Après la diffusion du rapport de la Hadopi sur le streaming et le direct download, nous avons pu interroger Mireille Imbert-Quaretta. L’auteur du document, présidente de la Commission de protection des droits, revient notamment sur les orientations de la politique pénale qui se dessinent en la matière.
Mireille Imbert-Quaretta, présidente CPD, auteur du rapport Streaming/DDL (photo MR)
Quelle est la destinée de ce rapport ?
C’est faire avancer la réflexion. Il ne propose pas de solutions clefs en main, mais des pistes d’orientation qui ne sont pas que générales puisque je vais aussi dans le détail. L’idée est d’ouvrir une discussion sur l’ensemble des propositions qui sont faites. Toute une première partie fait d’ailleurs l’état des lieux juridiques national, international que l’état de l’écosystème, la situation des différents acteurs du streaming et du téléchargement.
Les hébergeurs ne peuvent être soumis à une obligation de surveillance généralisée. Comment faites-vous pour contourner l’interdiction ?
On ne préconise pas une surveillance généralisée. Il y a eu des arrêts de la Cour de cassation en 2012. Au moins l’une des dernières décisions laisse entendre qu’il ne peut y avoir de surveillance généralisée indéfinie. Ce sont les deux conditions.
Donc une surveillance généralisée définie est possible ?
Limitée. Nous avançons avec prudence. Les décisions de la Cour de cassation censuraient un dispositif impliquant une surveillance généralisée et sans limitation de temps. Que se passerait-il si c’était limité dans le temps ?
Un article du Code incrimine les articles manifestement dédiés à la contrefaçon. Vous préconisez aussi de l’étendre aux sites…
C’est un article qui n’a jamais été utilisé. Ou plutôt il l’a été une fois, mais pas pour le logiciel. L’objectif qui avait précédé à son élaboration n’a donc jamais été mis en œuvre, car c’est extrêmement difficile puisque les logiciels sont neutres. Le texte était sans doute mal orienté. On pose donc la question. Il est délicat de faire la différence entre un site licite et un site illicite. Cependant, ne faudrait-il pas étendre le champ de cet article aux sites voyous, ceux manifestement illicites en raison de leur comportement ? Par rapport aux autres, cela permettrait de faire le départage.
Mon sentiment est aussi qu’en France actuellement le dispositif pénal est suffisamment étoffé pour arriver – si on le met en œuvre – à poursuivre et juger les vrais contrefacteurs en faisant d’ailleurs des différences selon l’implication. Les sites manifestement dédiés à la contrefaçon, vous pouvez les avoir par la bande organisée. En faisant une analyse complète, vous pouvez poursuivre les acteurs comme complices ou coauteurs. À partir du moment où on peut être attrait dans le dispositif pénal par de nouveaux biais, il faut aussi se poser la question de la nécessité et de la proportionnalité de la peine. Sur ce point-là, on prend donc énormément de précautions.
Mais vous recommandez aussi à ce que la Hadopi - ou l’autorité publique - soit chargée de veiller à la non-réapparition des sites miroirs...
On ne dit pas « la Hadopi », car de toute façon celle-ci va disparaitre. On a choisi de maintenir une autorité publique. Quand on fait l’état des lieux international, on voit bien la différence entre le droit continental – avec l’autorité publique qui existe et qui intervient comme en Espagne- et le droit anglo-saxon avec un système libéral, contractuel entre les parties.
Nous, on dit que dans notre droit, l’intervention de l’autorité publique est plus à même – parce qu’elle est neutre – d’assurer le respect et l’équilibre entre différents droits, le droit d’auteur, celui des données personnelles, la concurrence, etc. On préconise donc qu’elle intervienne à différents niveaux avec des mesures sur lesquelles on peut jouer comme des touches de piano. Il n’y a pas une mesure en soi qui, seule, est efficace. L’autorité pourra donc intervenir comme médiatrice, comme facilitatrice et pour assurer l’effectivité des décisions de justice.
Actuellement, avec la réapparition des sites miroirs, les décisions sont un peu vidées de leur sens. Vous avez l’impression que la justice peigne la girafe. Cependant, si la mesure que nous préconisons est retenue, elle doit être totalement encadrée. Ce sera sous le contrôle du juge, avec des règles de procédures extrêmement strictes.
Les ayants droit ont rappelé devant la mission Lescure qu’ils ont développé un logiciel avec l’ALPA et TMG pour automatiquement détecter la réapparition des sites miroirs. Comptez-vous récupérer le code source de ce logiciel ?
Je n’en sais rien. C’est de la technique avant laquelle il y a déjà toute l’élaboration et l’encadrement juridique. Il ne faut pas ignorer cette technique – cela fait deux ans et demi qu’on en absorbe à haute dose –, mais il faut aussi avoir de grandes orientations juridiques. Comme le dit Jean Musitelli, cette loi Hadopi 1 et Hadopi 2 est mal née, car on est parti de la technique sans ces grandes orientations générales.
Dans la décision LOPPSI du Conseil constitutionnel, celui-ci a cependant expliqué que jamais une autorité administrative ne pourrait bloquer un site sans intervention du juge…
Il n’y aura jamais de coupure, j’en mets mes mains au feu, mais selon la loi c’est bien la Hadopi qui doit s’assurer de l’exécution de cette décision de justice. Ce choix n’était absolument pas nécessaire puisque le parquet peut parfaitement remplir ce rôle. Dans notre rapport, l’autorité publique est chargée par le juge de l’exécution de cette peine sous son contrôle et ses conditions. Et la réapparition des sites miroirs ne va pas être contrôlée éternellement. Inévitablement, ce sera limité dans le temps afin pour ne pas tomber dans la critique du contrôle permanent.
Donc pour vous le fait de lutter contre la réapparition d’un site une première fois dénoncé par la justice est une mesure d’exécution plutôt qu’un nouveau blocage…
C’est exactement cela. La justice prend une décision de suspension pour dire que tel site ne respecte le droit d’auteur. Comme il craint des répliques, le juge confie l’exécution de sa décision à une autorité publique dans les conditions qu’il aura déterminées.
Dans l’affaire Copwatch, le magistrat a cependant refusé que des mesures préventives soient prises à l’égard des futurs et hypothétiques clones d’un site bloqué
C’était la partie elle-même qui demandait ce contrôle après avoir une décision. Un blanc-seing, d’une certaine manière. Là, l'autorité publique est neutre. Elle intervient comme exécutant. Elle n’est pas partie et elle rend compte au juge dans le suivi de l’effectivité d’une décision de justice.
Vous comptez automatiser le procédé ?
Je n’en sais rien. Pour l’instant on est sur le principe. On ne va pas éradiquer le téléchargement illégal. L’enjeu, face aux orientations - qui sont multiples et se complètent les unes aux autres – c’est d’arriver à faire changer les comportements et faire prendre conscience. La procédure d’alerte est un, de favoriser les médiations et les contrats. Deux, d’inciter un peu plus fortement dans cette médiation. Trois, d’accompagner les décisions de justice. Dans aucune de ces trois parties on arrivera à zéro délinquance.
Une sorte de réponse graduée dédiée aux sites internet
Vous avez tout compris. Ce sont des avertissements. On fait de la pédagogie.
Avec des armes au bout, notamment l’extension du 336-2 qui permettra à l’autorité de réclamer toute mesure à l’égard de toute personne pour faire cesser ou prévenir une atteinte...
C’est après la procédure d’alerte. Le cœur c’est de mettre sur pied cette procédure.
Si on en revient sur Hadopi, y a-t-il eu d’autres jugements ?
Pour l’instant, il n’y a pas plus que les trois jugements, mais on n’est pas toujours informé par les tribunaux.
Vous affirmez que la Hadopi ne va pas survivre. En êtes-vous si certaine ?
Je ne sais pas, le président de la République a dit que la Hadopi serait remplacée (« Hadopi sera remplacée, je dis bien remplacée ! » discours du Bourget, NDLR). Mes collègues du collège pensent que non, mais moi depuis mai dernier, je sais que je n’existerai plus à la prochaine loi. Je suis d’une sérénité absolue !
Merci Mireille Imbert Quaretta.