Dimanche, nous indiquions que les ayants droit, en tout cas les indépendants de la musique, militent pour la mise en place d’une amende automatique de 140 euros au dernier stade de la riposte graduée. Un système sans juge qui sera géré par la seule Hadopi. Nous avons recueilli la réaction de Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net.
Jérémie Zimmermann (LQDN), à gauche.
Dans le passé Aurélie Filippetti a souvent dénoncé la suspension, qualifiée de disproportionnée. De fait, la ministre oublie de rappeler que cette suspension est en réalité impossible. Pourquoi ? Car elle exige juridiquement de laisser intactes par exemple la TV, la téléphonie et les correspondances privées. Ce qui est impossible.
Dénoncer le seul caractère disproportionné en taisant cette impossibilité, c’est maquiller la réalité. Avec ces affirmations, la ministre laboure en tout cas le terrain sur lequel les ayants droit vont faire prospérer leurs revendications. Au MIDEM 2013, les indépendants souhaitent ainsi supprimer la suspension de l’accès à internet, au profit d’une seule amende automatique de 140 euros. Ceci a un effet mécanique simple : si la suspension saute, le juge n’est plus nécessaire puisqu’il n’y a plus d’atteinte à la liberté de communication ou d’information. La Hadopi devient donc seule compétente pour infliger ces mesures, ce que souhaite très exactement l’UPFI.
En marge du forum sur la cybercriminalité qui se tient à Lille, nous avons questionné Jérémie Zimmermann sur ce projet.
Que pensez-vous du projet de l’Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants visant à remplacer la suspension par une amende automatique, gérée par la seule Hadopi ?
Changer le papier peint dans une maison en flammes pourrait, pour certains, paraître comme une bonne idée... mais remplacer la coupure d'accès - totalement inapplicable - par une amende enfoncerait le gouvernement toujours plus loin sur le même chemin absurde et dangereux de ses prédécesseurs.
Pourquoi ?
Une telle hadopi-racket conserverait toutes ses failles et serait toujours basée sur les "preuves" sans valeur collectées par les mercenaires des industries du divertissement. Elle poursuivrait le même objectif nuisible de dissuader le partage de la culture, alors que l'autorité elle-même a démontré que ceux qui partagent sont ceux qui dépensent le plus [http://lqdn.fr/hadopi45].
En faisant cette erreur historique plutôt qu'en abrogeant purement et simplement la riposte graduée, le gouvernement français contribuerait en outre un petit peu plus à la fortune de Kim Dotcom et ses pairs.
Certes, mais les ayants droit prévoient aussi des mesures pour justement accentuer la responsabilité des hébergeurs…
Cette fuite en avant est inquiétante. La perspective d'imposer aux intermédiaires techniques des mesures de censure est consistante avec ce que l'industrie demande depuis des années, et ce qu'elle était sur le point d'obtenir grâce à l'ACTA. Nous ne pouvons tolérer une justice privatisée qui porterait atteinte à nos libertés dans un État de droit.
Cela reviendrait à un renoncement de la part des pouvoirs publics à leurs prérogatives les plus fondamentales (assurer la justice). Il est urgent de faire entendre notre voix pour imposer une alternative.
Le législateur doit rompre avec cette spirale répressive qui porte atteinte aux libertés et à un Internet libre. Le partage entre individus, sans but de profit doit être légalisé, car il est légitime et aide la culture et les artistes, surtout les moins connus. Cela laisserait les mains libres pour concentrer les moyens de la répression sur la contrefaçon à but commercial, et les politiques publiques sur la question du financement.de la création à l'ère numérique.