Sur les 25 000 adresses IP que peut transmettre chaque jour l’ALPA à la Hadopi, l'une d'entre elles est extraite afin d'être éventuellement transmise au procureur de la République : celle où a été constaté la plus grande mise à disposition de films. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à l’internaute amiénois condamné la semaine dernière pour 18 films partagés en peer-to-peer.
Jeudi dernier, un internaute de 31 ans a été condamné par le tribunal correctionnel d’Amiens à 90 jours-amende de 5 euros pour avoir mis à disposition 18 films en peer-to-peer, soit un total de 450 euros. Les juges l’ont également sommé de verser 2 200 euros de dommages et intérêts aux ayants droits du cinéma qui l’attaquaient. Seulement, cet amiénois n’a pas été puni dans le cadre du mécanisme de riposte graduée, mais pour délit de contrefaçon. Comme nous le rappelions hier (notre actualité), l’acte de contrefaçon - puni d’une peine maximale de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende - ne se substitue en rien à la contravention de négligence caractérisée (passible quant à elle d’une peine de 1 500 euros d’amende et d’un mois de suspension de l’accès à Internet). Le dispositif mis en place par la Hadopi vise en effet le propriétaire d’une ligne Internet, responsable des moyens mis en place pour que sa connexion ne serve pas à télécharger illégalement des fichiers protégés en P2P, et non pas l’internaute (même s’il peut parfois s’agir de la même personne).
Une adresse IP extraite chaque jour par l’ALPA
Si l’engagement de ces poursuites sans avertissement préalable de la Hadopi a visiblement surpris le coupable, elle n’en demeure pas moins routinière selon Frédéric Delacroix, délégué général de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA). L’intéressé nous a en effet rappelé que son organisation bénéficiait d’une autorisation de la CNIL, en vertu de laquelle l’ALPA peut utiliser sa plateforme alimentant l’Hadopi en procès verbaux, « avec la possibilité d’extraire sur la collecte que nous transmettons une IP par jour. Cette IP correspond à celle qui aura été observée comme mettant le plus d’œuvres à disposition parmi les œuvres que nous mettons nous même en attention sur la plateforme ». Nous avions d'ailleurs décrit tout ce mécanisme dans notre actualité à partir de la délibération CNIL de l' ALPA.
Autrement dit, chaque jour, « la personne qui met le plus d’œuvres à disposition, tous réseaux confondus », peut voir son adresse IP sortie du lot par l’ALPA, qui choisit ensuite de la transmettre (ou non) au procureur de la République. C’est ce dernier qui décide alors de l’opportunité des poursuites.
Extrait de la délibération CNIL de l'ALPA
Mais quel est le but du procédé, qui choisi d’ignorer volontairement le mécanisme de riposte graduée ? « Nous n’avons pas toutes les œuvres en attention, puisqu’on a un système de rotation des œuvres qui privilégie les œuvres qui font le plus l’objet de téléchargements, répond Fréféric Delacroix. Et lorsque l’on tombe sur une adresse IP qui partage une quantité importante, le but pour nous est d’interroger le Parquet afin d'aller voir ce qu’il y a derrière, s’il y a un réseau organisé, si telle personne participe à une activité illicite à plus grande échelle, etc ». Le délégué général de l’ALPA le reconnaît ensuite : le but est également « de faire comprendre aux gens que partager massivement, c’est aussi une infraction pénale ».
Une décision « proportionnée »
« Là, en l’occurrence, la décision d’Amiens est tout à fait proportionnée puisqu’on était face à un téléchargeur tout à fait "massif" » poursuit Frédéric Delacroix. Même son de cloche du côté du Syndicat de l'édition vidéo numérique, l’une des parties civiles au procès en question : selon Jean-Yves Myrki, délégué général du SEVN, cette décision s’avère « assez proportionnelle par rapport à ce qui est constaté » - à savoir, la mise à disposition de 18 films en une journée. « Vous savez, on est tout simplement dans le cadre d’un texte que tout le monde a oublié mais qui existe encore, qui est le texte de base contre la contrefaçon », prévient ensuite l’intéressé, avant d’ajouter : « Le fait qu’il y a Hadopi n’a absolument pas abrogé ces textes ». « On sait très bien qu’on est en face d’un phénomène de masse, qui est très difficile à appréhender, néanmoins il y a des actions qui sont lancées et qui continueront à l’être. On ne peut pas rester comme ça », averti-t-il enfin.
Seule une IP sur trois finalement transmise au Parquet ?
Selon Frédéric Delacroix, l’ALPA a constitué à ce jour « environ 300 dossiers » depuis la mise en œuvre de cette extraction quotidienne d’adresses IP, « courant 2011 ». Plusieurs condamnations auraient d’ailleurs déjà été prononcées d’après lui, dont celle de la semaine dernière.
Notons cependant que si ce chiffre était confirmé, il signifierait que seuls 100 dossiers ont été montés par l’ALPA au cours des onze derniers mois. En effet, il y un peu moins d’un an, en février 2012, il y avait « environ 200 transmissions au procureur depuis le début des sessions de collecte » selon le représentant de l’organisation. Autrement dit, environ deux IP sur trois seraient en fait passées à la trappe.