La DGSE peine à recruter ses futurs maîtres espions en informatique

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La DGSE peine à recruter ses futurs maîtres espions en informatique
Crédits : atakan/iStock

La DGSE, qui n'a de cesse de recruter des ingénieurs informaticiens, déplore qu'aucun candidat n'ait été admis, cette année, au concours pour l'accès à son corps des « attachés » (ceux-là même qui sont destinés à occuper les niveaux hiérarchiques les plus élevés) dans la spécialité « Sciences et techniques – informatique ».

Sur son profil LinkedIn, la DGSE n'a de cesse de recruter, au point d'avoir initié une véritable « opération de séduction », vu ses besoins, notamment en termes d'ingénieurs informaticiens. L'une de ses dernières offres d'emploi recherche ainsi un ingénieur logiciel cyber chargé de concevoir des « systèmes de communication clandestins à fort niveau de sécurité ». De quoi potentiellement faire rêver les amateurs du Bureau des légendes, la série télé qui l'a revigorée.

Ses petites annonces finissent quasiment toutes par rappeler que « notre culture, basée sur l'innovation, vous laissera la liberté de proposer et d'essayer de nouveaux concepts. Vous serez entouré d’experts dans le domaine, pourrez bénéficier de formations externalisées pour développer vos compétences et pour contribuer quotidiennement à la sécurité de nos concitoyens ». De quoi challenger les ingénieurs en quête de défis professionnels. 

Sur son site web, la DGSE précise qu'« à ce titre, elle mène une politique volontariste et nécessaire d'excellence technique : la taille importante des équipes ainsi que leur renouvellement naturel entraînent un besoin permanent d'ingénieurs et de techniciens de talent, de tout horizon et de tout âge, maîtrisant les techniques ou technologies du moment et dotés d'un véritable appétit d'apprendre ».

De quoi espérer pouvoir attirer des contractuels qui, en contrepartie d'un salaire potentiellement moindre que dans le privé, pourront par contre et par la suite espérer pouvoir gagner plus et mieux, comme l'expliquait la DGSE elle-même en 2011 :  « Nos contractuels apprennent vite qu’ils peuvent valoriser sans peine leur expérience au bout de trois ou six années passées chez nous. Ils ont en outre la possibilité, assez récente, de faire miroiter l’estampille DGSE en bonne place sur leur curriculum vitae. » 

Sur son LinkedIn, la DGSE fait aussi de la retape pour ses concours administratifs de recrutement de fonctionnaires qui, pour le coup, font bien moins rêver. Qui aspirerait en effet à devenir « secrétaire administratif spécialisé », « adjoint administratif » ou « contrôleur spécialisé », du nom des corps de fonctionnaires civils du « Service », de « la Centrale » ou de la « Boîte », comme le surnomment en interne ses employés ?

Son dernier appel, intitulé « Devenez attaché » et illustré d'une enfilade de tables scolaires bien rangées et numérotées, était même plutôt déprimant.

 

Le corps des « attachés » réunit les fonctionnaires de catégorie A, recrutés à bac +3 ou 4, « chargés des fonctions de conception, d'expertise, de gestion ou de pilotage d'unités administratives ou spécialisées », et destinés à occuper les niveaux hiérarchiques les plus élevés. 

Le rapport du jury du concours externe 2019, que la DGSE vient de mettre en ligne, précise que le nombre total de places offertes était de 29, dont 15 en géopolitique, 8 en « langues et civilisations » (4 en arabe, plus 2 en russe et en farsi), 3 en « administration générale » et 3 autres en « sciences et technologies - informatique ».

1 200 candidats s'étaient inscrits (dont 41% de femmes) et 800 avaient pu se présenter aux trois épreuves écrites, à l'issue desquelles « environ 130 » ont été admises à passer aux épreuves orales.

« Implémenter l'intelligence de la "machine" dans une application du jeu "Morpion" »

En informatique, lors des épreuves écrites, « les candidats ont dans l'ensemble réalisé des prestations correctes (au-delà de 12/20), même si la note de 15/20 a rarement été dépassée », explique le jury. Pour autant, « l'exercice de logique de programmation a donné lieu à des réponses parfois décevantes, avec des candidats qui ne sont souvent pas allés jusqu'au bout de l'exercice ».

Le jury souligne également « la diversité des profils techniques dans cette épreuve, au cours de laquelle les candidats ont rarement répondu correctement aux mêmes questions ou commis les mêmes erreurs ».

Les annales du concours 2019, elles aussi mises en ligne, révèlent pourtant que la majeure partie des questions et problèmes à résoudre, mis à part la programmation « en métalangage ou en python » d'une fonction pour faire jouer une machine au Morpion, ne relevaient pas d'une complexité technique particulièrement élevée. Il leur était en effet demandé de :

  • rappeler le rôle de l'ANSSI (1 point),
  • expliquer comment un attaquant pourrait utiliser le certificat racine d'un système d'information qu'il aurait volé (1 point),
  • ce qu'il ferait pour y remédier (2 points),
  • la ligne de commande permettant de retrouver, en tant qu'administrateur root sur une distribution Debian, la chaîne de caractères « aPt » dans des fichiers « sur la totalité du serveur » (1 point),
  • décrire la solution technique la plus économique pour connaître la température de 120 cabanons (dépourvus d'électricité) répartis sur un terrain de 2000m2, et prendre une photo basse qualité, « depuis l'intérieur, à chaque fois que la porte s'ouvre » (2 points),
  • proposer une solution télécom pour relier de manière sécurisée les systèmes d'information d'une filiale au Moyen-Orient et de sa société mère en France (1 point),
  • mettre en place un accès internet pour ses employés et disposer d'un serveur mail hébergé dans ses locaux au sein d'une DMZ (1 point),
  • investiguer pour améliorer les performances d'un serveur web particulièrement lent loué auprès d'AWS (1 point),
  • « implémenter l'intelligence de la "machine" » dans le cadre du développement d'une application du jeu « Morpion » pour téléphone portable (3 points)
  • citer un avantage et un inconvénient d'une organisation matricielle (1 point), et 3 points majeurs qu'un chef de projet doit toujours contrôler (1 point),
  • décrire les principes d'une gestion de projet « SCRUM » (1 point),
  • définir l'intelligence artificielle (1 point) puis un IoT (1 point), et préciser les éléments à prendre en compte en prévision d'une réunion stratégique visant à positionner un opérateur télécom en la matière (2 points).

À titre de comparaison, en 2018, les candidats devaient expliquer, en quelques lignes, la théorie des graphes, les différentes couches du modèle OSI, ce qu'est une expression régulière, une machine virtuelle, le RGPD, les différences entre les commandes rm et unlink, à quoi sert le répertoire /lost+found et la commande sudo, et ce qu'est un cron.

Ils devaient, en outre, écrire une fonction, dans le langage de leur choix, pour convertir du code Morse en texte, et décrire l'architecture technique d'un système de gestion et de géolocalisation d'une flotte de livreurs en trottinettes.

Le jury n'a déclaré aucun candidat admis dans la spécialité « informatique » 

Parmi 130 candidats pré-sélectionnés, « près de 60 ont été admis à l'issue des épreuves orales d'admission ». Pour autant, « le jury n'a déclaré aucun candidat admis dans la spécialité « Sciences et techniques – informatique » :

« En effet, si les candidats de cette filière ont souvent pu démontrer d'excellentes compétences techniques dans l'épreuve écrite de spécialité, le jury n'a pas été en mesure de déceler chez eux, lors de l'entretien, une capacité suffisante à se projeter à long terme dans cette filière ni à prendre de la hauteur sur les enjeux évoqués ».

Le référentiel des attendus du jury précise que lors de l'épreuve orale interactive, il est censé apprécier les « qualités intellectuelles et relationnelles des candidats », leur « faculté d'analyse, d'argumentation et d'adaptation, leur réactivité ainsi que leur capacité à enrichir le débat en suscitant la réflexion chez leur interlocuteur, leur aptitude à l'écoute, au dialogue, à la critique constructive ».

Le jury appréhende également leurs « motivations pour intégrer le corps des attachés de la DGSE », leur « capacité à se projeter, à court et moyen terme, dans l'exercice des métiers analytiques et opérationnels du Service », ainsi qu'à « travailler en conformité avec les contraintes propres à un service spécial », mais également leur « esprit d'à-propos » et leur « réactivité ».

Non content de ne pas particulièrement exceller en informatique, les postulants ne semblaient pas non plus pouvoir répondre à ce que le jury était en droit d'espérer de la part d'un postulant au service de renseignement.

« Un faible nombre de candidats a été capable de citer une fiction autre que le Bureau des Légendes »

Si le rapport du jury ne précise pas combien de candidats avaient postulé à la spécialité informatique, son rapport 2018 estimait que les épreuves de russe et d'informatique avaient cumulé « environ 5% » des postulants (contre « environ 80 % » pour la géopolitique, « près de 10 % » pour l'administration générale, et « environ 5 % » pour l'arabe).

En 2017, une réforme avait, pour la première fois, ouvert le concours externe d'attaché à cette spécialité « informatique », tout en le dotant d'une épreuve orale d'admission dite « interactive », comparable en partie à celle proposée au concours externe d'entrée à l'ENA. Cette réforme, précisait le rapport du jury, résultait d'une volonté du Service :

  • d'ouvrir le recrutement des attachés de la DGSE, dont le corps constitue la « colonne vertébrale » du Service, à des profils plus diversifiés, répondant aux missions et aux métiers particulièrement variés exercés par le Service ;
  • d'apprécier, au travers de l'épreuve interactive, les qualités relationnelles des candidats, leur aptitude à la communication et leur talent créatif.

Cette même année 2017, le jury déplorait déjà « une note moyenne faible dans la spécialité informatique à l'épreuve écrite d'anglais et pour toutes les spécialités, une note moyenne d'environ 8/20, avec un faible écart-type, à l'épreuve de note de synthèse ». Il regrettait au surplus « le manque d'originalité et de motivations spécifiques pour rejoindre la DGSE », les candidats « omettant souvent d'expliquer la spécificité que représente le choix d'une administration dédiée au renseignement » :

« Le jury a notamment regretté que des candidats ne soient pas en mesure de faire preuve d'une hauteur de vue et après une présentation sans relief, ne soient pas en mesure de partager avec le jury des réflexions sur les enjeux techniques et humains du renseignement, les relations internationales et les menaces pesant sur les intérêts français.

Un faible nombre de candidats a démontré une réelle curiosité pour les métiers du renseignement et ont par exemple été capables de citer une grande figure de l'histoire du Service ou une œuvre de fiction relative à l'espionnage autre que le Bureau des Légendes.

Le jury s'est détourné des candidats – rarissimes – venus chercher une dimension fantasmée à la DGSE, ainsi que ceux uniquement en quête d'une sécurité de l'emploi.

Le jury a accordé à la personnalité des candidats autant de poids qu'à leur CV, leurs connaissances et leurs motivations.»

« Les femmes sont quasiment absentes en informatique »

Se félicitant que la réforme de 2017 ait permis d'enregistrer un nombre d'inscrits « supérieur de près de 60 % au nombre moyen d’inscrits constaté jusqu’en 2016 dans l’ancienne version du concours », le jury n'en constatait pas moins que « la part des femmes, pour l’ensemble des spécialités, tant au stade de l’admission que de l’admissibilité, est restée stable par rapport à 2017 et s’établit à environ un tiers du nombre total des candidats ».

Le jury avait à ce titre regretté que « les femmes sont proportionnellement surreprésentées en langues et quasiment absentes en informatique ». La liste des candidats admissibles cette année-là ne comprenait ainsi « qu'une seule candidate et un faible nombre de candidats extérieurs au ministère de la défense » dans la spécialité informatique.

Il n'est pas anodin, à ce titre, de noter que la DGSE avait, en décembre dernier, précisément choisi une femme pour incarner sa vidéo intitulée « Mon métier d’ingénieur systèmes ». On la voit (floutée) s'entraîner à la boxe, expliquer qu'elle vient d'une école d'ingénieurs « pas forcément connue », vanter l'esprit de corps de la DGSE et le fait qu'elle y contribue à sauver des vies.

 

D'un point de vue statistique, « plus de 45% des candidats admis cette année sont des femmes (35% si l'on ne considère que les listes principales) et l’âge moyen des candidats admis reste identique aux sessions passées, soit 27 ans ».

Le jury ne s'étend pas plus sur le profil des candidats aux épreuves d'informatique. Mais en 2017, il soulignait que les lauréats avaient présenté « des formations particulièrement variées mais pour une certaine part issues d'écoles d'ingénieurs et formations spécialisées en informatique », tout en notant que « la plupart de ces candidats avaient déjà une expérience professionnelle confirmée dans le secteur privé ».

Sur les 160 candidats déclarés admissibles en 2018, le jury précisait par ailleurs que les derniers candidats admis avaient obtenu une moyenne générale de 16,40 en arabe, 15,39 en géopolitique, 14,93 en russe, 14,75 en administration générale, mais seulement 12,81 en informatique.

La DGSE cherche des « moutons à cinq pattes » (faisant moins de 10 fautes d'orthographe)

« Une des difficultés du concours vient du besoin d'identifier et de sélectionner des profils aux aptitudes pouvant apparaître fréquemment antinomiques », précisait alors le jury. Dans un chapitre intitulé « Philosophie générale du concours et esprit de la sélection », il reconnaissant que « cette longue liste peut donner le sentiment que le jury recherchait des « moutons à cinq pattes » :

« Le jury était ainsi en quête de candidats à la fois créatifs et rigoureux, dans l'initiative mais acceptant le poids des procédures, ouverts sur le monde et profondément patriotes, capables de se spécialiser dans un domaine durant quelques années tout en restant fondamentalement de bons généralistes, attirés par le terrain tout en appréciant les tâches propres à un travail d'administration centrale (rédaction, analyse, etc.), désinhibés et audacieux tout en sachant faire preuve de discrétion, d'autocontrôle et irréprochables sur le plan déontologique ainsi que stables psychologiquement, sachant alternativement évoluer en totale autonomie et travailler en équipe au sein d'une administration fortement hiérarchisée, ayant des dispositions pour le management sans que ce soit le cœur de leur motivation, ayant le sens de l'humour et de l'autodérision tout en étant capables de gravité et de fermeté quand les circonstances l'exigent... »

Le jury soulignait par ailleurs « l’importance accordée à l’orthographe lors de la correction des épreuves écrites. Un candidat faisant plus de dix fautes à l’épreuve principale de géopolitique n’avait pratiquement aucune chance d’être déclaré admissible ».

L'informatique et l'orthographe ne sont pas les seuls points faibles des aspirants à la « Boîte ». Au printemps dernier, Intelligence Online avait déjà remarqué que ce même jury s'était déclaré consterné par le niveau des postulants en « arabe littéral ». Leur maîtrise semblait « très en deçà du niveau attendu », au point de ne retenir, là encore, aucun des candidats. Au surplus, déplorait-il, « aucun d’entre eux n’a démontré avoir une connaissance suffisante de la DGSE et de ses missions pour pouvoir se projeter, avec conviction, dans un poste correspondant à cette spécialité ».

Qui a trahi le Web ? Faut-il rouvrir des mines en France ? Qu’en pensez-vous ?

L'étude des dossiers de candidature des candidats déclarés admissibles au concours a permis au jury de constater cette année « un recul de la diversité des parcours académiques chez les candidats. Ceux-ci, très souvent de très bonne facture, étaient en effet fréquemment issus d'Instituts d'études politiques au détriment de candidats issus d'écoles de commerce ou d'universités, filières pourtant recherchées dans ce recrutement ».

Le jury encourage par ailleurs les éventuels postulants à prendre en compte, non seulement leurs rapports 2017 et 2018, mais également les annales des concours afférents. Où l'on découvre que l'« épreuve orale interactive » , analogue à celle du concours d'entrée à l'ENA, leur avait notamment demandé de réagir à des questions telles que :

  • La politesse est-elle seulement un code social ?
  • Donald Trump change-t-il le monde ?
  • « Être libre, c’est choisir ses aliénations ». Qu’en pensez-vous ?
  • « Il n’y a pas de réussite sans mensonge ». Qu’en pensez-vous ?
  • Selon Jean Giono, « pour bien mentir, il faut beaucoup de sincérité ». Êtes-vous d’accord ?
  • Comment associer les droits des minorités avec ceux de la majorité ?
  • Faut-il avoir peur de la Chine ?
  • Pierre Desproges a dit « il ne faut pas désespérer des imbéciles. Avec un peu d’entraînement on peut arriver à en faire des militaires » (Fonds de tiroir). Qu’en pensez-vous ?
  • La bienveillance au travail est-elle un phénomène de mode ?
  • Qui a trahi le Web ?
  • Faut-il regretter la guerre froide ?
  • Faut-il rouvrir des mines en France ?
  • Que vous inspire cette citation attribuée à Mark Zuckerberg, fondateur et PDG du réseau social Facebook : « il y a longtemps, la vie privée était gardée. Aujourd'hui, les gens veulent partager, les gens sont plus ouverts » ?
  • Quand une Ferrari passe en ville, l’Américain rêve de la conduire tandis que le Français rêve d’en faire descendre le chauffeur. Qu’en pensez-vous ?
  • L’humour est-il un droit fondamental ?

« Malgré la crainte ressentie par certains candidats en découvrant le sujet tiré au sort, il s’avère que les sujets les plus décalés ou les plus provocateurs ont donné lieu aux prestations et aux échanges les plus intéressants », conclut le jury.

Si vous voulez témoigner ou me contacter de façon sécurisée (voire anonyme), le mode d'emploi se trouve par là.

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