L'étau se resserre pour Huawei, sur fond de tensions géopolitiques

La réplique de Pékin attendue
Droit 10 min
L'étau se resserre pour Huawei, sur fond de tensions géopolitiques
Crédits : andriano_cz/iStock

Le ministère américain du Commerce interdit à toute entreprise de commercer avec Huawei si au moins l'une de ses technologies est sous licence américaine. Une décision qui pourrait porter un coup fatal au constructeur chinois. Une tension exacerbée par le récent bannissement de TikTok et WeChat.

Depuis plus d'un an maintenant, les tensions sont vives entre les États-Unis et la Chine. En cause, la prétendue capacité de Huawei à espionner les données des citoyens américains, que ce soit à travers ses smartphones ou ses équipements réseau.

Or, l’enjeu est d’autant plus important que le constructeur faisait jusqu’ici montre d’une grande énergie dans le domaine de la 5G, prenant de l’avance sur une bonne partie de la concurrence. L’équipementier se positionnait ainsi avec force pour négocier le déploiement des futurs réseaux.

Depuis l’exposition de cette problématique, de nombreux pays ont pris position. En France, un décret « anti-Huawei » (visant tous les constructeurs) a été publié au Journal officiel le 7 décembre 2019, soumettant à autorisation la pose de certains équipements. Les États-Unis sont allés plus loin en bannissant tout simplement tous les produits de l'équipementier.

Plus récemment, une « faille » dans la décision américaine a été bouchée. Désormais, la situation est plus que jamais périlleuse pour Huawei.

Le nouveau missile des États-Unis

La dernière attaque est violente. En plus d’interdire à Huawei tout commerce avec les sociétés dont la maison-mère se trouve aux États-Unis, plus aucune entreprise dans le monde ne peut lui vendre de semiconducteurs fabriqués à l’aide de technologies américaines, qu’elles soient logicielles ou matérielles. À l’instar de MediaTek, qui lui fournissait des SoC.

L’ampleur de la mesure vient en fait colmater une brèche dans l’énoncé des précédentes règles édictées en mai par le ministère du Commerce, qui permettaient à Huawei d’acheter des puces si elles n’avaient pas été personnalisées selon ses besoins. La liste noire s’enrichit également de 35 filiales de Huawei (présentes dans 21 pays). Les nouvelles mesures entreront en vigueur le 14 septembre. La porte étant désormais close, les ennuis s’amoncèlent.

Il est maintenant à craindre que le constructeur chinois ne puisse plus acheter de semiconducteurs de qui que ce soit dans le monde, tant la présence américaine est imposante dans ce secteur. Avec les conséquences que l’on imagine. TSMC était rapidement sorti du bois : « Nous nous conformons aux nouvelles règles américaines. Nous n’avons pas accepté de nouvelles commandes de Huawei depuis le 15 mai […] Nous n’avons pas prévu de livrer des wafers à Huawei après le 14 septembre ».

La mesure pourrait bien avoir deux impacts très concrets. Le premier dans le domaine des smartphones : sans composants vitaux, Huawei pourrait être rapidement dans l’impossibilité de commercialiser quoi que ce soit, une fois ses stocks écoulés. Le second en plein boom de la 5G : alors que Huawei s’avançait comme l’un des plus gros équipementiers réseau, ses aspirations risquent fort de retomber lourdement.

Se pose aussi la question d’Android. Si les nouveaux smartphones se passent depuis plusieurs mois du Play Store (ils utilisent une base d’Android AOSP, sans les services Google), que va-t-il se passer pour les anciens ? Dans un entretien accordé à Huawei Central, le fabricant se montre rassurant… mais en restant flou sur les mises à jour du système d’exploitation (et notamment le passage à Android 11) :

« Nos clients pourront continuer d’obtenir des mises à jour logicielles et des services grâce à la force de la communauté open source et à nos propres capacités de recherche et de développement […] Pour les téléphones où Google Play est installé et prêt à l'emploi, toutes les applications téléchargées depuis Google Play et les autres applications Google continueront de recevoir des mises à jour. Pour les téléphones qui ne sont pas fournis avec Google Play, les nouvelles applications et mises à jour peuvent être gérées via AppGallery de Huawei ».

Mike Pompeo, le Secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères), n’a pas maché ses mots dans le communiqué officiel : « Nous ne tolèrerons pas les tentatives du Parti communiste chinois de saper la vie privée de nos citoyens, la propriété intellectuelle de nos entreprises, ou l’intégrité des réseaux de prochaine génération dans le monde. Nous tenons notre parole par des actes à travers tout le gouvernement américain. Le ministère de la Justice a inculpé Huawei pour vol de technologie américaine, conspiration, fraude en ligne, fraude bancaire, racket et aide à l’Iran pour contourner les sanctions, entre autres ».

De son côté, le ministère du Commerce affirme que la Chine prendra « toutes les mesures nécessaires » afin de protéger ses intérêts et sociétés, comme le rapporte Reuters. Il ajoute que les Américains « doivent renoncer immédiatement à [leurs] comportements erronés ».

Une tension de longue date

Ce mouvement n’est que le dernier en date d’une longue série. L’opposition avec Huawei ne date pas de l’administration de Donald Trump, même si l’escalade s’est grandement accélérée depuis son arrivée au pouvoir. Elle n’est même pas limitée aux États-Unis, l’équipementier chinois étant sous l’œil attentif d’autres pays, notamment l’Allemagne.

Cette accélération a débuté il y a un peu plus d’un an, quand le président américain se fait fort d’affirmer, en tapant du poing sur la table, que les entreprises chinoises sont dangereuses. D’ailleurs, la situation s’est étendue à d’autres depuis, avec Tik Tok et WeChat en première ligne. Et qu’importe si même Apple, pourtant défendue par Trump, avertit des dangers de cette contraction des marchés.

C’est au printemps 2019 que le premier coup de massue est donné. Donald Trump signe alors un décret présidentiel plaçant Huawei sur liste noire, jugeant le constructeur « très dangereux », tout particulièrement pour les déploiements 5G. L’entreprise a à peine le temps de protester que les États-Unis lui accordent une licence temporaire de 90 jours.

À ce moment, les débats s’articulent essentiellement autour d’Android, puisque Huawei n’aura plus le droit de commercer avec Google. Ce qui signifie un nouveau système d’exploitation, basé sur AOSP, ainsi qu’une nouvelle boutique d’applications, pour laquelle les développeurs devront répondre présents.

Quelques mois plus tard, en novembre, tout a l’air de s’arranger : les États-Unis seraient proches d’un accord commercial, dont Huawei ferait partie. Wilbur Ross, ministère du Commerce, était alors confiant : « Nous sommes sur la bonne voie, nous progressons bien et il n'y a aucune raison pour que cela ne se produise pas ». Parallèlement, Huawei produisait son Innovative Day en Europe et tâchait de montrer à quel point l’entreprise profitait au vieux continent.

Trois mois après, rien ne va pas plus. Il semble tout à coup que les États-Unis soient en possession de preuves. Jusqu’à présent, elles étaient réclamées – notamment par la presse – sans que rien ne fuite, alimentant le débat sur la dimension essentiellement géopolitique du problème. De son côté, Huawei a toujours farouchement nié être à la solde de Pékin.

À travers une interview au Wall Street Journal, le conseiller à la Sécurité nationale Robert O’Brien affirme alors que « Huawei est secrètement capable d’accéder à des informations sensibles et personnelles dans les infrastructures qu’il gère et qu’il vend partout dans le monde ». Et que, oui, les preuves existent… sans pour autant les détailler.

La réponse de Huawei tombe, fustigeant les États-Unis, bien mal placés pour critiquer : « Comme en témoignent les fuites de Snowden, ils accèdent secrètement aux réseaux de télécommunications du monde entier, espionnant d'autres pays depuis un certain temps ». En outre, « Huawei n'a jamais et n'accèdera jamais secrètement à des réseaux de télécommunications, et nous n'avons pas la capacité de le faire ».

Dans ce contexte très tendu, les États-Unis en prolongent de 45 jours la licence temporaire de Huawei, 24 heures à peine après cette passe d’armes. Ce nouveau report terminé, un autre sera mis en place.

Il y a un peu moins de deux mois, la Maison Blanche remet une couche, dans un document obtenu par Reuters. L’administration Trump y affirme que Huawei serait l’une des sociétés « détenues ou contrôlées par l’armée chinoise ». En clair, des chevaux de Troie profitant de leur position stratégique pour obtenir de précieux renseignements. Et quoi de mieux qu’un vendeur de smartphones et équipementier réseau ? À ce jour, aucune preuve n’a été donnée.

Une contraction grandissante

Les derniers évènements ont focalisé l’attention sur la polarisation extrême du débat technologique entre les États-Unis et la Chine. Le conflit, éminemment géopolitique, s’élargit un peu plus chaque jour, au fur et à mesure que l’Oncle Sam pointe du doigt de nouveaux acteurs.

On l’a vu récemment avec le cas TikTok. Certes, les États-Unis ne sont pas les seuls à se pencher sur l’application. Mais les mesures prises jusqu’à présent se limitaient à des structures particulières (les agences fédérales, Amazon, etc.). Puis, il y a deux semaines, le couperet tombe : par décret présidentiel, Donald Trump bannit purement et simplement TikTok et WeChat des États-Unis, pour des raisons de sécurité.

« La diffusion aux États-Unis d’applications mobiles développées et détenues par des entreprises de la République populaire de Chine continue de menacer la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des États-Unis. À ce stade, des mesures doivent être prises pour faire face à la menace posée par une application mobile en particulier, TikTok », explique ainsi Donald Trump. 45 jours sont laissés pour les opérations courantes.

Rapidement, on s’aperçoit cependant que Trump laisse le champ libre aux grosses sociétés de « son » pays pour racheter la branche américaine de TikTok, Microsoft en tête. La Chine dénonce un « racket pur et simple » : les États-Unis ne banniraient l’application que pour mieux la racheter. Une pression commerciale extrême.

La situation de WeChat est légèrement différente : la voie d’un rachat n’est pas évoquée. Cette fois d’ailleurs, plusieurs grosses entreprises manifestent leur désaccord. Douze sociétés, dont Apple, Disney, Intel et Walmart, mettent en garde l’administration Trump contre les effets délétères d’une telle interdiction, selon le Wall Street Journal.

Bien qu’il soit peu utilisé en France, WeChat est un univers à elle seule. L’application dépasse largement le seul domaine de la messagerie et intègre sa propre boutique. Elle est installée sur plus d’un milliard d’appareils dans le monde, dont l’immense majorité en Chine. En somme, couper l’accès à WeChat, c’est couper l’accès aux communications chinoises.

Ce que déplorent les entreprises ? Un risque sérieux de se couper du marché chinois. C’est particulièrement vrai pour Apple : son App Store a beau être rempli de centaines de milliers d’applications, il sera boudé si une application aussi importante n’y a plus droit de cité.

Une épreuve de force

On ne sait pas actuellement comment la situation va évoluer. L’administration Trump semble décidée pour l’instant à montrer ses muscles pour infliger une douloureuse leçon au reste du monde : les États-Unis peuvent faire la pluie et le beau temps dans le domaine technique.

Le bannissement de Huawei pourrait signifier un véritable effondrement de l’entreprise dans les mois qui viennent si aucun terrain d’entente n’est trouvé. Le marché des composants ne devrait être que modérément bousculé, puisque les parts laissées vacantes seraient automatiquement dévorées par les autres constructeurs. D’autant qu’en Chine, d’autres vendeurs importants, comme Vivo et Xiaomi, ne sont pas concernés par ces mesures, du moins pour le moment.

En l’absence de preuves, se pose donc la question de l’éthique d’une décision qui, par sa portée, est capable de mettre à genoux une entreprise aussi importante, par un simple jeu de communication sur fond de tensions commerciales avec la Chine. Même une contraction de Huawei sur son seul marché intérieur ne suffirait pas, puisqu’il y aura tôt ou tard pénurie de composants pour le constructeur. Comme le rapporte le Financial Times, les craintes de licenciements sont désormais vives chez Huawei.

Le débat a pris une autre ampleur depuis que la même administration s’en est prise à d’autres produits chinois, à savoir TikTok et WeChat. À chaque fois, la rengaine est la même : protéger les données personnelles des citoyens américains. Huawei et ByteDance (éditeur de TikTok) ont déjà fait part de leur intention de porter l’affaire devant les tribunaux.

Pourtant, l’attitude de la Maison Blanche pourrait changer si la Chine se décidait à contre-attaquer. Il est probable que cette piste est actuellement explorée. On comprend pourquoi douze grandes entreprises américaines se sont manifestées : si Pékin décidait de bannir une ou plusieurs d’entre elles de son gigantesque marché, le chiffre d’affaires s’en ressentirait largement. On peut d’ailleurs imaginer que les entreprises américaines iraient elles aussi devant les tribunaux pour débloquer la situation.

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