Voilà une nouveauté dont se seraient bien passés les consommateurs : les versions boîtes d’Office 2013 sont vendues avec des licences qui ne peuvent pas, dans l’état actuel, être transférées d’un ordinateur à un autre. Un changement radical qui bloque aussi bien l’utilisateur dans la réutilisation de son logiciel sur un nouveau PC que la revente.
Office 2013 contre Office 365
Depuis qu’Office 2013 a été officiellement dévoilé, on a pu se rendre compte que Microsoft mettait désormais en avant les abonnements Office 365. Plutôt que de payer une licence perpétuelle sous forme de boîte, un utilisateur peut payer un abonnement et couvrir ainsi plusieurs machines. Plus spécifiquement, la formule Famille Premium permet d’installer Office 2013 (ou 2011) sur cinq ordinateurs (PC ou Mac) pour 99 euros par an. Un abonnement qui comprend du temps de communication sur Skype, de l’espace supplémentaire pour SkyDrive ou encore la possibilité d’installer temporairement Office en « streaming » sur une machine tierce puis de le supprimer d’un tour de main. Une formule Étudiant permet d’équiper deux ordinateurs pendant quatre ans pour 79 euros.
À l’inverse, les versions boîtes continuent d’être ce qu’elles ont toujours été, à savoir des licences onéreuses valables uniquement pour une seule machine mais définitives. Ces éditions vont de 139 euros pour l’édition « Famille et étudiant » à 539 euros pour l’édition « Professionnel ». Une fois installées, ces licences sont fixes et donc non limitées dans le temps. Il a en outre toujours été possible de déplacer sa licence vers une nouvelle machine en cas de changement. Précisons que cette possibilité était spécifique à la version boîte, non à l’OEM qui reste accrochée, en théorie, à la machine achetée en premier lieu.
Transfert de licence : la cassure
« Était » car la licence fournie avec ces versions boîtes a changé avec Office 2013. Elle stipule désormais qu’elle octroie le droit « d’installer et d’exécuter cette copie [du logiciel] sur un seul ordinateur » mais ajoute surtout plus loin : « Vous ne pouvez pas transférer le logiciel vers un autre ordinateur ou un autre utilisateur ». Et de préciser que la seule manière de transférer le logiciel est de transférer la machine elle-même, car la licence y est accrochée.
Qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Que si votre ordinateur vient à avoir une panne sévère, est volé ou rencontre n’importe quelle raison induisant une perte du matériel, la licence sera perdue. Si vous possédez un ordinateur fixe et que vous achetez une licence d’Office 2013, vous ne pourrez pas la transférer vers un ordinateur portable comme cela était le cas jusqu’à présent. Une sévérité nouvelle dans la licence qui ne manquera de créer de nombreux échos.
Microsoft confirme
Cette information a déjà été largement relayée dans la presse anglo-saxonne. PC World notamment s’est penché sur la question et a pu confirmer certains points avec un porte-parole. Ainsi, à la question de savoir si la licence perpétuelle était assignée à un ordinateur sans espoir d’être réassignée plus tard, nos confrères ont obtenu la réponse : « Correct ». mais lorsqu’il a fallu faire face à la douloureuse question des PC tombés en panne, perdus ou volés, le porte-parole a cette fois opposé un « Pas de commentaires ».
Plusieurs analystes interrogés ne semblent pas par ailleurs réellement surprises. Paul DeGroot de chez Pïca Communications confirme ainsi qu’il s’agit de termes « plus stricts » que précédemment et qui confirme le problème : « Si votre ordinateur meurt, votre licence Office en fait autant ». Il ajoute que jusqu’à présent, ce type de conséquence était réservé aux OEM pour le grand public. Daryl Ullman ,de l’Emerset Consulting Group, indique que la modification ne va pas dans le sens du client : « Ils vont payer plus qu’avant puisqu’ils n’auront pas les mêmes avantages que précédemment ».
Séduction forcée
Comme le fait remarquer Ars Technica toutefois, cette solution ne devrait pas impacter un très grand nombre d’utilisateurs. Pourquoi ? Tout simplement parce que la plupart des utilisateurs achètent un ordinateur complet souvent livré avec une licence d’Office OEM. Lorsqu’ils changent d’ordinateur au bout de plusieurs années, la licence change du même coup. Nos confrères estiment ainsi que la seule frange de la population à être vraiment impactée sera le groupe des « enthousiastes ». Mais ceci engendre de fait un problème.
En effet, tout l'intérêt d'acheter une version boîte réside dans la possibilité de garder la licence. Si l'on change de machine par envie ou à cause d'une panne, on réinstalle simplement l'application. Un constat valide pour tous les produits Microsoft. Mais la firme force désormais les yeux à se tourner vers Office 365 pour échapper à une licence boîte devenue aussi restrictive que l'OEM. Un véritable jeu clair/obscur : l'éditeur assombrit volontairement des produits pour mieux en propulser d'autres sous les feux des projecteurs.
Autre problème : à partir de combien de modifications matérielles sur une machine considère-t-on qu’elle en devient une autre ?
Et ce n'est pas tout, car Microsoft court-circuite par la même occasion tout le marché de l'occasion.
La nouvelle licence heurte de plein fouet la jurisprudence UsedSoft
En juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait confirmé que le droit exclusif de distribution d’une copie d’un programme d’ordinateur s’épuisait lors de sa première vente. En clair, l’éditeur d’un logiciel n’avait plus son mot à dire lors de la revente éventuelle par l’acheteur. Exemple valide : une licence boîte d’Office 2010 peut très bien être revendue sur eBay. Seule condition à respecter pour le vendeur : supprimer le produit de son propre ordinateur.
L’arrêt de la CJUE était la conséquence d’une affaire opposant UsedSoft, spécialisé dans la revente de logiciels d’occasion, à Oracle. Cette dernière n’appréciait que très moyennement ce type de rachat, la firme préférant bien entendu vendre des licences neuves. Or, Microsoft entérine une décision qui se heurte de plein fouet à cette jurisprudence : la licence cadenasse Office 2013 à une seule machine, et la revente est impossible.
Notez que cette modification s’inscrit dans un contexte où le marché de l’occasion est pris pour cible. Ainsi, de nombreuses rumeurs courent actuellement sur les prochaines Xbox et PlayStation de Microsoft et SONY. Des consoles qui auraient la capacité de bloquer l’exécution d’un jeu s’il devait être lancé depuis un autre compte utilisateur. On notera d’ailleurs que le marché de l’informatique et, plus globalement, du dématérialisé permet des verrouillages qui n’ont guère d’équivalent. On imagine difficilement par exemple l’acheteur d’une voiture ou d’une maison être interdit de revente.
Vide béant dans la tarification : un avantage pour la concurrence ?
Lors de la sortie d’Office 365, nous indiquions qu’il y avait un véritable trou dans la grille tarifaire de Microsoft. Si vous n’avez qu’un ou deux ordinateur, la formule à 99 euros par an est trop onéreuse. Elle inclut en outre tous les composants de la suite, y compris Publisher et Access. De fait, que faire si vous n’avez besoin que de Word et Excel, ou uniquement de PowerPoint ? Il faudra vous tourner vers une licence boîte qui n’offre plus la garantie du transfert le jour où vous changerez de machine.
Microsoft souhaite manifestement pousser un maximum de clients du grand public vers son abonnement Famille Premium, mais la méthode utilisée est péremptoire, voire brutale. Une méthode qui pourrait très bien profiter à LibreOffice, Google Docs et autres solutions concurrentes gratuites. Microsoft aurait finalement tout intérêt à proposer une tarification plus souple, par logiciel et par machine. Office 365 offre des avantages intéressants mais ne peut pas répondre, dans sa forme actuelle, à tous les besoins. Et le constat est encore plus pesant dans un contexte économique difficile.
Notez que nous avons demandé à Microsoft des explications sur le sujet. Nous attendons actuellement des réponses, notamment sur des éventuels écarts qui pourraient avoir lieu dans la licence en fonction des régions géographiques.