Nous avons pu consulter de nouveaux documents préalables à la signature du contrat « Open Bar » entre Microsoft et le ministère de la Défense. Fait notable, ils relatent une analyse risque/bénéfice de cet accord signé avec la bénédiction du comité directeur de la Défense. Ce contrat est aujourd’hui en phase de renégociation puisqu’il atteindra son terme en mai 2013.
C’est en juin 2007 que Microsoft avait présenté son offre open bar au ministère de la Défense. La Direction Interarmées des Réseaux d'Infrastructure et des Systèmes d'Information de la défense (DIRISI) est alors mandatée par l’état-major des armées pour assurer les négociations avec l’éditeur. L’enjeu ? Cette fameuse offre open bar permettant à n’importe quel organisme du ministère de piocher dans les rayons de l’éditeur via un simple droit d’usage. En parallèle, la Direction générale des systèmes d'information et de communication (DGSIC) constitue un comité de pilotage. Son objectif est de donner des orientations à l'équipe de négociation.
Très tôt, Microsoft met sur la table une offre globale avec d’un côté la mise en place d'un centre de compétence dédié au ministère, « armé » par des personnels de Microsoft. C’est lui qui assure le service de mise à jour et de suivi des versions, le support technique, mais aussi les apports de connaissance et d'expertise pour améliorer les services, les architectures et l'exploitation du système d'information du ministère. Le contrat de l’éditeur propose aussi un accès illimité à une liste préétablie de logiciels Entreprise de Microsoft sous une forme particulière : il s’agit en effet de la location des droits d'usage de la totalité du catalogue, exception faite des jeux... La Défense dispose en outre d’une option d’achat si elle le souhaite. Dans la négociation, l’accord doit se solder à 15 € HT pour les services, et 85 € HT pour la concession de droits d'usage soit 100 € HT par poste de travail. Le tout pour quatre ans, reconductible.
Au fil des négociations, le montant du contrat s'établit à une centaine de millions d’euros, dont une vingtaine au titre de l’option d’achat. Microsoft Irlande s’est ainsi engagé à proposer ses logiciels pour un parc de 188 500 postes (dans la limite d'un minimum de 170000 et d'un maximum de 240000 postes).
Risques et opportunités
Comme expliqué la semaine dernière, ce contrat passé sans appel d’offres avait été critiqué par le rapporteur de la commission des marchés publics de l’État. La CMPE avait cependant passé outre. Au sein du ministère de la Défense, l’accord a évidemment été examiné de près. Un comité directeur de la Défense avait ainsi fait établir en interne un bilan des risques et des opportunités de ce contrat. Parmi les points noirs :
a) le coût de renouvellement du contrat, dans la mesure où Microsoft pourrait se trouver en position de force pour négocier,
b) le coût de l'abandon de la technologie Microsoft pour une autre, si cela devenait nécessaire à l'issue du contrat
c) la dépendance à une suite de produits très liés entre eux, relativement fermés à l'introduction de produits non Microsoft
d) l'impact juridique de la position dominante de Microsoft
e) la capacité du Ministère à concentrer les financements nécessaires pour passer le contrat
f) le risque de blocage des produits en cas de crise entre la France et les États-Unis d'Amérique,
g) l'accoutumance des utilisateurs à l'ergonomie des produits de Microsoft,
h) le manque de soutien de l'industrie française et européenne du logiciel,
i) le caractère extraterritorial de la loi américaine, qui pourrait empêcher le déploiement des systèmes lors d'opérations extérieures conduites dans les « États-Voyous ))
Inversement, ce même comité directeur retiendra plusieurs opportunités
- La capacité offerte de rationaliser et de rendre homogène le patrimoine logiciel du ministère : il s’attend à une baisse du nombre d'incidents de fonctionnement, et donc une baisse du nombre d'interventions. En outre, les équipes de soutien peuvent se concentrer sur la maîtrise d'un nombre limité de produits tout en bénéficiant de l’expertise du géant américain.
- La capacité de mettre à niveau les systèmes d'information aujourd'hui obsolètes : il anticipe sur ce point une amélioration sensible de la résistance des systèmes d'informations du ministère aux attaques informatiques
- La capacité à bénéficier de services d'aides au déploiement des applications
Résultat ? Le comité directeur considèrera que la proposition faite par Microsoft n'augmentait pas sensiblement l'exposition du ministère aux risques f, g, h et i, alors déjà présents. En outre, « les risques a, b et c peuvent être gérés par des actions adéquates » et notamment la fameuse option d’achat. Enfin, « les risques d et e sont liés à la capacité du ministère de se transformer, et seront éteints dès lors que le contrat sera conclu. »
Rester en bonne position à échéance
En amont, un groupe de travail interne avait toutefois noté parmi ses reproches, qu’à la fin des quatre années de ce contrat et la migration effectuée, « la dépendance du ministère de la Défense sera telle que [Microsoft] sera en position de monopole confirmée. Le ministère sera à la merci de la politique tarifaire du moment ». En effet, si le contrat n’est pas renouvelé, le ministère aura l’obligation de désinstaller les logiciels ou de prendre l’option d’achat. Le comité directeur relativisera ces remarques : un suivi du déploiement logiciel devrait permettre au ministère de « rester en bonne position vis-à-vis de Microsoft à son échéance ». Histoire de renégocier par exemple les clauses de ce contrat.
Les documents que nous avons pu consulter relate aussi du flou sur le terrain financier. Le mode de contractualisation au sein du ministère rend en effet très difficile le recensement des achats de produits Microsoft. Même constat pour le retour sur investissement que peut apporter ce type de contrat. L’éditeur avait cependant calculé un gain de 3 millions d’euros par an par rapport aux formules antérieures d’achat de licence. Mais l’analyse était loin d’être partagée au sein du groupe de travail.
De même, si la mise en place d’un centre de compétence minimise de recourir aux compétences internes, l’évaluation précise n’est pas possible. Une certitude pour la DGISC : « la mise en place du contrat permettra de limiter l'hétérogénéité des produits utilisés au sein du ministère, et de tendre ainsi vers un environnement d'exploitation standard. »