Au ministère de la Culture, un nouveau texte est concocté pour introduire une redevance sur les moteurs de recherches d’images. Une rémunération que percevront les sociétés de gestion collective du secteur. La fin d’une série, riche de nombreux épisodes.
« Sous l’impulsion de l’ADAGP, un nouveau texte a été élaboré au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en vue de redonner effet au mécanisme créé en 2016, et faire en sorte qu’enfin, les moteurs de recherche d’images, et notamment Google, paient des droits aux artistes dont ils exploitent le travail. Le ministère de la Culture s’est engagé à l’introduire sous forme d’amendement gouvernemental dans le projet de loi audiovisuel ».
La petite phrase glissée au sein du dernier rapport annuel de la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) indique que la France introduira très bientôt une redevance sur les moteurs de recherches d’images.
Retour au 21 janvier 2016. Le sénateur Leleux, rapporteur du projet de loi Création, dépose un amendement. Il vise à faire payer les services d’indexation d’images pour la reproduction et la représentation de ces contenus.
« Ces pratiques échappent jusqu'à présent à toute rétribution, à l'inverse des banques d'images, qui offrent un service payant aux utilisateurs et rémunèrent les auteurs des œuvres reproduites », remarquait le parlementaire. « Or, la multiplication de ces pratiques au cours des dernières années rend la situation matérielle des auteurs d'œuvres d'art, en particulier des photographes, de plus en plus précaire, menaçant à terme tout un secteur de la création ».
Une gestion collective obligatoire
Son édifice repose sur un système de gestion obligatoire. Avec lui, le simple fait de publier une photo, une image sur Internet, emporte cession du droit de reproduction et du droit de représentation de cette œuvre par les moteurs de recherche au profit d’une société de gestion collective.
Ces sociétés se voient donc habilitées à négocier des contrats avec Google Images et les autres services équivalents pour autoriser, contre paiement, la reproduction et la diffusion de ces contenus.
Une « rémunération » calculée sur les recettes de l'exploitation ou à défaut, évaluée forfaitairement, à partir d’un barème fixé par contrat, ou à défaut d’accord dans les six mois de la publication du décret d’application, par une commission.
Présidée par un représentant de l'État, elle allait être composée, en nombre égal, de représentants des sociétés de gestion collective et des moteurs.
Une réplique...
Bien qu’ambitieux, le texte n’était pas original. Il reproduisait un amendement identique déposé par le groupe LR en juillet 2015, qui s’inspirait également d’une proposition de loi déposée par le sénateur Philippe Marini en 2014. Autant de tentatives qui répondaient aux attentes des sociétés de gestion collective du secteur, toute intéressées à faire payer les moteurs pour la reprise de ces photos. Qu’elles soient sous droit d’auteur ou licences libres.
Pas étonnant que Nathalie Martin, alors directrice exécutive de Wikimédia France dénonça vigoureusement un tel projet :
« C’est scandaleux, c’est fou ! Nous sommes au summum de ce qu’on pouvait faire en termes de privatisation du domaine public, avec la complicité des parlementaires. Les sociétés de perception et de répartition des droits sont arrivées à annihiler complètement ce que pouvaient permettre les licences Creative Commons. Désormais, toute image apportera quelque chose à ces sociétés, sans même respecter le désir et le droit de l’auteur de décider de l’utilisation de son image. »
... Et des fragilités
Plusieurs fois remise sur l’ouvrage, la mesure faillit ne pas être adoptée. Le projet de loi Création de retour à l’Assemblée nationale, le gouvernement déposa un amendement pour supprimer purement et simplement cette redevance. L’exécutif doutait en effet de sa compatibilité avec la jurisprudence européenne et la directive de 2000 sur la responsabilité des intermédiaires techniques.
Dans un arrêt Niels Svensson du 13 février 2014, la Cour de justice avait en effet indiqué que l'insertion de liens hypertextes vers une œuvre protégée par le droit d'auteur « ne nécessitait pas l'autorisation préalable du titulaire des droits, sous réserve que cette œuvre soit librement accessible sur un autre site ». En deuxième lecture au Sénat, l’amendement Leleux fut malgré tout réintroduit.
Sa rédaction fut cependant « légèrement modifiée par rapport à celle qu'avait votée le Sénat en première lecture pour la limiter strictement au seul problème posé par la reproduction par les services automatisés de référencement d'images, de manière à ne pas entrer en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne », expliquait ce rapport en commission Culture.
Cette dernière version fut maintenue par la commission mixte paritaire, celle chargée d’arbitrer entre la version votée par les députés et la version des sénateurs. Elle a ensuite trôné à l’article 30 de la loi Création, publiée au Journal officiel.
Puis vint la jurisprudence ReLire
Seulement, l’échéancier de mise en application de la loi traduit de nouvelles difficultés. C’est en effet l’un des rares articles toujours en attente de décret d’application, ce quatre ans après le vote.
Un projet de décret avait bien été notifié à la Commission européenne en septembre 2016, mais selon nos informations glanées en octobre 2016, le gouvernement avait hérité d’un avis négatif du Conseil d’État. Et surtout, entre-temps, la Cour de justice de l’Union européenne a cassé le rêve de cette gestion collective appliquée aux images dans les moteurs.
Ce 16 novembre 2016, la CJUE mettait à terre le régime des livres indisponibles (ou Re-LIRE le Registre des livres indisponibles en réédition électronique) imaginé par la France, et derrière encore, les sociétés de gestion de l’image.
La loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle souhaitait valoriser le patrimoine écrit devenu inaccessible. Tous les livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 allaient pouvoir être numérisés et gérés par un organisme de gestion collective dès lors qu’ils ne faisaient plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ou n’étaient plus imprimés.
Si leur silence valait acceptation, l’auteur ou l’éditeur pouvait malgré tout s’y opposer. Très schématiquement, ils disposaient de six mois à compter de l’inscription des ouvrages dans ReLIRE, registre géré par la Bibliothèque nationale de France, pour mettre leur veto.
Pour la CJUE, cependant, « toute utilisation d’une œuvre effectuée par un tiers sans un tel consentement préalable doit être regardée comme portant atteinte aux droits de l’auteur de cette œuvre ». Il était certes possible de déduire du silence d’un auteur, son consentement à nourrir la base ReLire, mais uniquement après une « information effective et individualisée ».
Étape qui faisait défaut ici. Tout comme dans la taxe « Google Images ».
Imposer par le haut ce qui a échoué par le bas
Les sociétés de gestion collective du secteur ne se sont pas avouées vaincues pour autant. Dans le cadre de la nouvelle directive sur le droit d’auteur, un article a été spécialement concocté pour autoriser par le haut, ce que la France n’a pu imposer par le bas.
Dans le rapport annuel de l’ADAGP, mention est faite de cet article 12. Il autorise les États membres à introduire un système de gestion collective à « effet étendu », dans des « domaines d'utilisation bien définis », dès lors que « l'obtention d'autorisations auprès des titulaires de droits sur une base individuelle s'avère habituellement onéreuse et difficile à mettre en œuvre dans une mesure qui rend improbable la transaction nécessaire à l'octroi d'une licence ».
Plusieurs garanties devront être respectées :
- L'organisme de gestion collective devra être « suffisamment représentatif »
- Il devra y avoir égalité de traitement entre tous les titulaires de droits
- Les titulaires de droits qui n'ont pas autorisé l'organisme à octroyer la licence pourront à tout moment, facilement et de manière effective, exclure leurs œuvres
Des mesures de publicité appropriées seront prises, dans un délai raisonnable précédant l'utilisation sous licence des œuvres.
Le législateur européen a évidemment pris soin de préciser que ces « mesures de publicité sont effectives sans qu'il soit nécessaire d'informer chaque titulaire de droits individuellement ». Une manière donc de désactiver la jurisprudence ReLire et de laisser libre champ à la taxe Google Images dans les pays désireux de l’imposer.
Avec cette directive désormais publiée au Journal officiel de l’UE, les travaux peuvent reprendre beaucoup plus sereinement, loin des râles de la Cour de Justice de l’Union européenne. Une mission a été lancée au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique où déjà « « un nouveau texte a été élaboré (…) en vue de redonner effet au mécanisme créé en 2016 », explique la société de gestion collective.
Relevons que l’inévitable Pr Pierre Sirinelli s’est vu confier une mission sur le sujet, signe que la France veut bien activer cette « taxe Google Images » au plus vite. Ses travaux ont été publiés en février dernier.
Le texte ébauché, et présent dans les annexes, reprend la logique voulue par l'article 12 de la directive. Une licence collective étendue, prévoyant la possibilité pour les auteurs, notamment ceux produisant qui ne souhaitent être inclus « de manifester ("opt out") leur volonté d’exclusion après en avoir été avertis par un mécanisme de publicité ». Sans cette manifestation, leurs contenus tomberont dans le champ de cette rémunération, perçue par les sociétés de gestion collective représentatives du secteur.
L’ADAGP et la SAIF ont proposé d’enrichir le texte proposé au CSPLA afin de « faciliter l’adoption d’un accord malgré certaines divergences de vues entre un organisme agréé et un moteur de recherche d’images ». Comment ? « Dans le cas où un organisme de gestion collective agréé et un fournisseur de service automatisé de référencement d’images ne parviendraient pas, dans un délai de 6 mois à compter de l’engagement de négociations, à s’entendre sur le contenu d’un accord de Licence », il reviendrait à l’Arcom, futur mariage du CSA et de la Hadopi, de jouer le rôle de médiateur voire de publier une recommandation.
Quel véhicule ?
Restera maintenant à trouver le bon véhicule. Au Journal officiel ce matin, on connaît désormais les textes qui seront examinés lors de la session extraordinaire. Aucun ne concerne l’industrie culturelle.
De plus, viendra ensuite le débat chronophage autour du projet de loi de finances. Les alternatives ne sont donc pas nombreuses : ou bien un report de l’examen de la future loi sur la redevance « Google Images » ou bien une disposition ajoutée dans un train d’ordonnances.
En attendant, il faudra que la société de gestion collective élue puisse gérer la pluie d'opt-out qui pourrait atteindre une volumétrie conséquente, pas seulement depuis le seul secteur des images libres.