L’hébergeur a été contraint par la justice à empêcher l’accès depuis la France au site espagnol Subrogalia.com. Un site d’entremise en vue de la GPA, interdite dans notre pays. La cour d’appel de Versailles a jugé ce contenu manifestement illicite, sur le terrain de la loi sur la confiance dans l’économie numérique. Explications.
En 2016, l’hébergeur OVH a été mis en demeure par l’association des Juristes pour l’Enfance d'empêcher l’accès au site subrogalia.com:fr.
Le site espagnol propose de jouer l’intermédiaire « entre une mère porteuse et un client désireux d'accueillir l'enfant porté par elle ». Un contenu « manifestement illicite » selon l’association, armée de la loi sur la confiance dans l’économie numérique.
Cette loi de 2004 encadre encore aujourd’hui le rôle des prestataires en ligne assurant l’hébergement de données pour le compte de tiers. Dans la mécanique de cette loi, un tel acteur engage sa responsabilité lorsqu’il ne retire pas les contenus notifiés, du moins s’ils présentent un caractère manifestement illicite.
Parmi ces contenus, il est traditionnellement admis que la pédopornographie ou l’incitation au terrorisme sont rangées dans ce périmètre. Il n’est pas nécessaire de faire de longues études pour jauger le caractère illicite évident de ces images.
OVH a toutefois contesté qu’un site de gestation pour autrui relève de ce périmètre, ce alors même que l’article 227-12 alinéa 3 du Code pénal prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende pour ce délit d'entremise. Des peines portées au double lorsque les faits sont commis à titre habituel ou dans un but lucratif.
Le 26 février 2019, le tribunal de grande instance de Versailles avait enjoint à OVH « de rendre le site litigieux inaccessible sur le territoire français ».
Décision frappée d’appel par l’hébergeur qui a déployé une salve d’arguments pour tenter de renverser la décision.
À la porte de la cour d’appel de Versailles, il a relevé que la société espagnole, éditrice du site, n’avait pas été préalablement assignée. Or, à ses yeux, il reviendrait à celle-ci de justifier du caractère illicite de son site au regard du droit français.
Elle dénonce aussi le caractère inapproprié de la première décision, puisqu’en « sa qualité d'hébergeur, elle n'a à sa disposition que la possibilité de débrancher le serveur sur lequel l'hébergement du site litigieux est assuré. (...) Ce débranchement aura des conséquences sur le site indépendamment du public concerné, français ou autre ».
Sur le fond, elle ajoute qu’il appartient à l’association « de démontrer le caractère manifestement illicite du contenu litigieux ou de produire une décision de justice ordonnant à la société OVH le retrait dudit contenu ».
Or, les échanges de courriers ne lui ont pas permis de faire un tel constat, d’autant que Subrogalia « lui a indiqué que le site était parfaitement légal dans son pays, l'Espagne, et qu'elle ne développait aucune activité en France ».
OVH a toutefois pris soin de signaler « l'illicéité invoquée du site internet litigieux par le biais de la plate-forme mise à sa disposition par les services publics sans qu'aucune réponse soit apportée ».
Toujours dans son appel, elle a indiqué « qu'aucune mise en relation entre une mère porteuse et un couple désirant se voir remettre un enfant n'est accomplie sur le territoire français ». Bien plus : « la société lui a indiqué que les contrats conclus avec les parents intéressés par un processus de GPA n'étaient pas conclus en France ». Puisqu’aucun acte matériel caractérisant l’infraction n’était accompli dans notre pays, elle a demandé l’annulation du jugement.
L’illicéité du contenu du site
Aussi nombreux soient-ils, ces arguments n'ont pas convaincu la cour d’appel de Versailles. Elle va au contraire considérer, au vu des différentes captures d’écran et autres pièces, que ce site est bien illicite.
La prestation proposée par Subrogalia est une prestation d'entremise « entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre ». Et le caractère habituel de l'entremise « est établi par le nombre de clients revendiqués » (plus de 860 à la date de l'arrêt), tout comme son caractère lucratif (mise en place de « packs » à prix fixe pour accompagner les clients).
Les juges vont aussi relever que si la société promet d’accompagner ses clients « dans tous les pays où la maternité de substitution est légale », elle « n'indique nullement qu'elle ne retiendra pas la candidature de personnes ressortissant d'États interdisant la GPA », d’autant que les captures montrent qu’elle travaille déjà avec des clients français.
« Ce site est donc destiné, notamment, à un public situé en France » où il viole les normes en vigueur en conclut l’arrêt d’appel.
L’illicéité manifeste du contenu du site
Restait à savoir si ses pages étaient manifestement illicites, condition pour engager la responsabilité d'OVH.
Là encore, pour la cour d’appel, cela ne fait nul doute : « au regard des captures d'écran précitées, le contenu du site était, à l'évidence, " manifestement illicite " en ce qu'il contrevenait explicitement aux dispositions de droit français- dépourvues d'ambiguïté- prohibant la gestation pour autrui ».
Ainsi, l'éditeur a « manqué délibérément à une disposition de droit positif explicite et dénuée d'ambiguïté ».
La société OVH ayant été notifiée le 13 juin 2016 avec l’ensemble des éléments exigés par la LCEN, elle est présumée avoir la connaissance des faits illicites. De là, les juges estiment qu’elle aurait dû agir « promptement » pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.
À la place, OVH s’est contenté de contacter la société espagnole et à faire un signalement sur Pharos. Insuffisant aux yeux de la cour d’appel : « elle ne démontre donc pas avoir réagi promptement pour rendre impossible l'accès à ce contenu manifestement illicite », comme le lui impose la loi de 2004.
Empêcher l'accès en France, peu importe les conséquences
L'hébergeur se voit donc ordonner d’empêcher l’accès à ce site sur le territoire français. Il lui appartiendra en outre « de prendre toutes mesures techniques à cet effet quelles qu'en soient les conséquences ». Relevons au passage que le site litigieux a depuis peu cessé d’accepter « de nouveaux processus de maternité de substitution » préférant se consacrer « exclusivement à la réalisation des processus en cours ».
Pour l’association, elle-même hébergée par OVH, cette décision marque un « coup d’arrêt judiciaire à la promotion de la GPA en France ».
Le caractère « manifestement illicite » du site « s’apprécie par rapport à la loi française et non à celle du lieu de résidence de l’éditeur » se félicite-t-elle avant de se réjouir encore « de cette décision qui ne pourra qu’inciter les hébergeurs à retirer sans délai ou rendre inaccessibles les contenus illicites dès lors qu’ils auront été informés et mis en demeure de les retirer ». Une « victoire », titre pour sa part le site InfoChretienne.com.
L’affirmation de cette association, qui juge la GPA comme « une atteinte inacceptable aux droits des personnes » et lutte contre la généralisation de la PMA, doit être lue prudemment : ce n’est pas parce que ce site a été considéré cette fois comme manifestement illicite que tous le seront inévitablement. En particulier, la décision aurait pu être toute autre si cet acteur étranger avait évité d’évoquer la présence de Français dans sa clientèle.