Un groupe de députés de la Commission des finances, porté par Guillaume Peltier (LR), a proposé ce mercredi 18 novembre de créer un « prélèvement sur les bénéfices supplémentaires des GAFAM pour soutenir nos commerces de proximité et nos librairies ».
La plateforme américaine d’e-commerce Amazon est sous le feu des critiques depuis le début de ce deuxième confinement. Suite au boycott de celle-ci, lancé par le député Mathieu Orphelin (ex-LREM), c’était en début de semaine au tour du député de la majorité et ex-secrétaire d’État au numérique Mounir Mahjoubi d'affirmer qu’« un euro dépensé sur Amazon c’est deux fois moins d’emplois qu’un euro dépensé sur le site d’une PME ou d’un commerce de proximité », citant comme source une note d’analyse qu’il a lui-même réalisée.
La proposition de loi portée par Guillaume Peltier va en ce sens, et part du principe que « si aucune leçon n’a été tirée au sommet de l’État depuis la "première vague", nos commerces de proximité, nos libraires, nos coiffeurs, nos restaurateurs […] sont menacés d’une disparition pure et simple, et sans espoir de retour ». Face à la croissance fulgurante de géants du numérique comme Amazon – qui déclare avoir triplé ses bénéfices nets au troisième trimestre (6,2 milliards de dollars) – le député du Loir-et-Cher propose de créer une taxe exceptionnelle sur les GAFAM.
Un énième coup d’épée dans l’eau ?
Ce n’est pas la première fois que le Parlement planche sur une taxe spécifique aux grands acteurs du numérique. Le projet de loi relatif à la « taxe sur les services numériques » porté par Bruno Le Maire avait été adopté le 11 juillet 2019.
Il prévoit une taxe de 3 % et a rapporté 350 millions d’euros en 2019. Elle sera également prélevée en 2021. Celui devenu ministre de l'Économie souhaitait dans le même temps l’exporter au niveau européen voire au-delà, mais il a récemment été bloqué par l’OCDE dans un contexte de tensions transatlantiques.
La proposition portée par le député LR Guillaume Peltier est sensiblement plus ambitieuse. Elle vise en effet à imposer « un nouveau prélèvement de 50 % sur les bénéfices exceptionnels des GAFAM depuis le premier confinement de cette année, c’est‑à‑dire directement dus à la crise sanitaire du Covid‑19 ».
L’objectif est de transférer intégralement les montants prélevés vers un fonds dédié à des « dispositifs d’aides financières au profit des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité commerciale ou artisanale » (article 1).
Thierry Ben Samoun, avocat fiscaliste à Marseille, reste sceptique. Contacté, par Next INpact, il explique : « Toute proposition de loi qui cherche à imposer les bénéfices des GAFAM n’a pas de sens ». En effet, il est, selon lui, impossible de quantifier les bénéfices des géants du numérique en France.
« Nous avons accès à un bilan de ceux-ci pour leur activité mondiale, leur siège étant aux États-Unis, mais pas pour leur activité en France », précise-t-il. « Il est strictement impossible d’imposer les GAFAM sur leurs bénéfices car ils n’ont pas d’établissement stable en France. Nous n’avons aucun élément déclaratif sur leurs bénéfices en France », poursuit l’avocat marseillais.
Le spectre de la double imposition
Sur ce point, le bureau du député Peltier, contacté là encore par Next Inpact, précise : « La société Amazon (principalement visée dans le dispositif juridique) a des activités majoritairement hors numériques, alors même que l’optimisation fiscale des GAFAM concerne l’ensemble des activités, numériques ou hors numériques ». Par ailleurs, continue-t-il, « le bénéfice visé dans cette proposition de loi est celui qui est issu des produits commandés par voie électronique, en France […]».
L'autre difficulté de la proposition de loi en question tient dans le ciblage des entreprises visées : la taxe portée par Bruno Le Maire touche ainsi une multinationale française comme Criteo. Le texte de Guillaume Peltier établit une taxe exceptionnelle annuelle pour 2020 et 2021 sur toutes les « ventes de bien commandés par voie électronique » réalisées par les « opérateurs qui ont un chiffre d’affaires annuel supérieur à 750 millions d’euros à l’échelle mondiale et de 25 millions d’euros à l’échelle du territoire français lors du dernier exercice clos ».
Plusieurs entreprises françaises risqueraient ainsi d'être taxées à deux reprises car il est impossible de cibler une société en particulier dans une loi, outre que le texte ne prévoit pas de système d'imputation.
Le droit fiscal, nerf de la guerre
Il y a fort à parier que les entreprises visées par ce dispositif échappent à cette taxe une fois de plus. En 2019, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé l’annulation du redressement fiscal de Google, d’un montant de 1,5 milliard d’euros, le siège européen de la firme de Mountain View étant basé en Irlande et les critères de rattachement en vigueur en France n'étant pas suffisants.
« Plus largement, la taxation équitable des GAFAM est un combat à porter à l’échelle européenne et mondiale. […] Par ailleurs, le dépôt de propositions de loi à l’Assemblée nationale est aussi un moyen d’ouvrir un débat public sur un sujet majeur », nuance le bureau du député Guillaume Peltier. « [Nous] sommes favorables à une modernisation fiscale, pour l’adapter aux nouveaux enjeux du 21e siècle, la localisation objective de la création de valeur étant de plus en plus difficile avec les services numériques », précise-t-il.
Le bureau de citer une tribune du sénateur Alain Houpert et du docteur en droit Loup Bommier, approuvée par Guillaume Peltier : « Il aurait ainsi pu être envisagé de déployer le mécanisme d'une imposition unitaire du résultat en le réservant aux seules plateformes numériques, dans un premier temps. Ce modèle d'imposition prévoit d'imposer le bénéfice global de l'entreprise multinationale, non pas sur une base territoriale virtuelle, mais sur la base d'une clé de répartition représentative de son activité au niveau d'une juridiction fiscale ».