Directive Copyright : au ministère de la Culture, bataille pour un article 17 pur et dur

CSPLA, c'est c'est vraiment toi
Droit 10 min
Directive Copyright : au ministère de la Culture, bataille pour un article 17 pur et dur
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY SA 3.0)

La France a été aux premières loges pour défendre l’article relatif au filtrage, inscrit dans la récente directive sur le droit d’auteur. Au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, les grandes manœuvres sont en marche pour assurer une transposition au plus près des intérêts des industries culturelles.

Cette réforme européenne a trop souvent été présentée sous le seul spectre du vilain lobbying de Google contre les gentils intérêts de ce secteur. Des petits David appauvris face à un richissime Goliath américain. Des « Molière » face au roi du hamburger culturel. Derrière la caricature, la réalité est plus délicate puisqu’elle met en branle l’un des fondements de la régulation du Web.

Au commencement était la directive de 2000 sur « le commerce électronique ». Elle fixe le régime de responsabilité des acteurs en ligne qui hébergent les contenus. Pensons aujourd’hui à Twitter, YouTube et tous les autres. Le choix fait voilà 20 ans fut de trouver cet équilibre subtil entre la nécessaire lutte contre les contenus illicites, la nécessaire protection de la liberté d’entreprendre et la tout aussi nécessaire défense des libertés d’information, de communication et d’expression. Pas simple.

L’arbitrage a alors été de considérer que ces hébergeurs ne sont responsables des contenus illicites mis en ligne par les internautes que sous certaines conditions. Schématiquement, leur responsabilité n’est engagée que si, alertés (« notifiés »), ils décident de maintenir en ligne un contenu qu’ils savent hors des clous de la loi. Ils « savent » et prennent donc la responsabilité de ce choix.

Ce régime a néanmoins été combattu depuis de nombreuses années par les industries culturelles. Pourquoi ? Car il leur impose une charge jugée insupportable. Celle de multiplier les notifications adressées à ces intermédiaires, les jugeant là jamais assez réactifs, ici trop laxistes ou aveugles dans l’appréciation du caractère illicite. D’autant que la directive de 2000 proscrit la mise en place d’une surveillance généralisée qui aurait contraint ces hébergeurs à scruter l’ensemble des contenus mis ou remis en ligne, sans aucune limite notamment temporelle.

Rue de Valois, au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, une solution a été dessinée pour être ensuite victorieusement portée à l’échelle européenne dans le cadre de la directive sur le droit d’auteur.

L’idée ? Inventer une responsabilité cette fois immédiate des hébergeurs pour l’ensemble des sons, textes, dessins, images, photos, vidéos, etc. « uploadés » par les internautes dès lors que ces sons, textes, dessins, images, photos, vidéos, etc. sont protégés par le droit d’auteur.

Un projet fou, absurde juridiquement, mais malgré tout adopté par les institutions européennes au sein de l’article 17 de la directive (autrefois numéroté article 13).

Si ce régime a prospéré, c’est aussi parce que d’autres dispositions du même article prévoient qu’un accord de licence signé avec la SACEM, ou d’autres sociétés de gestion collective pourra « licéiter » ces contenus. Et donc extraire ces plateformes de ce sévère régime.

En clair : toi, Twitter, tu es responsable directement des contrefaçons mises en ligne par l’ensemble des comptes, mais si tu t’accordes avec l’ensemble de ces organismes de gestion collective, tu pourras échapper aux foudres d’une action en justice. Évidemment, qui dit « accord » dit contrat possiblement rémunérateur.

Quid, à défaut d’accord ? Cette fois, les hébergeurs de contenus culturels pourront malgré tout échapper à cette responsabilité directe si, suivant leur taille, leur chiffre d’affaires ou leur durée d’existence, ils ont tout fait pour mettre en place les plus efficaces solutions de filtrage. De même, ils devront préalablement démontrer avoir fait leurs meilleurs efforts pour tenter également de signer un accord avec les sociétés de gestion collective.

La lic€nc€ sinon le filtrage

Un projet de rapport au CSPLA, corédigé par le conseiller d'État Jean-Philippe Mochon avec le CNC et la Hadopi, révélé également par Contexte.com, résume l’objectif de ce régime : « Il s’agit ainsi de trouver un levier pour rééquilibrer les rapports de force économiques et renforcer la capacité de négociation des ayants droit face aux plateformes. Par ailleurs, l’article 17 doit également mener des plateformes réticentes ou non coopératives à s’aligner sur les meilleures pratiques ».

L’espoir attaché à ce nouveau mécanisme ? « Permettre la conclusion d’une série d’accords qui n’avaient pas cours dès lors que les plateformes, n’y étant pas tenues, n’y voyaient probablement pas un intérêt suffisant ».

Avec une telle menace sur leur tempe, les ayants droit espèrent donc négocier plus facilement avec les plateformes. Toujours selon le document, le filtrage n’est que secondaire, lointain : « le blocage des actes de partage non autorisés constitue non seulement une faculté qu’utiliseront certains ayants droit, qui peuvent légitimement souhaiter privilégier d’autres modes de diffusion de leurs œuvres, mais aussi un outil de dissuasion entre les mains de tous les titulaires de droit, aux fins de la négociation des accords de licences ». D’après lui, « il n’est en aucun cas l’objectif central du dispositif ».

Des voix dissonantes en Europe

Le dispositif ayant donné naissance à un monstre juridique aux équilibres délicats, voire impossibles, il n’est guère étonnant que des voix dissonantes résonnent en Europe. La difficulté majeure se comprend facilement : le droit d’auteur consacre un monopole. Celui d’autoriser ou d’interdire. Pris à la lettre, cela suppose que les algorithmes de filtrage ou blocage imposés de fait par l’article 17 devraient théoriquement supprimer l’illicite pour ne laisser en ligne que le licite.

Problème : le droit d’auteur n’est heureusement pas absolu. Il connaît des exceptions comme la caricature, la parodie ou le pastiche, le droit de citation ou de critique. Juridiquement, on peut donc détourner une image à des fins de parodie sans autorisation de l’auteur, et il serait inqualifiable qu’un algorithme qui ne saisit pas l’humour en interdise indéfiniment la publication.

Plusieurs voies s’ouvrent aux États membres. Selon le résumé dressé par le futur rapport au CSPLA, l’une « consisterait à établir des "approximations techniques", telles que les limites de durée d’extraits ou de volumes fichiers, en dessous desquelles aucun blocage ne peut intervenir ». Une autre stratégie est la préidentification. Elle « consiste à considérer qu’un contenu identifié comme licite par l’usager (dans une démarche dite de « préflagging ») est probablement licite ». Deux voies choisies par l’Allemagne.

La Commission européenne a été chargée par l’article 17 d’organiser avec les États membres « des dialogues entre parties intéressées », et mieux encore de définir des lignes directrices pour identifier les « meilleures pratiques » lors de la transposition du texte.

Dans ces lignes, elle plaide pour que soient maintenus en ligne des contenus perçus par les utilisateurs ou les services comme vraisemblablement légitimes parce que potentiellement couverts par une exception. Selon sa doctrine, si les « contenus vraisemblablement contrefaisants » devraient être supprimés, les « contenus vraisemblablement légitimes » devraient donc rester en ligne.

Varsovie et mort de l'article 17 ?

En Pologne, la situation est encore plus forte. Plutôt que de tortiller pour trouver « LA » solution la plus consensuelle, le pays a préféré surtout lancer un recours en annulation devant la Cour de justice de l’UE. Il vise l’article 17(4)(b) et (4)(c) de la directive, soit le cœur et ses artères, celles relatives aux obligations de filtrage (à l’upload ou lors de la remise en ligne).

Dans son recours, Varsovie estime en effet que « de tels mécanismes mettent en cause l’essence même du droit à la liberté d’expression et à l’information et ne respectent pas l’exigence de proportionnalité et de nécessité de toute atteinte à ce droit ». 

Dans le projet de rapport au CSPLA, la seule solution audible est celle d’outils de reconnaissance (et donc de filtrage) placés en amont, suivis par un mécanisme de plaintes en aval afin de remettre en ligne un contenu qui n’avait pas à être retiré.

La mission admet en effet que « la protection des droits prévue par la directive implique que leur mise en œuvre par le biais des outils de reconnaissance puisse conduire, dans un nombre de cas à limiter autant que possible, et où les tolérances mises en place par les ayants droit ne seraient pas déjà suffisantes, au blocage temporaire d’un contenu qui se révélera in fine légal ».

«Il est manifeste que les outils automatiques, seuls susceptibles de permettre la mise en œuvre de l’article 17 sur les plateformes, ne sont pas capables de reconnaître à eux seuls la mise en œuvre des exceptions. Dès lors, il est possible que, dans les cas où le blocage de son contenu est demandé par l’ayant droit, des actes de communication couverts par une exception, et donc licites, soient bloqués ». Mais selon le document, c’est à la fois le vœu du législateur européen et est conforme à la prévalence du droit d’auteur sur les exceptions.

Pas de règle du pays d’origine, svp

Au passage, le texte corédigé avec la Hadopi suggère que la Hadopi soit désignée entité en charge de trancher les recours extrajudiciaires dans le cadre du maintien ou de l’effacement des contenus. Il demande aussi à ce que la même haute autorité poursuive sa veille technologique afin d’« éclairer les notions de la directive (« meilleurs efforts » ; « informations pertinentes et nécessaires ») en fonction des évolutions techniques, avec les pouvoirs associés pour exercer cette mission lui permettant de disposer des informations utiles tout en préservant le secret des affaires ».

Par contre, il rejette lourdement le vœu de la Commission européenne d’instaurer la règle du pays d’origine. « Une telle interprétation supposerait que les règles des États membres d’implantation des plateformes soient appliquées aux recours » relève le document. « Juridiquement contestable et pratiquement inenvisageable » ajoute-t-il. « L’utilisateur ne pourrait pas connaître aisément les règles de droit qui lui seront appliquées par la plateforme et l’ayant droit, en fonction de la juridiction dont relève la plateforme ».

« Si le recours extrajudiciaire devait être soumis à ce principe, il deviendrait quasiment inaccessible pour l’usager, contraint de saisir dans une autre langue une autorité étrangère. Cette autorité elle-même se verrait contrainte de se prononcer, notamment, sur la base d’exceptions facultatives qui n’existent pas dans son droit national. Ces effets négatifs paraissent toutefois si évidents qu’il paraît inenvisageable que le principe du pays d’origine soit mis en oeuvre au stade du recours extrajudiciaire ». Avec une telle règle du pays d’origine, la Hadopi serait aussi reléguée à une troisième zone, puisqu’aucun des géants du numérique concernés n’a son siège en France.

Des listes blanches pour les vidéastes professionnels

Consciente aussi que l’article 17 risque de faire vraiment n’importe quoi, la mission développe l’idée de placer les « vidéastes » professionnels dans une liste blanche, afin que la diffusion de leurs contenus soit facilitée sur YouTube et ailleurs. Un statut dont seraient privés les petits YouTubers… même ceux qui avaient vanté les mérites de la directive, lors des débats ?

Page 84, il indique que le fameux article « doit impérativement conduire les plateformes à étendre le périmètre des licences qu’ils souscrivent à de nouveaux contenus, au-delà de la musique et de l’audiovisuel ». En clair, il doit lancer une nouvelle « dynamique contractuelle » au bénéfice non seulement de la musique et du cinéma, mais également de l’écrit, des arts graphiques et visuels (la photo notamment), etc. « Chacun de ces secteurs fait en effet face à des considérations techniques et juridiques différentes, qui impliquent une mise en oeuvre différente et adaptée de chacun des concepts de l’article 17. »

Et le rapport de citer l’exemple d’Instagram où ce dispositif pourrait engager la signature d’accords rémunérateurs pour les ayants droit de l’image (et à défaut, de mécanismes de filtrage). « S’agissant notamment d’ayants droit qui, comme les organismes de gestion collective des arts visuels représentent des répertoires à la présence incontestable et amplement documentée sur certaines plateformes, l’attentisme et la mauvaise foi ne sauraient être une position de négociation pour les plateformes – ni l’inertie une option pour les autorités publiques si la situation devait se confirmer ».

Le texte doit maintenant être transposé dans chacun des États membres. En France, ce sera par ordonnance, donc sans débat sur chacun des articles au Parlement. La mise en œuvre doit intervenir avant le 7 juin 2021.

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