L’Autorité de la concurrence a confirmé sur son compte Twitter avoir été saisie en inexécution des injonctions prononcées contre Google dans sa décision d’avril. À la demande des éditeurs et des agences, la balle est désormais dans son camp. Au même moment, la cour d’appel de Paris examine le recours du moteur.
L’épisode des droits voisins se mue en une longue série. L’AdlC a confirmé avoir été saisie par l'Alliance de la presse d'information générale, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine et l’Agence France Presse. Tous considèrent que l’injonction de négocier de bonne foi, qui pesait sur les épaules de Google, n’a pas été respectée par cette dernière.
Dans nos colonnes, « des manœuvres dilatoires » avait dénoncé l’un des acteurs proches du dossier, désireux de conserver l’anonymat. « Google n’a pas pris acte qu’il y avait un cadre juridique avec une valorisation spécifique, celle de la valeur économique et sociétale de la presse ».
En avril dernier, Google a été sommé par l’Autorité de négocier de « bonne foi » avec les éditeurs et agences pour trancher la plaie des droits voisins sur le moteur et son service Google News.
Les leaders de la presse en ligne, après avoir maximisé durant des années leur présence à coup de S.E.O., se plaignent aujourd’hui d’un mauvais partage de la valeur. Google est accusé d’aspirer les revenus publicitaires qui devraient leur revenir. Et ceux-là de réclamer aujourd’hui le paiement de droits, armés de l’article 15 de la directive sur le droit d’auteur taillé pour l’occasion.
L’acte de guerre à l’origine de la saisine de l’Autorité de la concurrence fut la décision prise par Google en octobre dernier : celle de laisser un choix jugé insupportable par ces acteurs. Ou bien voir disparaitre leurs extraits d’articles sur Google News, ou bien accepter de les faire afficher gratuitement. Une mesure qui avait provoqué des grondements jusqu’au sommet de l’État.
Combien vaut la presse sur un moteur ?
Cet été, des négociations ont été tentées, mais pas à la hauteur des espérances. Selon nos informations, et sans surprise, la difficulté principale tient à une différence importante entre les montants espérés par les éditeurs et agences, et celui proposé par Google. Les pages Google News sont en effet exemptes de publicités.
La loi de transposition prévoit que le montant de la « rémunération » due à la presse est évalué selon les recettes de l'exploitation de toute nature ou, à défaut comme ici, jaugé forfaitairement. Elle doit alors prendre en compte « des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l'information politique et générale et l'importance de l'utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne ».
Notons que la liste n’est pas limitative, en raison de l’usage de l’adverbe « notamment » qui laisse une zone de confort importante aux éditeurs pour espérer maximiser les droits voisins… quand bien même les moteurs sont utilisés pour d’autres finalités.
Toujours selon ce texte, les sites « sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d'information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d'information nécessaire à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition ».
La seule façon pour avoir une idée de valorisation des pages Actualités fut de s’appuyer sur les revenus publicitaires issus de la partie « Moteur », associés aux faits d’actualités. C’est sur cette base que les négociations ont été tentées côté Google, qui a émis selon nos informations plusieurs offres au fil des discussions (une trentaine de rendez-vous en tout). Les montants espérés par les éditeurs étant nettement plus élevés, le point d’équilibre n’a pas été trouvé.
Avec l’AFP, la situation est plus épineuse encore puisque les contenus produits par l’Agence ne sont pas diffusés par elle, mais surtout par plusieurs médias abonnés à son service commercial. « Son modèle, c’est la reprise, commente une autre source proche du dossier, elle souhaiterait être rémunérée quand les Échos utilisent ses dépêches. »
Un ranking gelé jusqu'à la décision au fond
Google minimise-t-elle la valeur de la presse en ligne ou l’évalue-t-elle à son juste niveau ? La patate chaude de retour devant l’Autorité de la concurrence consistera à jauger la bonne ou mauvaise foi du moteur. « Il y a des points très concrets. Par exemple, la fermeture de Google News en Espagne n’avait pas entraîné une chute radicale de la consultation sur le moteur » ajoute notre source, qui relate que l’attractivité des moteurs, ce sont aussi les autres contenus, pas seulement ceux produits par ces éditeurs.
« Au cours des trois derniers mois, nous avons rencontré les associations d'éditeurs et les agences de presse françaises à plus de 30 reprises et proposé plusieurs offres couvrant les droits voisins, et au-delà » indique un communiqué de Sébastien Missoffe, le directeur général de Google France. « Nous pensons que nos propositions offrent des opportunités de revenus conséquents aux éditeurs. Alors que nous avons atteint la date limite des négociations, nous avons soumis une demande d’extension de délai qui a été acceptée par l’Autorité de la concurrence, et qui doit réunir l’agrément de toutes les parties prenantes. Nous restons déterminés à trouver un accord ».
En attendant, la décision de l’AdlC d’avril 2020 a été attaquée par Google devant la cour d’appel de Paris. L’audience est fixée le 10 septembre, la date de délibéré n’est pas encore connue.
Plusieurs arguments ont été mis sur la table. Selon nos informations, Google contesterait notamment l’abus de dépendance économique, ou encore des injonctions jugées trop gourmandes. Ainsi celle lui enjoignant « de prendre les mesures nécessaires pour que l’existence et l’issue des négociations prévues par les Injonctions n’affectent ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services ».
Une obligation de ne pas altérer le ranking des sites de presse en attendant la décision au fond de l’AdlC, espérée seulement en 2021, peu en phase avec un site habitué à faire évoluer ses algorithmes si régulièrement.