Red Hat met fin à CentOS et pousse Stream, colère au sein de la communauté

À contre-courant des attentes
Logiciel 8 min
Red Hat met fin à CentOS et pousse Stream, colère au sein de la communauté

La distribution CentOS, telle qu’on la connait aujourd’hui, cessera d’exister dans un an. Une décision radicale de Red Hat, largement décriée par la communauté. L’entreprise jure qu’il s’agit d’inclure plus rapidement les retours des utilisateurs dans la gestation de sa RHEL. Mais beaucoup y voient une marque d’avarice.

Red Hat a dans son giron trois plateformes : deux gratuites – CentOS et Fedora – et une payante, Red Hat Enterprise Linux (RHEL). Cette dernière est le produit phare, commercialisé avec du support technique aux entreprises pour équiper les serveurs et stations de travail, aussi bien sur site que dans les centres de données.

Quelles différences alors entre CentOS et Fedora ? Dans les grandes lignes, la première est une reconstruction de RHEL, tandis que la deuxième sert de laboratoire pour tester de nouvelles technologies. Fedora est largement connue pour intégrer en permanence les dernières versions des composants et pour effectuer certaines bascules longtemps avant tout le monde. Wayland est par exemple son serveur d’affichage par défaut depuis 2016.

Toute nouvelle branche de RHEL est initialement un fork de Fedora.

CentOS était initialement un projet indépendant, signifiant « Community ENTerprise Operating System ». Puisque les sources de RHEL étaient libres (et le sont toujours), une communauté s’était formée autour d’un concept simple : pouvoir fournir un système aussi stable que RHEL, mais gratuit.

Bien sûr, cela voulait dire aussi se débrouiller en cas de problème, car aucun technicien ne viendrait à la rescousse. Le succès de CentOS fut en tout cas énorme, au point d’être la distribution la plus utilisée sur les serveurs il y a une dizaine d’années. Une position perdue depuis, mais la distribution reste quand même parmi les plus populaires.

La situation va cependant changer à très court terme. CentOS dispose d’une variante nommée Stream depuis septembre 2019, utilisée comme « rolling release » sur la base de la branche de développement de Red Hat. Depuis qu'elle existe, la frontière est devenue plus floue avec Fedora, même si cette dernière conserve en partie son image d’électron libre et travaille sur des technologies longtemps à l’avance.

Red Hat ne va garder que CentOS Stream

Et Red Hat vient d'annoncer un changement majeur : CentOS n’existera plus dans un an. Comme l'on pouvait s'y attendre, l'éditeur souhaite se concentrer sur Stream et va donc faire disparaitre cette distribution très appréciée.

CentOS 8 – la mouture la plus récente – devait normalement bénéficier d’un support de dix ans, comme les précédentes. Ce ne sera pas le cas : après le 31 décembre 2021, il n’y aura plus rien. CentOS 7, très utilisé, sera pour sa part supporté jusqu’à la fin du cycle prévu, soit 2024. Le support de CentOS 6, lui, s’est terminé le 30 novembre.

Red Hat met l’accent sur sa Developer Subscription, permettant d’obtenir RHEL 8 et autres versions plus anciennes gratuitement. Partout où c’est possible, la bascule est recommandée. Mais il y a un sérieux hic : la formule s’adresse aux développeurs et particuliers, pas aux entreprises. La licence est attribuée à la personne ouvrant le compte, non à un poste, interdisant son utilisation dans le cadre d’un déploiement.

En outre, puisqu’il s’agit d’une formule gratuite, aucun support n’est fourni en dehors des ressources habituelles. Enfin, un même compte ne peut avoir qu’une seule licence Developer attachée. Dans le cas d’une équipe de vingt développeurs par exemple, chacun doit se créer indépendamment un compte pour récupérer sa licence.

Le processus, déjà lourd pour un groupe de développeurs, est clairement inadéquat dans un parc plus vaste. De plus, il faudrait changer de système dès lors que la machine ne serait plus utilisée par la même personne.

La transition entre CentOS et CentOS Stream

On entre maintenant dans une partie floue. Red Hat assure que Stream n'est pas la nouvelle bêta de RHEL. Pourtant, elle est basée sur sa branche de développement, signifiant nécessairement des bugs propres à un code non finalisé. Ce, même si l'entreprise assure que le code publié dans Stream ne l’est qu’après vérification.

La nouvelle orientation est présentée comme un progrès, Red Hat y voyant une distribution « davantage influencée par la communauté, mais gardant la même priorité sur la sécurité, la stabilité et un flux de travail clair pour les développeurs ». La société la présente ainsi :

« Ce n’est pas un remplacement de CentOS Linux. C’est plutôt l’étape suivante, naturelle et inévitable prévue pour atteindre l’objectif du projet, qui est de faire avancer l’innovation autour de Linux en entreprise. Stream raccourcit la boucle des retours entre développeurs de tous bords du paysage RHEL, permettant à toutes les voix – qu’elles émanent de grands partenaires ou de contributeurs individuels – d’être entendues à mesure que nous façonnons les futures versions de RHEL »

Actuellement, la recommandation officielle pour les utilisateurs de CentOS 8 est pourtant de basculer sur CentOS Stream 8. Mais même ceux qui le feront ne seront pas « tranquilles » bien longtemps. Chaque version majeure de RHEL aura en effet sa branche Stream. Puisqu’il s’écoule environ trois ans entre deux versions et que le support est à chaque fois de cinq ans, il existera une période d’environ deux ans entre une Stream et la suivante.

Et même ainsi, ceux qui utilisaient CentOS pour des serveurs pourront difficilement poursuivre avec Stream, car la distribution n’a pas la même orientation : elle doit servir aux tests. Elle n’est donc pas en phase avec les besoins de stabilité et de fiabilité d’un système pour serveur. En outre, puisqu’elle est basée sur la branche de développement, elle n’est pas une reconstruction de RHEL, ce qui était justement la grande force de CentOS.

Trop sans doute aux yeux de Red Hat.

Des réactions très négatives

Depuis l’annonce initiale la semaine dernière, les avis sont en très grande partie négatifs. Il pleut littéralement des reproches et critiques dans les commentaires, et l’amertume ressentie est grande.

« Je n’éprouve que de la colère. Pour chaque serveur RHEL, j’ai dix boites CentOS. Je viens juste de débuter la migration vers CentOS 8. Stream n’est pas une option, j’ai besoin de stabilité et de fiabilité, pas d’une nouvelle Fedora », tempête ainsi Gleen Steen. Un avis qui résume à lui seul la longue litanie que l’on peut lire un peu partout. Le mot « avarice » revient lui aussi souvent pour qualifier le comportement de Red Hat.

Un nombre élevé de développeurs pointent également l’utilisation massive de CentOS pour les tests avant déploiement sur RHEL. Puisque les parités fonctionnelles et binaires sont quasi complètes, CentOS offrait une plateforme idéale pour s’assurer du fonctionnement d’un code avant le plongeon dans le grand bain.

Beaucoup cherchent aussi un responsable à blâmer. Certains penchent pour Red Hat, puisque l’entreprise avait « racheté » CentOS il y a quasiment sept ans. D’autres pour IBM, qui s'est payé Red Hat en octobre 2018 pour 34 milliards de dollars. Mais une opinion ressort clairement : CentOS faisait trop d’ombre à RHEL et a donc été éliminé.

Une pétition a été mise en ligne sur Change.org. Elle s'approche des 10 000 signatures.

Chez Red Hat, on ne partage évidemment pas ces points de vue. Dans un billet de blog (sur lequel les commentaires sont fermés), Chris Wright, directeur technique, souligne ainsi l’utilisation chez Facebook d’un dérivé de Stream pour alimenter des millions de serveurs à travers le monde.

Intel est également cité, le fondeur se disant « excité par le potentiel de CentOS Stream » dans son écosystème client. Red Hat promet que Stream sera la nouvelle autoroute pour les retours de la communauté, mais il semble bien que la communauté, justement, soit vent debout contre cette décision unilatérale.

Rocky Linux et les autres alternatives

Il n’a pas fallu longtemps pour que Greg Kurtzer, cofondateur de CentOS, n’annonce un nouveau projet : Rocky Linux. Il s’agira de reprendre là où CentOS s’arrête.

On retrouvera donc une distribution qui sera une reconstruction de RHEL, puisque les sources de la distribution restent ouvertes. Pour l’instant, Rocky Linux n’est qu’un nom et un concept. Toutes les bonnes volontés sont appelées à se pencher sur le nouveau projet pour s’organiser.

Dans le dépôt GitHub, on peut lire pour l’instant une FAQ revenant sur les points importants de l’annonce de Red Hat et la manière dont la nouvelle distribution sera pilotée, à savoir « par la communauté, pour la communauté ».

En attendant que ce projet avance, plusieurs alternatives sont à considérer et ont été mentionnées dans de nombreux commentaires. Oracle Linux est l’une d’elles, même si la situation peut paraitre étrange : se détourner de CentOS à cause du comportement jugé « oppressif » d’une grande entreprise pour aller vers Oracle ? Et pourtant, Oracle Linux est elle aussi une reconstruction de RHEL avec une parité binaire complète. Elle est gratuite et sa licence est attachée à la machine, pas à une personne spécifique.

Autre distribution souvent citée, Springdale Linux. Il s’agit là encore d’une recompilation de RHEL avec une parité binaire préservée. Éditée par les universités de Princeton et Rutgers, elle est orientée vers les travaux scientifiques.

Cloud Linux est elle aussi une reconstruction de RHEL. Certains hausseront un sourcil : Cloud Linux n’est-elle pas justement une alternative à RHEL, avec un modèle commercial similaire ? Si. Mais l’équipe de développement a rebondi sur la décision de Red Hat pour annoncer qu’une version « séparée et totalement libre » sera proposée durant le premier trimestre 2021, pour combler le vide laissé par CentOS.

La compatibilité avec RHEL est annoncée comme totale. Nul doute que d’ici un an, la situation évoluera encore.

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