En pleine période de confinement, plusieurs sénateurs du groupe Communiste Républicain et Citoyen ont déposé une proposition de loi pour taxer le commerce en ligne. Calculée selon la distance parcourue, ses fruits alimenteraient un fonds de soutien au commerce de proximité, aujourd’hui très impacté par le confinement.
Les différents textes publiés au Journal officiel ont multiplié les mesures de fermeture pour les commerces de proximités. Fermeture ici des librairies et des magasins de jouets, là des boutiques d’habits, sauf « click and collect ».
Autant de mesures étendues finalement aux rayons des supermarchés. L’idée ? Que seuls les biens considérés comme essentiels puissent continuer à être vendus afin de limiter les interactions sociales et donc ralentir l’épidémie galopante.
Cette décision a, aux yeux des sénateurs communistes, ouvert « un boulevard aux plateformes de e-commerce ». Et pour cause, ces services en ligne ne sont pas concernés par ces restrictions puisque leurs entrepôts n’accueillent pas de public, si ce n’est que virtuellement, par écrans et sites interposés.
« La pandémie du covid-19 et les mesures de confinement ont profondément transformé les comportements et ont fait exploser le marché de l’e-commerce » commentent ces élus. « La fermeture des commerces et rayons non essentiels ont contraint les Français à s'orienter massivement vers des plateformes de commerce dématérialisé. Des achats de denrées alimentaires, mais surtout des produits électroménagers, du matériel informatique, ou encore en cette période de fêtes de fin d’année, l’achat de jouets pour nos enfants ».
« Face à l'urgence économique dans laquelle se trouvent désormais les nombreux commerçants et artisans de proximité qui sont concurrencés par la vente en ligne, des dispositifs d'aides ciblés et territorialisés sont indispensables ». Leur proposition de loi entend ainsi rééquilibrer les règles de ce marché au profit du commerce de proximité. Et ce, par une taxe sur les livraisons, via un fonds de soutien.
Un fonds de soutien, financé par une taxe sur le e-commerce
L’article 1er de leur proposition de loi tout juste déposée institue ce « fonds de soutien aux commerces de proximité ». Son objet ? Verser des « aides aux commerces des centres ville et des centres bourgs touchés par les conséquences économiques, financières et sociales des dispositions de restriction de leurs activités en conséquence de la crise sanitaire ».
Départementalisé, il serait ainsi abondé par une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique.
Pas de détail pour l’heure sur ses modalités pratiques, puisqu’il reviendrait à un décret d’en définir « le champ d’application du dispositif, les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds ».
La taxe sur les livraisons alourdie par les kilomètres parcourus
L’article 2 est central. C’est lui qui définit l’assiette et les redevables de la TLCLE ou taxe sur les livraisons liées au commerce électronique.
Elle viendrait frapper toutes les livraisons effectuées à destination des consommateurs ou des personnes morales non assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée. Ce, pour autant que ces livraisons soient consécutives à une commerce « par voie électronique » et donc en ligne.
C’est le commerçant en ligne qui viendrait payer cette douloureuse. Son montant aurait pour base de calcul la distance en kilomètres parcourus par le bien « entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale à l’acheteur ». Pour les achats effectués depuis l’étranger, la distance prise en compte sera celle séparant le point d’entrée en France et l’adresse de livraison finale.
Avec une telle règle, un habitant français installé à Strasbourg verrait sa livraison depuis l’Allemagne, beaucoup moins taxée qu’un autre consommateur installé à Brest ou Biarritz. Et ce, pour le même produit acheté.
77,50 euros de taxe pour une paire de chaussettes livrée à Marseille depuis Paris
Cette taxe serait calculée avec une simple multiplication : « Le taux de la taxe est fixé à 0,1 € par kilomètre avec un minimum forfaitaire de 3 € par livraison ». Faute de plafond, notre Strasbourgeois payerait donc 3 euros s'il achète un stylo en ligne depuis la proche Allemagne. Par contre, le Brestois le payerait 107,70 euros (1 077 Km) et le Biarrot, plus de 113 euros.
Prenons un autre exemple ; une livraison d'une paire de chaussettes vendue depuis Paris. Cette livraison serait alourdie de 3 euros de taxe si l'acheteur est dans le 6e arrondissement parisien. Contre 77,50 euros si l'acheteur réside dans le quartier du Panier à Marseille. Soit 38,75 euros par pied.
Selon la proposition, le montant de la taxe serait « calculé sur la base du nombre de kilomètres déclarés par le redevable au plus tard le premier jour ouvré de janvier de l’année d’imposition ». Il reviendrait donc aux acteurs du e-commerce de dresser un tableau exhaustif des transactions effectuées toute l’année auprès de la totalité des acheteurs finaux, pour mesurer l'ensemble des distances entrepôts-lieux de livraison, et déclarer le tout auprès de l’État avant de s’alléger de cette nouvelle taxe.
Trois exonérations
Les commerçants « vivent de plus en plus difficilement cette concurrence sauvage des géants de la livraison en ligne qui sont eux exonérés du poids des charges et des loyers dont s'acquittent les acteurs locaux » regrettent les sénateurs.
Si le commerçant en ligne était le redevable fiscal, rien ne l'empêcherait évidemment de reporter cette ponction sur les frais payés par le consommateur, qu'il soit en mal de chaussettes, de stylos ou n'importe quel autre bien.
La disposition s’inspire d’initiatives passées. En 2018, une proposition de loi des sénateurs Indépendants proposait un régime similaire taxé cette fois à 50 centimes le kilomètre. En sortie du Sénat, le texte, qui avait provoqué la gronde de la FEVAD, s’était finalement orienté vers un système de seuil (une taxe de 1 % du prix du bien quand la distance est inférieure à 50 km, 1,5 % entre 50 km et 80 km et 2 % au-delà). Il a fini sa route sur un parking de la Commission des affaires économiques, à l’Assemblée nationale.
La proposition de loi, qui est loin d’être adoptée, ne frapperait pas toutes les opérations. Elle exonèrerait « les livraisons réalisées par les moyens de transport non consommateurs d’énergie fossile », « les livraisons des entreprises commerciales ou artisanales dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros » et enfin celles effectuées en circuit court, par les producteurs locaux.
La livraison, par vélo, d’un fromage vendu par un petit commerçant ardéchois dans son petit village serait donc triplement épargnée. Ouf.