Lutte contre la haine en ligne : l'Autriche dans les pas allemands et français

Lutte contre la haine en ligne : l’Autriche dans les pas allemands et français

Avia à Vienne

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Marc Rees

Publié dans

Droit

03/09/2020 9 minutes
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Lutte contre la haine en ligne : l'Autriche dans les pas allemands et français

L’Autriche a notifié hier son projet de texte relatif à la lutte contre les contenus « haineux » sur les plateformes. Une réplique de la loi allemande ou de la loi Avia, désormais déplumée par le Conseil constitutionnel.

En Europe, impossible pour un État membre de légiférer dans son coin lorsque celui-ci entend régenter les « services de la société de l’Information ». Derrière l’expression, il faut entendre «  tout service presté normalement contre la rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ». Cette définition, issue d’une directive permet de faire entrer dans ce champ un nombre incalculable d’activités en ligne. 

Lorsqu’un pays européen compte imposer des règles dans l’univers du web, il doit alors en principe alerter la Commission européenne. C’est la procédure de notification qui dès l’origine fut taillée pour détecter les mesures protectionnistes, assurer une harmonisation en Europe, mais aussi permettre aux entreprises de s’adapter.

Après notification, l’État membre doit en principe attendre trois mois avant de publier son texte au Journal officiel. C’est la période de statu quo. À défaut, le texte est inopposable. Pas plus tard qu’en septembre 2019, l’Allemagne en avait eu l’amère expérience, avec sa loi instaurant un droit voisin des éditeurs de presse pour l’usage fait de leur article sur les moteurs de recherche. Le texte fut démagnétisé par la Cour de justice de l’Union européenne. Depuis, quiconque peut s’opposer à son applicabilité. 

Hier, l’Autriche n’a pas voulu souffrir d’une telle défaillance. Vienne a notifié à la Commission son projet de loi relatif cette fois à la lutte contre la haine en ligne. Une réplique de la législation allemande ou française, adaptée aux positions de l’instance bruxelloise.

La loi Avia, version autrichienne

Son projet de loi fédérale relatif aux mesures de protection des utilisateurs des plateformes (Kommunikationsplattformen-Gesetz ou KoPl-G) entend répondre à une « évolution inquiétante » des contenus en ligne. À l’oreille de la Commission, l’Autriche dénonce de nouvelles formes de violence et de haine, citant les insultes, les fausses informations, voire les menaces de mort. Et le pays de mettre à l’index « des motifs racistes, xénophobes, misogynes et homophobes » pour plaider en faveur d’une « stratégie globale ». Elle repose sur deux piliers, que sont « la responsabilité de la plateforme et la protection des victimes ».

Selon le pays, « les fournisseurs de plateformes de communication ne respectent souvent pas l'obligation de supprimer immédiatement un contenu illégal ou d'en bloquer l'accès ». En outre, « le contenu signalé par les utilisateurs n'est généralement vérifié par les plateformes que par rapport à leurs propres règles, et non par rapport aux infractions pénales nationales ». Résultat : « les personnes concernées sont donc souvent obligées d'intenter une action en justice pour obtenir une suppression ».

« Il est donc important de rendre les plateformes de communication plus responsables qu'auparavant » expliquait le 9 juillet 2020 le gouvernement fédéral, dans une communication détaillée.

Vienne soutient une réforme européenne en la matière, mais compte tenu du temps de traitement, estime nécessaire de soutenir une loi nationale à l’image de l’expérience allemande et française. « En attendant que le déficit réglementaire européen soit résolu, une loi sur les mesures de protection des utilisateurs sur les plateformes de communication doit être créée afin de lutter efficacement contre la haine sur Internet ». Et le pays de reconnaître s’inspirer directement des deux expériences passées.

Une application mondiale,  sauf exception

La future loi vise l’ensemble des plateformes de mise en relation, même celles installées à l’étranger. Toutes ne sont pas concernées. Les acteurs enregistrant moins de 10 000 utilisateurs par trimestre et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 euros sur l’année n-1 sont exclus, les deux critères étant cumulatifs. De même échappent à ce nouveau régime, les plateformes de vente, les encyclopédies en ligne à but non lucratif et enfin les sites de presse. Avec de tels critères, Facebook ou bien encore Twitter tomberaient dans son champ.

Dans son cœur, le texte demande aux plateformes d’adopter des procédures efficaces et transparentes pour le traitement des signalements des contenus prétendument illégaux. « Facile à trouver, disponible en permanence et facile à utiliser ».

Ce système de « reporting » doit permettre aussi d’informer des raisons et du moment de la suppression, aussi bien à l’attention de la personne à l’origine du signalement que celui ayant mis en ligne le contenu litigieux. Ce afin de lui permettre de contester le cas échéant un retrait qu’il estimerait illégitime. Le cas échéant, la réponse de la plateforme doit intervenir dans les deux semaines.

Un retrait en 24 heures pour les contenus manifestement illicites

En aval, les contenus manifestement illicites, ceux dont l’illicéité est « évidente » chez un profane, devront être supprimés immédiatement ou dans les 24 heures. Si cette illicéité n’apparaît qu’après un examen détaillé, le retrait devra être engagé après cet examen et au plus tard dans les sept jours.  

Tous les contenus illicites ne sont pas concernés. La loi vise notamment les menaces dangereuses, les persécutions persistantes, le harcèlement continu en ligne, les insultes, les photos diffusées sans autorisation, l’extorsion, les représentations pornographiques de mineurs, l’initiation à des relations sexuelles avec des mineurs, le terrorisme, dont son apologie, etc.

En cas de retrait d’un contenu, la plateforme devra conserver les éléments à des fins de poursuites pénales durant 10 semaines, voire davantage si une autorité en exprime le besoin. Relevons au passage que les données personnelles de l’internaute à l’origine du signalement ne pourront être divulguées à personne d’autre. Ce document fera notamment la transparence sur les « efforts entrepris par un fournisseur de services pour empêcher les contenus illégaux sur sa plateforme » et les critères de décisions. Il fera le point sur l'organisation, le personnel et les équipements techniques dédiés, les compétences de ceux chargés du traitement des signalements, etc.

Comme dans la loi Avia, les opérateurs étrangers devront désigner un représentant local. Cette personne devra « avoir le pouvoir d'émettre les ordres nécessaires pour se conformer aux dispositions légales, ainsi que la connaissance de la langue allemande et les ressources nécessaires à l'accomplissement de ses missions ».

De nouvelles compétences pour KommAustria

Ce dispositif sera placé sous le contrôle de l’Autorité autrichienne des communications (KommAustria). Si plus de cinq plaintes témoignent de l’inadéquation des mesures prises par un opérateur, alors l’équivalent de notre Conseil supérieur de l’audiovisuel pourra engager une procédure de sanction. Elles pourront se limiter à des mises en demeure, se muer en injonction d’augmenter les moyens dévolus à la lutte contre ces contenus, voire atteindre jusqu'à dix millions d'euros d’amende.

Le montant dépendra des circonstances, où seront pris en compte notamment la solidité financière du prestataire, le nombre d’utilisateurs, une éventuelle situation de récidives ou encore la gravité de la négligence. La décision sera attaquée devant les juridictions administratives, mais en principe sans effet suspensif. Dit, autrement, l’opérateur devra payer, même s’il conteste. Seule la juridiction pourra décider de cet effet en tenant compte d’un risque de préjudice grave et irréparable pour le plaignant.  Des infractions spécifiques visent également les responsables désignés en Autriche.

Cette loi fédérale est programmée pour 2021. Dans la phase de statu quo de trois mois, la Commission européenne, les autres États membres mais également des entités privées vont pouvoir ausculter de près les conséquences de ce véhicule législatif.

Le précédent Avia

La procédure est donc identique à celle suivie par la loi Avia, contre la haine en ligne. Lorsque ce texte fut notifié à la Commission, en juillet 2019 dans le cadre d’une procédure d’urgence. « Aucune urgence » lui avait d’abord répondu celle-ci avant d’adresser des critiques acerbes à son encontre, révélées par Next INPact [la lettre incendiaire].

La Commission dénonçait la tentation de faire cavalier seul, alors que le sujet fait l’objet de débats à l’échelle européenne. Elle reprochait au régime français d’une possible incompatibilité avec le statut des hébergeurs. Et recommandait chaudement à Paris à reporter ce texte. Notons que la proposition fut également critiquée par la République tchèque dans le cadre d’un « avis circonstancié » .

La proposition de loi LREM portée par la députée Laetitia Avia, fut malgré tout votée avec le soutien du gouvernement. Son examen par le Conseil constitutionnel lui fut (presque) fatal. La quasi-totalité des articles fut supprimée, pour de multiples atteintes aux libertés fondamentales. Atteintes qu’avait minorées la députée durant les débats parlementaires.

Il appartient « à l'opérateur d'examiner tous les contenus qui lui sont signalés, aussi nombreux soient-ils, afin de ne pas risquer d'être sanctionné pénalement » avaient notamment constaté les neuf Sages, au regard de l’obligation de retrait en 24 heures des contenus manifestement illicites.

Or, en raison des « difficultés d'appréciation » de ce caractère, dans un tel délai, de la peine encourue en cas de manquement, de l'absence de cause d'exonération de responsabilité, ces dispositions ne pouvaient « qu'inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites ».

Écrit par Marc Rees

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Introduction

La loi Avia, version autrichienne

Une application mondiale,  sauf exception

Un retrait en 24 heures pour les contenus manifestement illicites

De nouvelles compétences pour KommAustria

Le précédent Avia

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Commentaires (3)


Mmm, ils ont des gardes-fous législatifs en Autriche (genre le Conseil Constitutionnel), ou ça a une chance de passer ?



Arkeen a dit:


Mmm, ils ont des gardes-fous législatifs en Autriche (genre le Conseil Constitutionnel), ou ça a une chance de passer ?




Vu les lois non conformes avec le droit européen j’en doute pour l’Autriche…


Le pas … de l’oie ? :p