Gérald Darmanin attaque l’auteur d’un blog hébergé par Mediapart en diffamation

L'Intérieur vs l'extérieur
Droit 6 min
Gérald Darmanin attaque l’auteur d’un blog hébergé par Mediapart en diffamation
Crédits : M6

« Je défendrai toujours l’honneur de la Police nationale. Je dépose plainte contre le blog de Mediapart pour diffamation publique. » Décision assez rare, Gérald Darmanin a attaqué l’auteur d’un post sur l'un des blogs hébergés par Mediapart. Explications.

À l’index gouvernemental ? Un certain « horslesmurs » qui a publié le 19 octobre un article titré « exécution sommaire du suspect: nouvelle norme en matière de terrorisme ? ».

Publié sur la zone de blogs de Mediapart, il concerne la mort par balles de l’auteur de l’attentat contre Samuel Paty. Plusieurs propos sont épinglés par le ministre : l’auteur écrit que la « police semble avoir le droit voir le devoir de tuer », dès « qu’il s’agit de terrorisme ». Une police « expéditive ». Il fait en outre le miroir entre « la barbarie terroriste » et « la barbarie policière ».

Selon lui, « ce jeune de 18 ans n’est, au moment précis de sa mort, qu’un suspect armé d’un jouet et d’un canif. Applaudir une police qui tue de façon aussi sommaire et systématique les individus suspectés de terrorisme, c’est applaudir une barbarie, c’est encourager la spirale mortifère des violences policières et c’est embrasser ce choc des civilisations qui se trouve — depuis plus 30 ans — en haut de l’agenda de toutes les extrêmes-droites du monde ».

Le ministre de l’Intérieur considère au contraire qu’accuser les policiers de « barbarie policière » revient à accuser les forces de l’ordre de ne pas avoir respecté les règles en matière d’usage des armes, prévues par le Code de la sécurité intérieur.

Policiers et gendarmes peuvent en effet « faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée » dans plusieurs situations, en particulier « dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres (…) venant d'être commis, lorsqu'ils ont des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes ».

À la lecture de ce billet, Gérarld Darmanin dénonce une « diffamation publique », qui dans le cas présent peut faire encourir jusqu’à 45 000 euros d’amende à l’auteur du billet

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Dans une nouvelle version du texte, « horslesmurs » revient sur ses propos. « Parler de "barbarie policière" était une erreur car cela place sur un même plan moral deux violences très différentes. Or, justement, ces deux violences n'ont rien à voir. Seules les forces de l'ordre sont détentrices d'une violence légitime soumise à un impératif moral, tandis que la violence terroriste se place de facto hors de toute recherche de légitimité ».

Il persiste néanmoins à considérer que « personnellement, je vois dans l'exécution des individus suspectés de terrorisme un risque de glissement moral pouvant aboutir à l'opposition de deux barbaries, mais nous n'en sommes pas encore là ».

Il a également supprimé le passage suggérant « la possible présence d'un "exécuteur" dont la tâche serait distincte de ses collègues. Non pas que la vidéo exclue une telle hypothèse, mais elle ne la démontre pas non plus. Et il est clair que ce type d'analyse basée sur des faits très parcellaires est contre-productive pour qui prend la question au sérieux ».

Avant de s’interroger : « n'est-il pas contradictoire d'ériger les caricatures de Charlie Hebdo en symbole inviolable de la liberté d'expression et, dans le même temps, appeler à la censure d'un billet de blog critiquant l'incapacité (où le manque de volonté) des forces de l'ordre à capturer vivants les individus suspectés de terrorisme ? »

Quand le site Mediapart est confondu avec l'auteur du billet de blog Mediapart

Le Point a rapidement titré « Attentat de Conflans : Darmanin dépose une plainte contre Mediapart », avant de publier un erratum sur Twitter. De son côté le préfet Gilles Clavreul avait, dès le 19 octobre dénoncé un « texte complotiste ignoble » qui « engage la responsabilité de Mediapart ».

Le site n’est toutefois pas en cause dans le tweet du ministre de l’Intérieur. Pouvait-il l’être ? Deux grandes hypothèses. Très schématiquement, ou bien il peut s’abriter derrière son statut d’hébergeur de blogs. Ou bien son rôle d’éditeur est consacré. Juridiquement, « la responsabilité des contenus tiers d’un blog comme celui de Mediapart est une histoire de casuistique » détaille Me Ronan Hardouin.

« Elle relève de la notion de directeur de la publication dont la responsabilité peut être engagée dès lors qu’il a effectué une "fixation préalable » (art. 93-3 loi de 1982 ) c’est-à-dire qu’il a eu connaissance du contenu avant sa publication ou aurait dû en avoir connaissance en raison des liens qui l’unissent à l’auteur »

Et « dans le cas contraire, c’est le statut d’hébergeur tel que prévu par la loi sur la confiance dans l’économie numérique qui s’applique ». Un texte « d’ailleurs parfaitement en phase avec l’article 93-3 de la loi de 1982 puisque l’article 6-I-2 ou 3 exclut dans leur alinéa 3 le bénéfice du régime de responsabilité limitée dès lors que le fournisseur de contenu agit sous "l’autorité ou le contrôle" de l’hébergeur ».

En somme, conclut-il, « ce n’est pas le média qui fait la responsabilité, mais le contrôle du directeur de la publication sur le contenu ou sur la personne qui le publie ».

La Charte Médiapart : un hébergeur qui fait parfois des choix éditoriaux

La Charte de participation du site « demande à ses contributeurs de respecter les règles de bonne conduite qui suivent et la législation en vigueur, et notamment les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ». Elle insiste en prévenant que « les contributions publiées par les abonnés (…) relèvent exclusivement de leur responsabilité et ne subissent aucun contrôle a priori ».

Dans le même temps toutefois, Mediapart « se réserve la possibilité de mettre en valeur, par choix éditorial, après sa publication par le contributeur, tout commentaire, billet, profil, qui sera alors signalé comme recommandé par la rédaction ». Il s’autorise même à modifier le titre et la présentation, soit autant de témoignages d’une connaissance éditoriale du contenu litigieux.

Le statut d’hébergeur protège le site jusqu’à un certain point : la connaissance du fait manifestement illicite. Cette connaissance est même présumée lorsque le site a réceptionné une notification comportant plusieurs éléments, en particulier « les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible ».

Dernier détail : Gérald Darmanin a porté plainte pour diffamation, infraction susceptible de se voir opposer l’exception de vérité ou la bonne foi. La bonne foi suppose la démonstration de « la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que le sérieux de l'enquête ». L’exception de vérité consistera à démontrer la vérité des faits.

Il reviendra donc à l’auteur d’apporter ces justificatifs devant un juge. De son côté, difficile de demander à l’hébergeur de trancher, d’autant qu'Edwy Plenel écrit que « comme chez tout hébergeur, la censure d’un billet de blog suppose le respect d’un formalisme juridique afin de protéger la liberté d’expression, fût-elle polémique. Or le billet de blog visé par le ministre de l’Intérieur n’a préalablement fait l’objet d’aucune demande de dépublication dans les formes légales, ni de la part du ministère de l’Intérieur, ni de la part d’aucune autre administration ».

Et le directeur de la publication de bien se garder de publier le moindre lien vers le contenu dénoncé par Gérald Darmanin.

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