Alors que l’éditeur Opera annonce que ses produits sont utilisés par 300 millions de personnes, il en profite pour glisser une autre nouvelle, bien plus significative : l’abandon du moteur de rendu Presto pour Webkit. Une décision lourde de significations et probablement riches en retombées futures.
300 millions d'utilisateurs et un changement radical
Dans un communiqué de presse publié il y a quelques heures à peine, Opera annonce que 300 millions d’utilisateurs se servent de ses produits. Cela touche aussi bien les versions pour ordinateurs que smartphones et tablettes : Mobile et Mini. Mais alors que l’éditeur se réjouit d’une telle étape, il proclame un autre changement, celui-là très lourd : l’abandon du moteur de rendu Presto, développé en interne, pour s’aligner sur Webkit.
Cette migration du moteur de rendu, du jamais vu pour un navigateur aussi connu, se fera sur deux axes :
- Les versions pour plateformes mobiles utiliseront directement le moteur Webkit
- Les versions pour ordinateurs utiliseront Chromium, lui-même étant déjà la base open source de Chrome de Google
Håkon Wium Lie, directeur technique d’Opera, fait le constat de la situation : « Le moteur Webkit est déjà très bon, et nous avons pour objectif de le rendre encore meilleur. Il supporte les standards qui nous importent et a les performances dont nous avons besoin. Cela a bien plus de sens de laisser nos experts travailler avec les communautés open source pour améliorer encore Webkit et Chromium que de développer notre propre moteur de rendu plus avant. Opera contribuera aux projets Webkit et Chromium, et nous avons d’ailleurs soumis notre premier lot de patch : pour améliorer la disposition des colonnes multiples ».
En fait, le passage à Webkit pouvait en partie être deviné dès le mois dernier. Opera avait en effet présenté un nouveau projet, baptisé Ice, de navigateur pour Android entièrement basé sur Webkit. L’éditeur indique sur son blog que les premiers retours avaient été très bons. Opera Ice sera officiellement présenté à la fin du mois au Mobile World Congress de Barcelone.
Cela étant, l’annonce d’Opera change radicalement le périmètre du travail fait sur Webkit. Si les développeurs ne se penchent plus sur leur propre moteur, cela signifie une redistribution des ressources sur d’autres aspects. Håkon Wium Lie explique en effet que la transition « vers Webkit signifie qu’une plus grande part de nos ressources pourra être dédiée au développement de nouvelles fonctionnalités et de solutions simples que l’on peut attendre d’une société qui a inventé tant des fonctionnalités qui sont aujourd’hui utilisées par tout le monde dans l’industrie des navigateurs ».
Quelles conséquences réelles ?
Les conséquences pour Opera sont multiples et pour la plupart positives. Le navigateur va profiter de travaux hérités de plusieurs années et dans lesquels participent de grosses sociétés telles qu’Apple et Google. Webkit est connu pour être performant, et l’impact de la communauté en termes de sécurité est plus que concret. En outre, la principale force du moteur est son adaptation aux nouveaux standards, souvent implémentés très rapidement, quitte parfois à diffuser des technologies qui n’existent qu’à l’état de brouillons.
Mais l’avantage principal pour Opera est la « pulvérisation » du fossé existant entre lui et les autres. Éternel outsider cantonné à une part de marché de 1 % depuis des années, Opera est victime de sa différence. Il n’est pas, à l'inverse de Safari et Chrome, basé sur Webkit. Il n’est pas fourni avec un système d’exploitation à la part de marché titanesque, comme Internet Explorer. Il n’est pas soutenu par une énorme communauté, contrairement à Firefox. Opera a toujours été jusqu’ici la cinquième roue du carosse, le navigateur mis systématiquement de côté dans les tests de compatibilité. Un élément que nous avons souvent regretté.
Passer à Webkit signifie en finir avec cet écart, au détriment de plusieurs années d’investissement dans Presto. La société aura les mains libres pour travailler sur les fonctionnalités qui l’intéressent vraiment en arrêtant de perdre du temps pour courir après une concurrence déchainée depuis que Firefox a relancé la guerre des navigateurs.
Un danger à l’horizon
Pourtant, doit-on considérer que ce passage à Webkit n’a que des avantages ? Pas nécessairement. Pour les utilisateurs, cela signifie techniquement la fin de l’écart dans le rendu des sites web, tout en profitant du champ fonctionnel très riche. Pour le web lui-même, il existe cependant un danger. Et pour une partie de la concurrence également.
D’une part, nous avions déjà soulevé dans le passé que Webkit, du fait de son écrasante part de marché dans le secteur mobile, créait ses propres problèmes. Certains développeurs, plutôt que d’attendre un W3C jugé parfois trop lent, codent leurs sites en tablant avant tout sur Webkit. Safari pour OS X, Safari pour iOS, Chrome pour Windows/OS X/Linux, Chrome pour Android, Chrome OS et d’autres navigateurs tiers utilisent tous Webkit. Le moteur est en train d’acquérir lentement, mais sûrement, une situation de monopole.
Étrange détour de l’histoire des navigateurs, car avec Opera qui rejoint le « clan » Webkit, un éditeur se retrouve isolé : Mozilla. Webkit et Internet Explorer sont pour l’instant incontournables, mais Firefox se retrouve pris entre les deux feux. Mozilla va donc devoir se battre et travailler son moteur de rendu Gecko, surtout face à un Webkit auquel participe un nombre de plus en plus important de développeurs.
Il faudra dans tous les cas plusieurs mois pour qu’Opera ne sorte des versions basées sur Webkit de tous ses navigateurs. Il sera particulièrement intéressant de vérifier le résultat et de le comparer à ses concurrents les plus directs, Safari et Chrome. Il se pourrait que la part de marché augmente car les fonctionnalités pourraient bien faire la différence. L’année 2013 promet donc quelques mouvements dans le monde des navigateurs.