La directive européenne relative à la protection des lanceurs d'alerte doit être transposée d'ici fin 2021. La CNCDH estime qu'elle est bien plus protectrice que ne l'est la loi française, et recommande de profiter de l'occasion pour élargir son champ d'application. Notamment en y introduisant la possibilité d'un droit d'asile, depuis l'étranger.
« Les lanceurs d’alerte peuvent être la cible de menaces, d’intimidation, de représailles, rappelle Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Ces femmes et ces hommes jouent un rôle essentiel pour renforcer la transparence et la responsabilité démocratique. Leur garantir une protection effective doit être une priorité absolue. »
La CNCDH estime en effet que le régime de protection des lanceurs d’alerte prévu par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin II »), adoptée en 2016, « ne permet pas de garantir efficacement leur protection contre des tentatives d’intimidations, de harcèlement ou de représailles, dissuadant ainsi les lanceurs d’alerte potentiels de signaler des violations de droits ».
Dans un avis en date du 24 septembre, mais qui n'a été publié au JO que ce 4 octobre, la CNCDH rappelle que la France devra transposer au plus tard le 17 décembre 2021 la directive relative aux personnes qui signalent des violations du droit de l'Union. Et qu'elle entend bien exercer la mission que le législateur lui a attribuée, à savoir « de sa propre initiative, appeler publiquement l'attention du Parlement et du Gouvernement sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection et la promotion des droits de l'homme ».
Abolir l’obligation de signalement au supérieur hiérarchique
Face aux inégalités de protection des lanceurs d’alerte au sein de l’Union européenne, rappelle la CNCDH, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne avaient en effet adopté le 7 octobre 2019 une directive sur la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union.
Elle considère les lanceurs d'alerte comme « des acteurs permettant le respect de la légalité et l'application du droit de l'Union » car les « signalements et les divulgations publiques des lanceurs d'alerte constituent une composante en amont de l'application du droit et des politiques de l'Union ». Elle insiste au surplus sur « leur utilité non seulement pour les citoyens de l'Union, pour les consommateurs mais aussi pour les entreprises ».
Cette directive vise dès lors à introduire des garanties minimales de protection dans la législation des États membres, rappelle la CNCDH. Elle simplifie notamment la procédure de signalement des faits contrevenant au droit de l’Union européenne en abolissant l’obligation de signalement au supérieur hiérarchique et en renforçant la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte.
La directive introduit en effet « une différence notable par rapport à la loi Sapin II s'agissait de la procédure de signalement : alors que l'information de l'employeur constitue un préalable obligatoire à l'heure actuelle en droit français, elle n'est envisagée qu'à titre facultatif dans la directive, le lanceur d'alerte pouvant s'adresser directement à l'autorité en charge du traitement des alertes ».
Garantir une assistance financière et un soutien psychologique
Or, les nombreuses auditions menées par la CNCDH lui ont « permis de dresser un bilan mitigé de la loi Sapin II », et notamment de conclure que « l'obligation de signaler au préalable les faits à l'employeur, cumulée à la protection incertaine contre des mesures de représailles à l'issue d'une procédure judiciaire longue et coûteuse, n'ont pas permis de garantir une protection effective des lanceurs d'alerte ».
« La directive réservant aux Etats membres une marge d'appréciation pour certains aspects », précise-t-elle dans son avis. La CNCDH invite par ailleurs le législateur à « retenir des options favorables à la protection effective des lanceurs d'alerte ».
Elle recommande à ce titre que la mission de protection des lanceurs d'alerte « relève d'une autorité publique indépendante unique » et que, « pour garantir la protection effective des lanceurs d'alerte, cette autorité publique indépendante doive non seulement être chargée d'informer les lanceurs d'alerte, de recevoir et de traiter les signalements, mais aussi s'assurer l'attribution d'une assistance financière et d'un soutien psychologique ».
Élargir aux associations et syndicats le statut de lanceurs d'alerte
« En raison des améliorations qu'elle renferme, tant pour le statut du lanceur d'alerte, que pour la simplification de la procédure de signalement », la CNCDH recommande par ailleurs au législateur d'« assurer une transposition de la directive qui élargisse le champ de l'alerte aux personnes morales, notamment à des organisations syndicales et des associations ». Elles pourraient en effet jouer le rôle de « porteur de l'alerte » en se « substituant à l'auteur du signalement, souvent fragilisé et isolé ».
La directive prévoit en effet la notion de « facilitateur », qu'elle définit comme « une personne physique qui aide un auteur de signalement au cours du processus de signalement dans un contexte professionnel et dont l'aide devrait être confidentielle » qui, au même titre que les lanceurs d'alerte, doivent bénéficier des mesures de protection prévues par la directive.
La CNCDH recommande à ce titre :
- d'introduire dans la loi l'obligation de négociation avec les institutions représentatives du personnel concernant la mise en place dans l'entreprise du dispositif d'alerte,
- que les personnes déléguées à recevoir les alertes et à assurer leur traitement aient une reçu une qualification adaptée,
- que, dans l'exercice de cette fonction, leur indépendance soit garantie,
- qu'elles ne doivent rendre compte directement qu'au sommet de la hiérarchie de l'entreprise ou de l'administration concernées.
« Intégrer le principe de réparation intégrale du dommage subi »
Conformément à ce que prévoit la directive, la CNCDH recommande en outre d'« intégrer le principe de la réparation intégrale du dommage subi par le lanceur d'alerte et de s'assurer que tous les aspects des préjudices soient réparés (reconstitution de carrière dans la fonction publique ; préjudice moral, etc.) ».
De plus, et « bien que la directive ne l'évoque pas, la CNCDH estime que les lanceurs d'alerte de nationalité étrangère devraient également bénéficier du droit d'asile », et « recommande que les lanceurs d'alerte puissent présenter la demande depuis leur lieu de séjour à l'étranger ».
Dans la mesure où la reconnaissance de cette qualité est conditionnée par l'exigence posée par le juge français de la présence du demandeur d'asile sur le territoire, la CNCDH rappelle que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a, dans sa résolution aux fins de protéger les lanceurs d'alerte, demandé de « faire bénéficier les lanceurs d'alerte du droit d'asile, en permettant, dans des cas exceptionnels, que les lanceurs d'alerte introduisent la demande depuis leur lieu de séjour à l'étranger ».
Ce qui constituerait une véritable révolution, tant pour le droit des lanceurs d'alerte que le droit d'asile.
Les propositions du Défenseur des droits
En juin dernier, le Défenseur des droits – chargé depuis 2016 de l’orientation et de la protection des lanceurs d’alerte – avait lui aussi appelé le Gouvernement et le Parlement à « une transposition ambitieuse de la directive dans la loi française » :
« Depuis plus de 3 ans, le Défenseur des droits a régulièrement alerté sur les fragilités du système français de protection des lanceurs d’alerte. Il invite aujourd’hui à se saisir de la directive pour permettre à la France de se doter d’une législation claire, opérationnelle et accessible à tous, à la hauteur de l’enjeu démocratique que représentent le développement de la culture de l’alerte et la protection effective de ceux qui prennent des risques pour dénoncer des atteintes à l’intérêt général. »
Il recommandait lui aussi que le gouvernement « ne s’en tienne pas à une transposition stricte de la directive, mais allant au-delà et clarifie le rôle des personnes morales dans le processus de lancement des alertes (ONG, syndicats) », afin de « rompre l'isolement du lanceur d'alerte ».
Il appelait également à « un renforcement du contrôle du respect de la mise en place effective des procédures de recueil de signalement et une évaluation régulière des dispositifs », et à ce qu'il « inclue au niveau national un dispositif spécifique d’alerte relatif aux questions de sécurité nationale et de secret défense ».
« Offrir aux lanceurs d’alerte la garantie d’un accès facilité à l’emploi public »
Évoquant la possibilité (laissée à l'appréciation des États membres) de rémunérer les lanceurs d'alerte, le Défenseur des droits estimait qu'il conviendrait plutôt, « en dépit de l'obstacle constitutionnel, d’envisager une forme d’aide financière pour les lanceurs d’alerte destinée à couvrir les préjudices comme cela existe dans certains pays européens ».
« Compte tenu des délais de jugement des juridictions, de nombreuses années peuvent parfois s’écouler avant que le lanceur d’alerte soit rétabli dans ses droits et ses fonctions », rappelait-il par ailleurs. Dès lors, « l’interdiction des représailles ne suffit pas à elle seule à assurer la protection des lanceurs d’alerte ».
Il estimait a contrario que « la prévention des représailles peut apparaître comme une protection plus efficace que leur sanction juridictionnelle », et que « des solutions intermédiaires telles que la médiation ou la mutation volontaire de la personne sont alors susceptibles de pallier cette difficulté ».
« Afin d’assurer une meilleure protection des lanceurs d’alerte ayant fait l’objet de mesures de représailles » le Défenseur des droits proposait également de « mettre en œuvre des mesures permettant de leur assurer un retour à l’emploi face au risque de mise à l’écart ». Dans cette perspective, il proposait d'« ouvrir une voie d'accès spécifique aux lanceurs d'alerte pour intégrer la fonction publique et ainsi lutter contre la mise sur liste noire », et même d'« offrir aux lanceurs d’alerte la garantie d’un accès facilité à l’emploi public ».
« Faire face aux nombreuses résistances qu’inspire encore la notion de lanceurs d'alerte »
« Pour faire face aux nombreuses résistances qu’inspire encore la notion de lanceurs d’alerte, notamment dans les entreprises et dans l’administration », il estimait important de « disposer d’institutions susceptibles de susciter la confiance et une certaine adhésion. À cet égard, leur indépendance joue un rôle primordial ».
Si la directive européenne laisse le choix aux États membres de désigner la ou les autorité(s) externe(s) chargée(s) de la prise en charge de l’alerte, le Défenseur des droits estimait que « dans les pays au sein desquels plusieurs dispositifs visant à encourager et protéger les lanceurs d’alerte coexistent, il apparaît nécessaire d’assurer une mise en œuvre cohérente de ces dispositifs. Cela nécessite une autorité nationale chargée de garantir cette cohérence » et de « superviser la mise en oeuvre de la législation » :
« Le dispositif doit prévoir que l’autorité désignée par les États est mise en mesure de suivre non seulement le lanceur d’alerte en l’informant, en l’orientant, en luttant contre les représailles, les rétorsions dont il peut faire l’objet, mais aussi de suivre le signalement par les différents canaux et s’assurer que l’alerte est bien traitée au niveau approprié. Ce qui suppose que lui soit allouées des compétences substantielles, appuyées sur des pouvoirs d’intervention spécifiques et forts.
Plus généralement, elle doit avoir compétence pour diffuser une culture de l’alerte et contrôler la mise en œuvre des dispositifs. Cette autorité doit également disposer de moyens pour soutenir les lanceurs d’alerte qui sont souvent mis dans une situation de grande difficulté financière, professionnelle et psychologique ».
« De vraies campagnes pour encourager davantage les lanceurs d’alerte potentiels »
Pour le Défenseur des droits, « la transposition doit être le fruit d’un travail de collaboration interministérielle, mieux à même de garantir la plus grande cohérence au texte, associant tous les ministères qui ont compétence, sous l’égide du ministère de la Justice ». L’objectif « n’est pas une adaptation minimale mais une remise à plat du dispositif pour corriger les insuffisances de la loi Sapin II dans le cadre d’une transposition ambitieuse. »
« Au-delà de la transposition », soulignait-il, « la Commission européenne encourage les États membres à envisager, dès qu’ils ont transposé la directive, de mettre en place des campagnes de sensibilisation et d’information du grand public. De vraies campagnes devraient fournir des informations générales sur les lois de signalement et de protection disponibles, mais aussi promouvoir une réception politique des lanceurs d’alerte en tant que personnes qui agissent dans l’intérêt public et par loyauté envers leur organisation et la société. »
De telles campagnes seraient de plus « souhaitables pour assurer et encourager davantage les lanceurs d’alerte potentiels, et promouvoir une vraie culture de la transparence. » Il conviendrait en outre d'« assurer la formation des différents acteurs du dispositif », non seulement « sur la façon de mettre en œuvre des procédures internes de signalement, mais aussi sur la manière dont les juges doivent traiter les cas de dénonciation. »
Le Défenseur des droits notait à ce titre que « dans certains pays, ces juges doivent parfois être titulaires d’un certificat avant de pouvoir traiter les dossiers de lanceurs d’alerte », mais également que « les juges qui ont reçu une telle formation portent un regard très différent sur les affaires dont ils sont saisis. »