L’observation d’une galaxie en train de « mourir » soulève des questions

Une histoire de vents et de queues
Tech 8 min
L’observation d’une galaxie en train de « mourir » soulève des questions
Crédits : ESO/M. Kornmesser

Des scientifiques ont pour la première fois observé une galaxie qu'ils définissent comme « sur le point de "mourir" ». Les données récoltées remettent en question une partie de nos croyances sur les causes de ce phénomène, qui pourrait être la conséquence de fusions de galaxies. On vous explique.

L’Univers est âgé de 13,7 milliards d’années (environ) et serait composé de pas moins de 2 000 milliards de galaxies selon les dernières estimations. La notion de galaxie telle qu’on la connait actuellement est assez récente, comme le rappelle le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

« ce n’est finalement que dans les années 1920 que les galaxies ont été décrites comme des systèmes constitués de milliards d’étoiles, de gaz et de poussières interstellaires »

Dans son « jeune » âge (quand il avait 4 à 5 milliards d’années), l’Univers était marqué par une très forte activité de formation d’étoiles dans la plupart des galaxies. « Mais curieusement, près d'un tiers des galaxies les plus massives de cette époque ne forme plus d'étoiles », ajoute le CEA : « Cette anomalie est aujourd'hui souvent attribuée à des flux gazeux provoqués par la rétroaction de trous noirs supermassifs situés au sein de ces galaxies ».

Cela pourrait changer. Une étude publiée dans Nature Astronomy remet en effet en cause cette hypothèse et pose sur le tapis une autre idée pour expliquer cette « anomalie » : la fusion/collision de galaxies. À la lumière de leurs travaux, les chercheurs invitent leurs collègues à relire les « rapports d'autopsie » d’autres galaxies. Il est en effet « très difficile de distinguer » les deux phénomènes qui, de plus, « coexistent souvent au sein d'une même galaxie ».

C’est quoi une galaxie et comment ça « meurt » ?

Avant de se pencher sur la publication scientifique, un rapide rappel sur les galaxies. À l’échelle de l’Univers, elles peuvent être assimilées à « un objet spatial unique, certes gigantesque et extrêmement massif, mais dont tous les éléments forment un ensemble cohérent, liés entre eux par la gravitation ». Trois grandes familles sont à distinguer.

Les galaxies en spirales pour commencer – représentant l’essentiel de celles de l’Univers –  qui « contiennent de 10 à 100 milliards d’étoiles et produisent de 1 à 1 000 étoiles/an ». Nous avons ensuite les galaxies elliptiques et les irrégulières, qui ont « un mouvement de rotation sur elles-mêmes moins prononcé ».

Les elliptiques – environ 20 % de celles de notre Univers – « contiennent de 10 millions à 1 000 milliards d’étoiles […] sont souvent très âgées au contraire des galaxies dites "irrégulières" (très peu nombreuses) qui abritent de 100 millions à 10 milliards d’étoiles, essentiellement très jeunes ».

Quand on parle de galaxie, on est donc dans un repère spatiotemporel complètement différent de celui dont on a l’habitude si l’on se place à l’échelle de la Terre et même de notre Système solaire. Une galaxie comprend des dizaines/centaines/milliers de milliards d’étoiles et de planètes, et s’étend sur des distances que l’on ne compte plus en km, mais en milliers d’années-lumière (la distance parcourue par la lumière en un an).

Lorsqu’une galaxie produit beaucoup d’étoiles de manière simultanée, on parle d’une « flambée de formation d’étoiles ». Au contraire, lorsqu’elle ne produit plus d’étoiles, on dit qu’une galaxie « meurt ». « Cela ne signifie pas qu’elle se désintègre ou que toutes les étoiles s’y éteignent, certaines continueront à "vivre" pendant des dizaines de milliards d’années », précise le CEA.

Des « images » d’une galaxie agonisante il y a 9 milliards d’années

Si la « mort » d’une galaxie est un phénomène connu, les astronomes « n'avaient jamais clairement entrevu le début de ce processus dans une galaxie lointaine », explique l’European Southern Observatory (ESO). Si on utilise le passé, c’est pour une bonne raison : « Grâce à ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) […] les astronomes ont vu une galaxie éjecter près de la moitié de son gaz nécessaire à la formation d'étoiles ».

« Cette éjection se produit à un rythme effarant, qui équivaudrait à 10 000 fois la masse du soleil de gaz par an, la galaxie perd rapidement son combustible pour fabriquer de nouvelles étoiles ». Selon les scientifiques, cet événement serait la conséquence d’une collision avec une autre galaxie.

Dans le même temps, la galaxie continue de former des étoiles « très rapidement, des centaines de fois plus vite que notre Voie lactée ». Combiné à la « fuite », la réserve de gaz sera rapidement vidée (à l’échelle de l’Univers encore une fois), « ce qui entraînera l'extinction de ID2299 dans quelques dizaines de millions d'années seulement », indique l’ESO. « C’est-à-dire instantanément à l'échelle de temps cosmologiques », précise le CEA.

De la collision de galaxies à la « queue de marée » 

Mais attention à ce qu’on appelle « collision » : si vous avez l’image d’étoiles et de planètes s’entrechoquant violemment, c’est perdu. De tels phénomènes peuvent arriver, mais ils sont extrêmement rares car les étoiles sont très espacées les unes des autres. La plus proche de nous, Proxima Centauri, se trouve à plus de 4 années-lumière.

Lors d’une collision de galaxies, « seuls les nuages de gaz peuvent s’entrechoquer, car ils sont beaucoup plus diffus », explique le CEA. Dans tous les cas, Annagrazia Puglisi (auteure principale de l’étude) ne cache pas sa joie dans les colonnes de l’ESO : « C'est la première fois que nous observons une galaxie massive à formation d'étoiles typique dans l'Univers lointain sur le point de "mourir" à cause d’une éjection massive de gaz froid ».

Pour la petite histoire, la lumière de cette galaxie – poétiquement baptisée ID2299 – a mis 9 milliards d’années pour nous parvenir, l’« image » obtenue correspond donc à son état lorsque l’Univers avait 4,7 milliards d’années seulement. Il en a 13,7 actuellement.

Pour les chercheurs, l’origine de cette éjection de gaz est « une collision entre deux galaxies, qui ont finalement fusionné pour former ID2299 ». Pour arriver à cette conclusion, ils se basent sur un indice : la présence d’une « queue de marée ». L’European Southern Observatory rappelle qu’il s’agit de « traînées allongées d'étoiles et de gaz s'étendant dans l'espace interstellaire qui résultent de la fusion de deux galaxies ». Elles sont généralement trop faibles pour être observées dans l’Univers lointain, mais pas cette fois. 

Le CEA ajoute une couche : « L'éjection de ID2299 ne peut s'interpréter que par l'effet de "forces de marée" qui surviennent chaque fois que des galaxies fusionnent ».

Galaxie ID2299Galaxie ID2299

Différencier les « vents » et les « queues de marée » 

C’est bien beau tout cela, mais quel rapport avec les trous noirs supermassifs ? 

« La plupart des astronomes pensent que les vents provoqués par la formation des étoiles et l'activité des trous noirs au centre des galaxies massives sont responsables des rejets dans l'espace des matériaux nécessaires à la formation des étoiles, mettant ainsi fin à la capacité des galaxies à créer de nouvelles étoiles.

Cependant, la nouvelle étude publiée aujourd'hui dans Nature Astronomy suggère que les fusions de galaxies peuvent également être responsables de l'éjection dans l'espace du combustible nécessaire à la formation d'étoiles ».

La « mort » des galaxies pourrait donc s’expliquer par la collision entre elles, notamment lorsque l’Univers était plus jeune et donc plus dense. Selon Emanuele Daddi, co-auteur de l'étude, elle pourrait « nous amener à revoir notre compréhension de la façon dont les galaxies "meurent" ». De plus, « les astrophysiciens ont calculé que la fréquence de ces événements est suffisante pour expliquer en principe la plupart des galaxies inactives » qui se sont formées durant la jeunesse de l’Univers, ajoute le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Mais comment se fait-il que ces phénomènes n’aient pas été observés avant ? « Les vents et les queues de marée peuvent apparaître très similaires » et donc difficiles à différencier, explique Emanuele Daddi. L’European Southern Observatory pense ainsi que certaines études ayant identifié « les vents des galaxies lointaines pourraient en fait avoir observé des queues de marée éjectant du gaz ». Pour le savoir, une méthode : « Il faut désormais relire les rapports d'autopsie des autres galaxies à la lumière de ce nouveau scénario… ».

Le fruit du hasard

Cette découverte est aussi surprenante, car elle a été faite par « hasard ». Les scientifiques ne cherchaient pas spécialement des cas de collision de galaxies. Ils étudiaient les propriétés du gaz froid dans une centaine de galaxies avec le radiotélescope ALMA quand ils sont tombés sur ID2299. Elle n’a été observée « que pendant quelques minutes, mais la puissance de cet observatoire, situé dans le nord du Chili, a permis à l'équipe de recueillir suffisamment de données pour détecter la galaxie et sa queue d'éjection ».

Maintenant que les chercheurs ont mis en avant l’intérêt d’ID2299, d’autres mesures pourraient être réalisées par le radiotélescope ALMA à l’avenir, ou bien avec le futur Extremely Large Telescope de l’ESO (successeur du Very Large Telescope), qui sera équipé d’un miroir primaire de 39 mètres de diamètre et de l’instrument Metis (Mid-infrared ELT Imager and Spectrograph). Sa mise en service est prévue pour 2025.

Extremely Large Telescope

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