Suite aux récents propos du sénateur Gorce sur l'Open Data, PC INpact a pu interroger Séverin Naudet, ancien directeur de la mission Etalab (qui gère le site www.data.gouv.fr). Manifestement très remonté contre les arguments de l'élu, notre interlocuteur s'est inquiété de l’irresponsabilité ainsi que des « amalgames » du parlementaire, estimant que les dérives craintes par ce dernier sont totalement infondées.
Séverin Naudet - Crédits : Bruno Mazodier.
Hier, nous rapportions que le sénateur socialiste Gaëtan Gorce (également membre de la CNIL) venait de demander au gouvernement de Jean-Marc Ayrault d'interrompre le développement de l'ouverture des données publiques en France, au moins « tant qu'un cadre juridique respectueux de la vie privée n'aura pas été arrêté ». Les propos de l’élu ont cependant suscité beaucoup de réactions, dont celle de Séverin Naudet (http://www.severinnaudet.com), prédécesseur d'Henri Verdier à la tête de la mission Etalab. À l’origine de la politique d’Open Data sous le gouvernement de François Fillon, Séverin Naudet a bien voulu répondre à nos questions.
Le sénateur Gaëtan Gorce a lancé cette semaine un appel au gouvernement, afin que ce dernier arrête « les développements de l'open-Data tant qu'un cadre juridique respectueux de la vie privée n'aura pas été arrêté ». Comment avez-vous réagi suite à cette requête ?
Je veux rappeler que le choix d’ouvrir largement les données publiques, « l’open data », a été un engagement fort et courageux de Nicolas Sarkozy et de François Fillon pour une démocratie exemplaire. L’open data c’est faire la transparence totale sur le fonctionnement des institutions publiques à tous les niveaux. L’open data c’est rendre des comptes aux citoyens notamment sur l’utilisation de l’argent public. Cette politique a fait l’objet d’une très large concertation y compris avec les parlementaires de l’opposition de l’époque et d’un travail approfondi avec tous les acteurs concernés notamment avec la CNIL.
Je voudrais rappeler au Sénateur Gorce qu’il s’agit d’un impératif démocratique qui concerne le gouvernement et ses administrations mais qui devrait aussi concerner le Parlement. Les parlementaires ont une obligation d'exemplarité. Ils auraient dû être les premiers à entamer cette démarche - or, ils ne l’ont toujours pas fait. Le fonctionnement totalement opaque de la, voire des réserves parlementaires en est un exemple saisissant.
Considérez-vous que les risques de « dérives » dont s’alarme l’élu (qui craint un fichage généralisé des citoyens à des fins privées grâce aux recoupements de données) ne sont pas fondés ?
Ils sont totalement infondés ! « L’open data » est strictement encadré et ne concerne que les informations publiques telles qu’elles sont définies par l’article 10 de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978. La loi précise très clairement que ne sont pas des informations publiques celles?qui contiennent des données à caractère personnel. Je suis très clair, il n’y a eu aucune donnée personnelle publiée sur www.data.gouv.fr.
Je tiens d’ailleurs à préciser que contrairement à ce que dit le Sénateur, aucune donnée brute provenant du service d’état civil ou du cadastre n’ont été publiées et les seules informations fournies par les tribunaux sont des statistiques. Les données publiées ont par exemple été celles sur l’inventaire immobilier de l’État, le nombre de véhicules de service par ministère ou les coordonnées géographiques des écoles… C’est regrettable qu’un Sénateur fasse tant d’amalgames. C’est totalement irresponsable de la part d’un élu d’agiter l’épouvantail « d’un fichage généralisé à des fins privés » pour tenter de mettre un terme à une démarche inédite de transparence de l’État.
Il n’y a donc aucun risque pour la protection des données personnelles des citoyens ?
Non, il n’y en aucun !
En ayant cette position, ne prenez-vous pas le risque de rentrer dans le jeu du sénateur, qui a déjà critiqué l’ "ingénuité" numérique de certains décideurs ?
Une crise de confiance des Français à l’égard de leurs élus et de leurs gouvernants s’est installée depuis trop longtemps. Internet peut fortement contribuer à changer cela, à replacer les citoyens au cœur de la République et de la gouvernance des institutions. Le Sénateur Gorce fait manifestement partie de ces responsables politiques français qui ne l’ont pas compris. Les dirigeants, les élus, les partis, débattent entre chaque élection sans créer les conditions d’un dialogue direct avec les Français.
Les Français demandent cet échange et Internet le rend possible. Les plateformes collaboratives, les réseaux sociaux, permettent la participation de tous et créent une démocratie directe au soutien de la démocratie représentative. Internet permet d’améliorer le fonctionnement des institutions et la qualité du service public, de contribuer à l’élaboration des politiques publiques, voire de proposer des solutions innovantes aux sujets de société. Cela peut recréer un intérêt pour la politique. Les Français ne veulent plus être seulement un bulletin de vote au moment du scrutin et ils ne veulent plus laisser le monopole du débat aux élites et les solutions aux « experts », éloignés de leurs préoccupations quotidiennes. Nos élus ne doivent pas avoir peur d’internet et de cet échange direct avec les Français. Internet renouvelle et renforce la démocratie par la racine. C’est une chance pour la République.
Qu’est-ce qui peut selon vous expliquer cette prise de position pour le moins tranchée de Gaëtan Gorce ?
Je veux croire qu’il s’agit de l’acte isolé d’un élu qui n’a pas compris le sujet et qui sert de porte-parole à d’autres. Si c’est le cas il a été trompé. J’espère en revanche qu’il ne s’agit pas en fait d’un ballon d’essai du gouvernement pour arrêter « l’open data ».
Mais la vérité c’est que je suis inquiet. Les moyens « d’Etalab » ont été supprimés dès le lendemain de l’élection et n’ont jamais été rétablis. « Etalab » qui était directement sous l'autorité du Premier ministre a été transformé, après mon départ, en sous-service administratif dont on attend toujours la « feuille de route ». Le président de la République et le Premier ministre ne se sont jamais exprimés sur le sujet et voilà maintenant qu’un Sénateur socialiste demande l’arrêt immédiat de la politique “d’open data”…
Quelle position souhaiteriez-vous que le gouvernement Ayrault adopte sur ce sujet ?
J’attends de ce gouvernement, qui parle beaucoup d’exemplarité, qu’il fasse de « l’open data » un instrument puissant de réforme de l’État et de transparence démocratique. J’attends de ce gouvernement qu’il fixe dans la loi, comme nous avions prévu de le faire, le principe d'obligation de publication systématique des informations publiques par tous les services publics de l'État, des collectivités et par le Parlement.
Merci Séverin Naudet.