Un détour par la ceinture d'astéroïdes et les lacunes de Kirkwood

Rien à voir avec James Tiberius
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Un détour par la ceinture d'astéroïdes et les lacunes de Kirkwood
Crédits : dottedhippo/iStock

Les astéroïdes sont les objets les plus nombreux de notre Système solaire, ils se comptent par centaines de milliers. Certains sont étudiés de près car ils pourraient frôler la Terre, d’autres pour leurs potentielles ressources minières.

Entre Mars et Jupiter, se trouve la ceinture principale d’astéroïdes, dans laquelle orbitent des centaines de milliers d’objets. Fin 2019, on en dénombrait près de 800 000, dont la taille varie de quelques dizaines de mètres à plusieurs centaines de kilomètres. 

La découverte du premier d’entre eux remonte à janvier 1801 : « le Père Giuseppe Piazzi découvre un corps céleste gravitant sur une orbite entre Mars et Jupiter », explique l’observatoire de Paris. Trois autres ont ensuite été détectés entre 1802 et 1807 sur des orbites similaires : Pallas, Junon et Vesta. De nouveaux sont encore aujourd’hui régulièrement détectés et viennent donc grossir la liste. Sous certaines conditions, leur « inventeur » peut proposer un nom (nous y reviendrons).

Asteroides

Mais avant de parler des astéroïdes en détail (composition, distribution, famille, classe…) commençons par revenir sur la découverte de Piazzi. Elle permet en effet de combler un « trou » dans la loi empirique de Titius-Bode (énoncée en 1766 par Daniel Titius et reprise en 1772 par Johann Elert Bode), qui supposait qu’il devait exister une planète à peu près à cet emplacement. 

Lire notre dossier sur le Système solaire :

Si r = 0,4 + 0,3 x 2^(n–1)… alors qui se cache entre Mars et Jupiter ?

Comme le rappelle l’Universalis, elle « établit une relation entre la distance des planètes au Soleil et leur rang, compté à partir du Soleil. Elle s'écrit : a = 0,4 + 0,3 x 2^(n–1) ». « n » est un nombre entier correspondant au rang de la planète. « a » est la distance moyenne entre la planète et notre étoile, en unité astronomique (au).

Une au correspond approximativement à la distance entre la Terre et le Soleil, soit environ 150 millions de kilomètres. Elle est fixée à très exactement 149 597 870 700 mètres lors l’assemblée générale d’août 2012 de l’Union astronomique internationale (UAI). Un changement qui n’a pas révolutionné le monde de l’astronomie, mais qui permet d’avoir une unité « parfaitement cohérente avec la relativité générale et directement rattachée au Système international d’unités (SI) via le mètre ». Pour rappel, nous avions récemment consacré un dossier sur la révolution du SI : 

Appliquons cette loi empirique à nos planètes. Pour Mercure (la plus proche du Soleil), le rang est « -∞ » et on obtient donc une distance de 0,4 au. Toujours avec cette formule, Vénus est à 0,7 au (rang 1), la Terre à 1 au (rang 2) – logique puisque c’était la définition de l’unité astronomique –, Mars à 1,6 au (rang 3), Jupiter à 5,2 au (rang 5) et Saturne à 10 au (rang 6).

Cérès, l’astéroïde devenu une planète naine

Cela correspondait bien aux orbites des planètes, à peu de choses près :  0,38 au pour Mercure, 0,7 au pour Vénus, 1 au pour la Terre, 1,52 au pour Mars, 5,2 au pour Jupiter et 9,54 au pour Saturne… sauf qu’il manquait un objet céleste au rang 4. Était-ce celui découverte par le Père Giuseppe Piazzi ? Bien qu’il se trouve à 2,8 au – exactement comme prédit par Titius-Bode – la réponse est non : « sa petite taille ne cadrait pas avec cette hypothèse : Piazzi venait de découvrir le premier astéroïde qu'il nomma Cérès ».

Il a par la suite été requalifié en planète naine (en même temps que Pluton, déchu de son titre de planète) car « il est suffisamment massif pour que sa gravité le maintienne en équilibre hydrostatique de forme presque sphérique », explique l'Union astronomique internationale. Pendant plus d’un siècle, Cérès était le plus grand des astéroïdes, il est désormais la plus petite des planètes naines… pour le moment. D’autres astres pourraient à l’avenir devenir aussi des planètes naines.

Si la loi empirique de Titius-Bode prédit avec une bonne précision la position d’Uranus – 19,6 au pour une valeur réelle d’environ 19,2 au – elle est complètement à la ramasse pour Neptune. Elle place la dernière planète de notre Système solaire à 38,8 au alors qu’elle se trouve en réalité à 30,1 au. L’erreur est donc de près de 30 %, alors que la marge est comprise entre 0 et 5 % pour les autres planètes.

Astéroides
Crédits : CNES

Les familles et classes d’astéroïdes

Après cette petite digression historique, revenons au cœur du sujet du jour avec les centaines de milliers astéroïdes. On en retrouve partout dans le système solaire, et pas uniquement dans la ceinture principale entre Mars et Jupiter (même si c’est là qu’ils sont les plus nombreux).

Ils sont classés en plusieurs familles, dont voici les principales :

  • Aten (géocroiseurs) : les astéroïdes croisant l'orbite de la Terre et de Vénus, de demi-grand axe inférieur à une unité astronomique et dont l’aphélie (le point le plus éloigné du Soleil) est à plus de 0,983 unité astronomique. Cette mesure ne doit rien au hasard : elle correspond au périhélie (point le plus proche du Soleil) de la Terre. Le risque de collision est donc réel.
  • Apollo (géocroiseurs) : les astéroïdes croisant l'orbite de la Terre, de demi-grand axe supérieur à une unité astronomique avec le périhélie à moins de 1,017 au du Soleil, soit l’aphélie de la Terre.
  • Amor (géocroiseurs) : les astéroïdes croisant l'orbite de la Terre et celle de Mars dont le périhélie est entre 1, 017 et 1,3 au du Soleil.
  • Ceinture principale : les astéroïdes dont l'orbite se situe entre Mars et Jupiter.
  • Troyens : les astéroïdes bloqués sur l'orbite de Jupiter, aux points de Lagrange L4 et L5. On étend aussi cette notion aux astéroïdes d’autres planètes.
  • Centaures : les astéroïdes dont l'orbite est entre celles de Jupiter et de Neptune. « Il y en a peu, car les orbites sont instables », précise l’observatoire de Paris.
  • Epars : les astéroïdes dont l'orbite est au-delà de celle de Neptune, sans lien dynamique avec cette planète. Ils sont eux aussi peu nombreux (pour la même raison que les centaures).
  • Ceinture de Kuiper : elle se trouve au-delà de Neptune, entre 30 et 55 unités astronomiques. « On en connait peu, car ils sont très loin de la Terre et très peu brillants, mais ils pourraient être très nombreux ». On parle aussi d’astéroïdes transneptuniens.

Le laboratoire J.-L. Lagrange (unité mixte de l’Observatoire de la Côte d’Azur, du CNRS et de l'UNS) précise tout de même que, au fur et à mesure que le temps passe, « les orbites des membres de chaque famille s'éloignent et les groupes deviennent plus diffus : les membres de différentes familles se mêlent les uns aux autres et reconnaitre si un astéroïde est un fragment ou un planetesimau(sic) devient un problème ».

L’institut ajoute que « les familles d'astéroïdes ont toujours représenté un problème pour ceux qui veulent trouver quels sont les astéroïdes qui ne sont pas des fragments d'autres astéroïdes et qui, en tant que tels, ne sont membres d'aucune famille. Ces astéroïdes originaux sont le "Saint Graal" de la formation planétaire. Ils nous permettent de comprendre quelles sont les tailles et la composition des planètesimaux qui ont formé nos planètes ».

En plus des familles, les astéroïdes sont également triés en fonction de leurs compositions : 

  • Classe C : objets carbonés très sombres, témoins de l'origine du système solaire (75% des astéroïdes)
  • Classe S : objets métalliques (nickel, fer, magnésium, silicates) plus brillants (17% des astéroïdes)
  • Classe M : objets en fer et nickel purs, brillants (7% des astéroïdes)

L’Observatoire de Paris précise que « les objets de classes S et M sont le résultat d'un choc : ce sont les morceaux d'un astre plus gros au sein duquel les métaux ont pu fondre ». Il existe aussi d’autres classes, qui sont des variantes des trois principales dans lesquelles de nombreux astéroïdes ne peuvent entrer.

Des petits, des gros, des ronds, des allongés… il y en a pour tous les gouts

Les tailles et formes des astéroïdes sont extrêmement variables. Cérès (le plus gros avant de devenir une planète naine) mesure 975 km de diamètre (3 474 km pour notre Lune) pour une masse de 9,5 x 10^20 kg. Il « représente à lui seul environ un tiers de la masse totale de la ceinture principale ».

L’Observatoire de Paris ajoute que « la masse totale de ces corps est bien inférieure à celle d'une planète, car elle n'atteint que le vingtième de la masse de la Lune », qui est de 7,3 x 10^22 kg. De plus, ils ont été « incapables de s’agréger en raison des forces d’attraction de Mars et de Jupiter, ces gros rochers sont en réalité les reliques d’une planète ratée ».

Astéroides
Crédits : ESA

De manière générale, le nombre d’astéroïdes augmente lorsque la taille diminue : « la distribution en taille des astéroïdes semble suivre une loi en puissance avec une surabondance d’astéroïdes présentant des diamètres d’environ 100 km et 5 km ».

S’ils sont très nombreux et présents dans tout le Système solaire, il a fallu attendre 1991 pour qu’une sonde – Galileo pour ne pas la nommer – en survole un pour la première fois : 951 Gaspra. Pour rappel, plusieurs sondes ont été lancées pour étudier des planètes du système solaire dans les années 60 et 70 (Mariner, Viking, Mars 2/3…). Depuis, les astéroïdes sont étudiés de près et plusieurs missions veulent ramener des échantillons sur Terre.

Il est en effet primordial de se rendre sur place pour des analyses poussées : « Les images acquises par les télescopes situés à la surface de la Terre ou en orbite autour de la Terre ne révèlent que très peu de détails de la surface des astéroïdes même sur Cérès qui est pourtant l’astéroïde le plus grand. Les survols d’astéroïdes par des sondes spatiales sont donc importants pour révéler des détails de la surface des astéroïdes, mais aussi leur forme précise ainsi que d’autres paramètres physico-chimiques comme la composition et la minéralogie de la surface ou la distribution massique interne ».

Danger et intérêt économique des astéroïdes

Étudier ces objets célestes est important car ils sont la source de la plupart des météorites (des astéroïdes qui traversent notre atmosphère), dont certains peuvent être dangereux pour la Terre en cas de collision (suivant leur taille évidemment).

Patrick Michel, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS, explique dans cette vidéo qu’ils « ont gardé la mémoire de la composition initial du système solaire […] leur composition n’a pas été altéré par tous les processus thermique » auxquels ont été soumis les étoiles.

L’aspect économique ne doit pas être sous-estimé : « Les ressources sur Terre ne sont pas inépuisables, et on peut envisager, dans un futur proche pouvoir exploiter les ressources minières des astéroïdes. On estime qu'un kilomètre cube d'astéroïde de type M, c'est-à-dire métallique, contient 7 milliards de tonnes de fer, 1 milliard de tonne de nickel, et suffisamment de cobalt pour satisfaire la consommation mondiale pendant 3 000 ans », explique l’observatoire de Paris.

Ils peuvent aussi servir de bases spatiales de pré-colonisation du Système solaire : on peut en repartir facilement (faible gravité) et des ressources peuvent être présentes (la Lune pourrait elle servir de base à un voyage humain vers Mars). Les États-Unis et le Luxembourg ont déjà pris des dispositions pour autoriser des entreprises à les exploiter.

Des « lacunes » (de Kirkwood) dans la distribution des astéroïdes

Si les astéroïdes sont très nombreux dans la ceinture principale – entre Mars et Jupiter – ils sont relativement groupés : l’inclinaison des orbites « est généralement très faible, inférieure à 4° ». Ils gravitent donc autour du Soleil dans une zone proche du plan de l’écliptique

La distribution des astéroïdes en fonction du demi-grand axe de leurs orbites est intéressante à analyser, car elle n’est pas aléatoire, comme on pourrait le croire au premier abord : elle « présente des discontinuités appelées « lacunes de Kirkwood » qui sont des zones de la ceinture d’astéroïdes peu peuplée. En effet, l’orbite des astéroïdes présents dans ces zones n’est pas stable sur de longues périodes à cause des effets de résonances orbitales avec Jupiter ».

On peut voir dans le graphique ci-dessous une répartition en dents de scie, avec des trous pour ceux avec un demi-grand axe d’environ 2, 2,5, 2,8, 2,9 et 3,3 au :

Ceinture astéroides

Sous quelles conditions peut-on donner un nom à un astéroïde ?

Si vous vous demandez comment sont donnés les noms des astéroïdes, voici quelques explications de l’observatoire de Paris : 

« Contrairement à ce que certaines publicités laissent entendre, il n'est pas possible d'acheter un astéroïde : pour lui donner un nom, il faut en découvrir un. Ce sera long, mais c'est faisable même si vous ne disposez que d'un télescope modeste. On est encore loin de connaitre tous les astéroïdes du système solaire  : on en découvre tous les jours, même des brillants facilement observables ».

Une fois la perle rare dénichée, il faut vérifier qu’elle n’est pas déjà répertoriée dans les catalogues ou les éphémérides. Dans ce cas, vous pouvez envoyer les coordonnées au Minor Planet Center qui va lui donner une désignation provisoire : elle commence « par l'année de la découverte suivie de deux lettres. La première désigne le demi-mois de la découverte et la deuxième l'ordre chronologique dans ce demi-mois. La lettre I n'est pas utilisée pour éviter toute confusion avec le chiffre 1 ». 

S’il est confirmé qu’il s’agit bien d’un nouvel objet et qu’aucune autre procédure n’est déjà en cours, le premier « inventeur » de cet objet pourra proposer un nom. Ce dernier devra respecter plusieurs critères : pas plus de 16 caractères, pas de noms composés de références, facile à prononcer dans plusieurs langues, « correct et non agressif » envers qui que ce soit (on n’en profite pas pour régler ses comptes), etc. Tous les détails et les noms déjà donnés à des astéroïdes sont référencés sur cette page.

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