Alors que le gouvernement appelle à « intensifier le télétravail », zoom sur les changements en matière d’indemnisation, de prévention des risques et de caractérisation des accidents du travail souhaités par plusieurs députés. Ils ont déposé à cette fin une proposition de loi visant à « sécuriser le droit au télétravail ».
« La grève des transports et plus encore la crise sanitaire ont bouleversé nos manières de travailler ». C’est la raison invoquée par le groupe de travail porté par le député UDI Pierre Morel-À-l’Huissier pour donner un cadre plus « sécurisant » au télétravail.
Le télétravail n’est aujourd’hui ni un droit ni une obligation au regard des articles L. 1222-9 et suivants du Code du travail. Il repose grandement sur un « double volontariat » de l’employé et de l’employeur. En effet, il n’existe pas de « droit intangible au télétravail » dans le texte encadrant aujourd’hui cette activité, l’ordonnance du 22 septembre 2017.
Elle donne la possibilité au salarié de faire une demande de télétravail à son employeur. Ce dernier n’est pas dans l’obligation de l’accepter, mais doit motiver son refus le cas échéant. Cette règle est valable à la fois dans le secteur public et le secteur privé.
Depuis le décret du 5 mai 2020 paru durant le confinement, il est cependant plus difficile pour l’administration de refuser une demande de télétravail d’un de ses agents. Le refus doit non seulement être motivé, mais également être précédé d’un entretien individuel. Au surplus, ce décret donne la possibilité à tout agent des trois grands corps de la fonction publique de travailler à distance (chez lui ou dans un lieu privé) jusqu’à trois jours par semaine. Des exceptions sont également prévues pour tout agent dont « l’état de santé, le handicap ou l’état de grossesse » le justifie, et en cas de « situation exceptionnelle perturbant l’accès au service ou le travail sur site ».
Les parlementaires à l’origine de cette proposition de loi relèvent néanmoins qu’une telle disposition « pourrait susciter une résistance de principe des employés, y compris du privé, craignant une généralisation du télétravail contraint ». Ils ont préféré concentrer leurs axes de travail autour d’autres points.
Nouveau régime pour les accidents sur le temps du télétravail
L’un des socles de leur « PPL » consiste déjà à revoir le régime de la preuve en matière d’accident du travail. En effet, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a ancré dans la loi la présomption selon laquelle tout accident survenu sur le temps du télétravail est un accident de travail.
Si l’employeur entend contester cette qualification, il lui appartient de renverser cette présomption, en particulier s’il estime que l’accident a été occasionné par une cause étrangère au télétravail.
Les députés ne sont pas satisfaits d’un tel régime, présenté comme une des raisons du blocage du télétravail en France, nous confie le bureau parlementaire du député Morel-À-L’Huissier. Pour faire jouer la présomption à l’avenir, ils souhaitent qu’un accident en télétravail soit « clairement lié à l’activité professionnelle de l’employé ».
Seraient ainsi pris en compte plusieurs hypothèses, comme les « défaillances des installations » de télétravail, le « défaut d’aménagement » ou encore l’ « insuffisance dans la prévention des risques » (article 5). Avec une marge d’interprétation assez large laissée aux juridictions en cas de litige, la liste n’étant pas limitative.
Une attestation pour règlementer les spécifications techniques
Néanmoins, avec une telle réforme, il reviendrait surtout à l’employé de prouver que l’accident en question est bien directement lié à l’un des scénarios mentionnés, pour espérer ensuite bénéficier de la présomption. L’exposé des motifs est clair sur ces volontés : il faut « limite[r] la définition d’accident du travail afin d’éviter que l’employeur ne soit rendu responsable d’accidents sans lien avec l’activité professionnelle du télétravailleur ».
Pour prévenir ces accidents, cette proposition instaurerait aussi la mise en place obligatoire d’une « attestation de conformité des installations aux spécifications techniques ».
Selon les députés, voilà qui renforcerait « l’obligation de sécurité de l’employeur en ce qui concerne l’aménagement de l’espace de travail ».
Le bureau du député Morel-À-L’Huissier précise que l’objectif de ce texte, qui sera complété par une autre proposition de loi dans les mois à venir, est de « poser les jalons d’une évolution règlementaire grâce à l’attestation de conformité ». Le cadre juridique par défaut du télétravail, en l’absence d’accords collectifs ou de charte d’entreprise, est l’Accord national interprofessionnel de 2005 sur le télétravail. « L’ANI impose à l’employeur de réaliser une visite du domicile avec un représentant du personnel. Cela pose une vraie question en matière de respect de la vie privée… ».
L’objectif de la proposition de loi est donc de préparer le terrain à d’éventuels partenariats avec des organismes spécialisés dans ce type d’homologation. Par ailleurs, les « lieux privés » visés dans la proposition font référence aux espaces de coworking, plus simples à contrôler. « Il s’agit aussi de prendre en compte la réalité du parc immobilier, notamment à Paris. Il y a des domiciles qui ne sont pas adaptés au télétravail », précise le bureau du député Morel-À-L’Huissier ».
Les députés listent les conséquences du télétravail sur la santé physique ou mentale, parmi lesquelles apparaissent le « manque d’ergonomie des installations de travail, un sédentarisme excessif et des risques psychosociaux », lesquels peuvent être « exacerbés par l’absence de soutien social direct face à une situation ressentie comme violente lors d’un entretien téléphonique ou à la lecture d’un courriel ».
Pour y répondre, la proposition prévoit que l’accord collectif en vigueur (ou à défaut la charte déjà prévue par la législation) précise, outre notamment des mesures de formations spécifiques, celles permettant de prévenir les « risques sur la santé physique et psychique des salariés particuliers au télétravail mis en œuvre par l’employeur ».
Ils plaident pour « de nouvelles habitudes managériales visant à maintenir le collectif et cultiver un lien régulier à distance, afin notamment de détecter les situations de souffrance au travail ». Et toujours selon eux, la seule façon de « rassurer les employés sur leur sécurité et les employeurs sur leurs responsabilités » consisterait à enrichir les accords collectifs ou les chartes d’entreprise.
Selon le bureau du député Morel-À-L’Huissier, la proposition de loi qui viendra compléter celle-ci sera principalement focalisée sur les aspects psychosociaux, pour venir encadrer le télétravail de façon « globale, pointilleuse et précise » et éviter tout abus.
Dans le cadre d’un sondage réalisé par la CGT sur 34 000 salariés entre le 8 et le 24 avril, on constate que deux-tiers des interrogés ont découvert le télétravail avec le confinement.