Hadopi : les indépendants veulent une amende automatique de 140 euros

Le retour de l'approche Radar

Au Midem, les différents acteurs de la filière se mobilisent pour réclamer la fin de la suspension de l’accès à Internet, peine complémentaire de la procédure Hadopi. En lieu et place, ils militent pour une peine automatique de 140 euros.

Contacté, Jérôme Roger, directeur général de l’UPFI, nous a confirmé militer pour une telle sanction. De fait, cette idée – qui n’est qu’une piste pour l’heure – est en phase avec les critiques de Thierry Chassagne, président de Warner Music France. Jeudi, dans les colonnes des Échos, celui-ci s’est plaint du dispositif actuel de la Hadopi : « Il n'y a pas eu beaucoup de répression. Cette partie de la mission est ratée ». Il voudrait pour sa part « un système d'amendes proportionnées ». Devant la mission Lescure, nombreux ayants droit ont souhaité par ailleurs la fin de la suspension...

La suspension est aujourd'hui impossible à mettre en oeuvre

Cette consécration de l’amende appelle plusieurs remarques.

 

Aujourd'hui, la suspension est la peine complémentaire à l’amende de 1500 euros de la riposte graduée. Problème, cette suspension est impossible. Comme souligné de nombreuses fois dans nos colonnes, et encore récemment, la suspension est une sanction mort-née.

 

Pourquoi ? Car si un juge devait un jour condamner un abonné à une telle mesure, son FAI serait face à une obligation impossible : la suspension ne vise que les « services de communication en ligne » (article L335-7-1 du code de la propriété intellectuelle) non tout internet comme on le présente trop rapidement. C’est une notion juridique beaucoup plus étroite. Les « services de communication en ligne », c’est par exemple l’accès au web, mais non l’accès aux correspondances privées. Ainsi, l’abonné sanctionné par une suspension d'un mois ne peut  plus accéder à Google, mais doit pouvoir utiliser Gmail. Il ne peut plus accéder à Yahoo actualités, mais reste libre de consulter Yahoo Mail. De même il reste libre d’accéder aux SMAd comme M6 Replay ou à la télévision ou à la téléphonie. Bref, une horreur technologique qui fait que la peine complémentaire de suspension n’est qu’une coquille vide.

 

Et ceux qui veulent la briser au prétexte que cette peine est injuste sont au mieux ignorants au pire de mauvaise foi. A ce titre, la Hadopi n’a jamais voulu se mouiller quand nous l'avions interrogée sur cette sanction impossible. Elle avait botté en touche en renvoyant la réponse au juge : c’est « au juge qu’il appartient de prononcer la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne et d’en déterminer les contours au regard des circonstances du dossier. »

 

hadopi MIQ MFM walter

 

L’amende n’a pas été toujours bien aimée par la filière

Vouloir la fin de la suspension c'est vouloir la fin d'une sanction impossible. Mais si l’amende vient en force au MIDEM 2013, un retour aux prémices de l’histoire de la Hadoi montre que la filière n’a pas toujours été tendre avec cette solution.  De notre historique du dossier Hadopi, on reprendra  quelques exemples.

 

En 2008, par exemple, Pascal Nègre jugeait l’amende « pas juste ». « L’amende, c’est pas juste : parce qu’il y en a qui peuvent payer, il y en qui ne peuvent pas payer. Et donc globalement, l’amende favorise ceux qui ont les moyens de payer et ça c’est pas bien. » 

 

Le 11 mars 2009, Christine Albanel reprenait fidèlement cette bonne parole sur le plateau de TF1, considérant que « l’amende crée une inégalité, vous avez des gens pour qui l’amende serait une espèce d’autorisation de pirater, de piller, ça leur serait égal alors que pour des jeunes étudiants, on sait que ce n’est pas toujours simple : une amende, ça serait évidemment très lourd, tandis au fond qu’une suspension in fine c'est-à-dire un mail, deux mails, une lettre recommandée, et vraiment une suspension qui sera assez brève après cette longue phase, je crois que ce sera très pédagogique. »

 

 

Quand la Rue de Valois jugeait l'amende injuste

 

Plus tôt, en novembre 2007, le rapport de la mission Olivennes, socle de la future Hadopi, prévoyait lui aussi de mettre en place « soit une politique ciblée de poursuites, soit un mécanisme d'avertissement et de sanction allant jusqu'à la suspension et la résiliation du contrat d'abonnement ».  Même son de cloche en janvier 2005 du côté de la filière audiovisuelle. L’ARP, l’ALPA, la SACD, ou le SEV n’avaient d’yeux que pour la suspension comme le montre ce communiqué.  Et 6 mois avant, en juillet 2004, la filière musicale tenait un discours identique : la suspension plutôt que l’amende.

L'approche Radar

Sur les modalités, les idées étaient à l'époque balbutiantes. On retiendra qu’à l’instar du rapport Kahn-Brugidou de mars 2005 (PDF), la filière musicale se mobilisait pour une approche dite Radar. C’est ce que laissait aussi entrevoir Pascal Nègre en novembre 2007 dans nos colonnes : pourquoi pas des sanctions automatiques contre les auteurs des infractions en ligne à l’instar des radars au bord des routes ?

 

Fin 2006, la SPPF vantait également les mérites de cette approche préférant y ajouter une amende en bout de course. Jerôme Roger, alors directeur général de ce syndicat des producteurs indépendants nous l’affirmait sans nuance toujours sur PC INpact : « nous souhaitons que la conséquence de ce système soit de pouvoir généraliser les amendes contraventionnelles avec traitement automatique, objectif non atteint par quelques procédures judiciaires, d’une manière pragmatique, même si nous ne sommes pas opposés aux procédures individuelles ». L’intéressé poursuivait : « Je ne suis pas certain qu’il revienne aux titulaires de droit de poursuivre directement les internautes : c’est une mission dévolue à un service spécialisé de l’État qui aurait pour charge comme pour le Code de la route, de délivrer des amendes aux internautes via une réponse graduée »

 

Les différents propos entendus au Midem 2013 consacrent donc un retour en force de cette approche radar : une procédure Hadopi sans suspension, une riposte graduée avec à la clef une amende. Ce changement, qui doit encore être consacré par la loi, n’est pas neutre. Selon ses modalités pratiques, la mesure aura des conséquences mécaniques très fortes qui dépassent largement le pinaillage juridique.

 

Pourquoi ?

La fin de la suspension, la fin du juge

Avec le projet de loi Hadopi 1, c’est la Hadopi qui devait infliger la sanction de suspension. Le Conseil constitutionnel a finalement retoqué cette mesure car Internet est une composante fondamentale de la liberté d’information et de communication. Suspendre un foyer d’internet, c’est porter atteinte à ces libertés. Or seule l’autorité judiciaire est en capacité de restreindre ces valeurs constitutionnellement protégées. Voilà pourquoi avec Hadopi 2, c’est le juge et non la Hadopi qui a été chargée d’infliger cette possible sanction.

 

Conséquence ? Si un projet de loi Hadopi 3 vient à faire sauter la suspension, l’intervention du juge ne sera plus nécessaire. Hadopi sera donc en capacité d’infliger seule des sanctions, de manière plus ou moins automatique grâce à son système d’information dernier cri.

 

En octobre 2012, Mireille Imbert Quaretta (MIQ), présidente de la Commission de protection des droits, nous avait d'ailleurs esquissé sa préférence pour une telle orientation. Aujourd’hui, quand un tribunal récupère un dossier venant de la Hadopi, « les magistrats reçoivent un dossier de 5 cm d’épaisseur ! ». À ce jour, trois jugements ont été rendus : amende de 150 euros (Tribunal de police de Belfort). Un jugement de relaxe (Tribunal de Police de Lille) et un jugement de dispense de peine. Piteux résultats quand on sait qu'autour de 10 millions d'euros sont engloutis chaque année par le budget de la Hadopi...  En marge de cette conférence de presse, MIQ nous confiait donc les charmes d'une Hadopi (ou autorité équivalente) armée pour infliger des amendes administratives. « C’est moins répressif ! », puisqu’il n’y a plus d’inscription au casier judiciaire pendant un an. « C’est plus souple, moins compliqué ». En effet, fini la procédure devant les tribunaux, et bonjour le gain d’automaticité face à des infractions de masse ! La procédure serait donc rapide, beaucoup plus mécanique et plus discrète, et la Hadopi serait maitresse de sa politique pénale en liaison étroite avec les ayants droit, placés en amont.

Le feu vert du Conseil constitutionnel

Dans un échange de mails, Jérôme Roger vient de nous indiquer qu'il voulait lui aussi laisser la Hadopi gérer ces sanctions.

 

Légal pas légal ? De fait, il suffit de relire la décision Hadopi 1 pour voir que le juge constitutionnel avait déjà ouvert cette brèche : « (...) aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis »...

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