ses troupes soient prêtes « à prendre les choses en main et à faire ce qui doit être fait » lorsque surviendra l'effondrement de la société. L’individu, qui imagine son groupe comme l'avant-garde pour « démonter la République », revendique en outre se « sentir dangereux pour le système ».

À Vengeance Patriote, on est ouvert d'esprit quand il s'agit de ratisser large au sein de l'extrême droite radicale pour grossir les rangs. Ainsi, le chef ne voit pas d’inconvénients, bien qu'il s'en défende, à intégrer des individus se revendiquant du « national-socialisme » et même à leur donner le « commandement » d'une émanation régionale de VP, comme c’est le cas en Bretagne selon le site du groupe :

Vengeance Patriote Carte

« Le chef est nat-soc [nazi, ndlr], mais l’équipe est ouverte aux patriotes de tout bord » précise la description de la section bretonne de Vengeance patriote, sur le site du groupe. Pour autant, Lucas Sztandarowski ne souhaite pas mettre tous ses œufs dans le même panier : le renversement de la République oui, mais sans danger pour le business. « J'ai des sociétés en Irlande et au Belize pour éviter d'avoir à payer des impôts à la France et pour que ma famille puisse s'y réfugier pendant que je continue le combat en France ».

Quant à savoir s'il est bien le chef de Vengeance Patriote, « il faudra demander à Vengeance Patriote » nous répond-il, disant connaître ce groupe seulement par « ce qui en a été dit dans la presse ».

Faille d’Opsec

L'un des business les plus sulfureux auquel il est rattaché est présenté comme une banale maison d’édition : Bibliothèque dissidente. Une boutique en ligne qui édite et propose des livres principalement nazis ou fascistes parfois interdits en France, à l’image du manifeste de Brenton Tarrant (auteur de l’attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, 51 morts le 15 mars 2019), Les Carnets de Turner, Mein Kampf ou la Doctrine raciale de la SS...

Cette caverne d’Ali Baba d'extrême-droite radicale - qui représente la grande majorité du catalogue - est présentée comme « une filiale du groupe béliziano-grec Acinonyx ». Le site est d'ailleurs couvert par le système « Protect my copyright », une solution de protection des téléchargements illégaux développée par la société... Eternos (qui a été récompensée par un prix de Cyberjuristes, forcément).

Interrogé à ce sujet, Lucas Sztandarowski feint de « découvrir ce site » et dit ne pas « vraiment » y voir « de livres interdits » ou en tout cas « rien qui enfreigne la loi française ». Il concède toutefois : « certes Acinonyx doit avoir un lien avec cette maison d’édition qui a l’air polémique ».

Bibliothèque dissidente
Crédits : Bibliothèque dissidente

Un demi-aveu qui a tout de l’euphémisme. Nous avons en effet découvert que toutes ces structures – Eternos, Acinonyx invest, Acinonyx web agency, Cyberdéfenseur, Cyberjuristes, Bibliothèque dissidente, Vengeance Patriote – utilisent le même identifiant Google analytics (« UA-85636505 »), visible dans les codes source des pages.

« Une erreur de débutant… ou de feignant », glisse à Next INpact un spécialiste, qui constate à l’inverse que les autres basiques de l’anonymisation sont toutefois respectés (DNS Cloudflare, hébergement à l’étranger, etc). Une faute grossière en tout cas car, grâce à cet identifiant, nous pouvons lier Lucas Sztandarowski à ces sites et d’autres encore, comme Protect My Copyright. Sans oublier l’étonnant « North Korea giftshop », un site anglophone de dropshipping qui vend des souvenirs et de la propagande à la gloire du régime dictatorial et sur lequel apparaît un lien de renvoi vers un seul site français : Bibliothèque dissidente. Le monde est décidément petit…

Contacté, Lucas Sztandarowski se justifie par le fait que les sites ont tous été développés par Acinonyx Web Agency, et ne souhaite pas en dire plus afin de préserver la confidentialité de ses « filiales et clients ». Outre qu’il tente ici de noyer le poisson (tout en concédant travailler sur des projets sulfureux), cette défense ne tient pas notamment car il est lui-même derrière cette agence web.

Mais aussi car l'ID Google analytics identifié par nos soins apparaît en 2016, soit des années avant la création d’Acinonyx, sur l’url « https://cyberdefenseur.com » et est toujours présent sur ce site « fondé par le juriste Lucas Sztandarowski » dixit sa présentation en ligne. Puis l’identifiant est réutilisé, entraînant la création de nouvelles déclinaisons (UA-85636505-x, ou « x » indique l’ordre de création de ces variantes) au fil de la mise en ligne de nouvelles plateformes qui forment aujourd’hui la galaxie dont le jeune homme est le centre de gravité.

Il apparaît à l’issue de cette enquête que Stéphane Bourgoin n’était vraisemblablement pas au courant des activités politiques de Lucas Sztandarowski et que leur collaboration, qui a abouti à la suppression des vidéos de 4e Oeil corporation sur YouTube, a été brève. Reste qu’elle aura permis de faire la lumière sur le chef d’un groupuscule d’extrême droite violent aux fantasmes miliciens, qui cherche à faire s’épanouir des business douteux, flirtant pour certains avec l’illégalité. Dans le but de financer les activités de Vengeance Patriote ? Impossible, pour le moment, de l’affirmer avec certitude.

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