Le projet de loi de finances pour 2013 contient toute une série de documents parlementaires précieux. Sur Twitter, le blogueur Authueil, attentif à l’activité parlementaire, a pointé un « jaune » - dans le jargon - qui dresse « la liste des commissions et instances délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres ». Il y est justement question de la copie privée.
Depuis 1996, le gouvernement doit présenter chaque année au Parlement, en annexe du projet de loi de finances, la liste des commissions placées directement auprès de lui. L’exécutif doit y lister le nombre de membres, leur coût de fonctionnement et le nombre de leurs réunions tenues lors des trois années précédentes. Dans ce document désormais disponible, on trouve justement la Commission copie privée.
On apprend ainsi (voir capture) que cette commission est composée sur le papier de 24 membres et de son président. Ni plus, ni moins.
Pour la seule année 2011, la Commission copie privée a donc englouti 104 600 euros d'argent public pour ses coûts de fonctionnement. Le tout pour 15 réunions. Si on pose la division, c'est près de 7 000 euros par réunion. En 2010, la Commission copie privée avait tenu 10 réunions pour un budget de 88 000 euros, soit 8 800 euros par réunion.
Sténo, études et indemnités du président
À quoi correspondent ces coûts ? Ils « comprennent les frais de sténotypiste, l’indemnité du président de la commission et la prise en charge des études d’usages menées par la commission », liste le document. Il n’y a donc pas de rémunération pour les 12 ayants droit, 6 consommateurs et 6 industriels, comme vient d'ailleurs de nous le confirmer l'un des membres.
Le coût par réunion était donc supérieur en 2010 qu’en 2011, alors que sur cette dernière année les réunions étaient plus nombreuses et qu’il y avait prise en charge des études d’usages.
Quelle est donc cette prise en charge des études d’usages ? Il s'agit d'une belle et ambitieuse idée initiée dans le plan Besson France Numérique 2012. Celui-ci prévoyait de « doter la Commission de la copie privée de moyens propres, affectés à la réalisation d'études indépendantes ». L'enjeu était de donner un gage d'impartialité aux résultats qui fondent ensuite la perception de la copie privée en France.
Sur ce terrain, les travaux préparatoires à la loi du 20 décembre 2011 sur la copie privée sont précieux, même s'ils ne chiffrent rien. Ils indiquent que « la Commission a passé un accord-cadre avec un nombre réduit de prestataires choisis conjointement avec le gouvernement, qui sont remis en concurrence à chaque appel d'offres. » Le même document assure aussi que les « principales sources d'information [de la commission] sont les études qu'elle commandite elle-même, financées par le ministère de la Culture et de la Communication ». De fait en pratique, cela n’interdit pas aux ayants droit, industriels et aux consommateurs de présenter des études pour élaborer leurs propositions comme nous allons le voir.
Les voeux du Conseil d’État
Le Conseil d’État a réclamé en juin 2011 que les études d’usages destinées à justifier taux et supports soumis à prélèvement se fondent désormais « sur une étude objective des techniques et des comportements », non « sur des hypothèses ou des équivalences supposées ». Face à cette dénonciation en règle, la Commission copie privée se devait donc d’organiser enfin une vraie étude d’usage à ses frais pour épurer tout ce système qui rapporte tout de même 190 millions d’euros chaque année aux ayants droit.
Pour ne pas casser le système de perception des flux, et laisser à la Commission du temps pour retrouver ses esprit, le Conseil d’État repoussait de 6 mois l'effet de son arrêt.
En août 2011, nous révélions que le ministère de la Culture avait lancé un appel d’offres pour prendre en charge ces études. Dans ce document, des questions étaient presques amusantes. Ainsi, le sondé devait par exemple dévoiler à l’enquêteur les fichiers copiés. Cette inquisition statistique est une excellente manière pour minimiser les pratiques illicites et donc maximiser les pratiques de copie licite. Et donc la rémunération qui en découle.
Sauf que patatras ! Si le questionnaire est très long, le ministère a été trop pingre. De fait, aucun institut de sondage sur la place n’a accepté de travailler pour des clopinettes, soit moins de 125 000 euros HT.
Le sacrifice des ayants droit
La Rue de Valois pouvait relancer un autre marché public, moins dense et donc moins onéreux, mais les règles de passation repoussaient les conclusions au-delà de la date butoir accordée par le Conseil d'Etat.
Alors ? Simple ! Les ayants droit se sont donc sacrifiés pour financer intégralement l’étude 2011. Exit le plan Besson. Famille de France et deux autres associations de consommateurs (hors CLCV) ont tout de même accepté de se saigner et verser « un euro symbolique ». Selon nos informations d’alors, cette fameuse étude aurait couté 382 700 € HT, soit bien plus du double de ce qu’avait anticipé le ministère de la Culture.
Le sacrifice des ayants droit est à apprécier dans ce passage :
Extrait du compte rendu de septembre 2011
En somme, quand le PLF justifie les 104 600 euros payés par l'impôt pour cette machine à rémunération, par « la prise en charge des études d’usages menées par la commission », cela cache une réalité plus nuancée : sur l'année 2011, les ayants droit ont continué à payer et produire les études d'usages sur lesquelles ils justifient leurs rémunérations votées dans cette instance où ils sont en surnombre, si ce n'est désormais en majorité absolue.
Dernier détail, les curieux pourront fouiller le Code de la propriété intellectuelle de long en large. Aucun article n’impose d'une manière ou d'une autre à la Commission copie privée ou au ministère de la Culture d’assumer la prise en charge de ces coûts. Gageons qu'Aurélie Filippetti saura corriger au plus vite ce petit oubli.