Un article de la loi Copie privée censuré par le Conseil constitutionnel

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Patatras ! Le Conseil constitutionnel vient de censurer partiellement un des articles de la loi sur la copie privée. Un article qui était du tout cuit pour les ayants droit puisqu’il éteignait le feu de plusieurs procédures lancées contre des barèmes illicites. Le juge de la loi a estimé cette validation rétroactive inconstitutionnelle. Explication.

conseil constitutionnel

 

La QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) qui vient d’être aujourd’hui tranchée avait été déposée par SFR. Motolora, Nokia, Sony s’étaient joints au dossier en dernière ligne droite (alors qu'ils ont une QPC sur le feu). Cette affaire a été vue et revue dans nos colonnes. On en rappellera les grandes lignes.

 

En 2009, Copie France, collecteur de la copie privée, avait envoyé plusieurs factures à SFR pour le disque dur de ses box. Les factures avaient cependant été calculées avec les barèmes votés le 17 décembre 2008 en Commission copie privée. Fait notable, ces barèmes avaient eux-mêmes été votés après une annulation devant le Conseil d’État : les douze ayants droit siégeant en Commission copie privée avaient gonflé les études d’usage qui leur servent à déterminer la copie privée. Comment ? En tenant compte des sources illicites. C’était alors une coquette forme de licence globale contrariée : les consommateurs n’avaient pas le droit de « pirater » mais les ayants droit touchaient des sommes sur ces duplications. Passons.

 

Le 17 décembre 2008, la commission copie privée vote de nouveaux barèmes. Mais ils seront eux-mêmes annulés le 17 juin 2011 au Conseil d'Etat ! Pourquoi ? les ayants droit ont oublié la directive de 2001 sur le droit d’auteur en expurgeant les supports professionnels de la RCP. Aimable, les juges repoussent la décision d’annulation de 6 mois en réservant les actions en cours.

 

Fin 2011, problème. Les ayants droit n'ont pas voté les nouveaux barèmes attendus. Le législateur vote donc en urgence la loi du 20 décembre 2011 dont les ayants droit ont eux-mêmes rédigé les grandes lignes : la loi prolonge d’un an les effets de l’annulation du Conseil d’État. Et dans un article (6-II), le texte maintient artificiellement en vie les barèmes du 17 décembre 2008. Ultime rustine, ultime cadeau : les RCP perçues sur la base de ces barèmes chancelants, mais qui ont été depuis contestées devant les tribunaux, restent valides malgré l’annulation de juin 2011 !

Sans séparation de pouvoir, point de Constitution

Le Conseil constitutionnel a estimé que Noël était passé et qu’il était temps d’arrêter le déluge de cadeaux.

 

Les juges rappellent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Ainsi, « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé » - et donc revenir sur un jugement, ce n’est que sous de strictes conditions.

 

Ces lois de validation, leur nom dans le jargon, doivent en effet et notamment « poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions »

 

Qu’en est-il ici ? Le Conseil constitutionnel constate qu’avec cet article 6-II, « le législateur a limité la portée, pour les instances en cours, de l'annulation prononcée par le Conseil d'État, afin d'éviter que cette annulation prive les titulaires de droits d'auteur et de droits voisins de la compensation attribuée au titre de supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée. »  En clair : cet article évite aux ayants droit d’avoir à rembourser la copie privée menacée par d’anciennes actions en cours. Il sacralise des montants pourtant fondés sur des barèmes annulés.

 

Pour le Conseil constitutionnel, le législateur pouvait en théorie revenir sur ce passé, mais pas n’importe comment : il lui faut témoigner de motifs valables et expliquer en quoi la rustine anti-remboursement répondait à des motifs d’intérêt général.Sinon, c'est inconstitutionnel. Comme ici...

Une loi de validation expliquées par des motifs insuffisants

Durant les débats parlementaires, la députée et rapporteur Marie-Hélène Thoraval avait justifier cette validation ainsi : « ces remboursements pourraient s’élever à 58 millions d’euros, selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, soit 20 % des collectes réalisées entre le 1er janvier 2009 et l’été 2011 ». Apprécions le « pourraient s’élever » qui fleure bon le doigt mouillé…

 

Le juge répond poliment à l'argumentaire : ce motif porte sur « des sommes dont l'importance du montant n'est pas établie ». Ces motifs sont donc insuffisants « pour justifier une telle atteinte aux droits des personnes qui avaient engagé une procédure contentieuse avant cette date ». Dit autrement, ce n’est pas parce que quelques millions sont menacés dans les poches des ayants droit qu’on va interdire à des justiciables d’agir en justice. Fait notable, le CC réserve une autre cartouche puisqu’il ne prend même pas la peine d’examiner l’autre grief qui avait été soulevé par Sony, Motorola et Nokia...

Les failles européennes d'un système français

Interrogé, l’avocat Olivier de Chazeaux (qui représente le Simavelec) temporise : « ce n’est qu’un article qui est constitutionnel, le reste demeure, mais le juge permet aux entreprises qui avaient des recours judiciaires pendants de pouvoir les poursuivre leurs recours et faire-valoir que les barèmes n’étaient pas corrects. »

 

Me Cyril Chabert, qui défend Rue du Commerce ou Imation (TDK), constate pour sa part que « cette décision est intéressante, mais elle demeure fixée dans le cadre franco-français de la constitutionnalité d’une loi de validation » Surtout, « l’autre dimension qui reste entière est celle de la conformité de la loi nationale avec le cadre européen. » Cette dimension européenne – la conformité de notre copie privée avec le droit européen - reste à venir devant les juridictions judiciaires sous l’autorité de la Cour européenne de justice. Un aiguillon justement manié avec une pleine efficacité dans les affaires Rue du Commerce et Imation.

 

Ce QPC va en tout cas permettre d’éviter aux ayants droit de claironner partout comme ils l’ont fait qu’ils ont eu l’onction constitutionnelle avec une loi votée à la quasi-unanimité… Me Olivier de Chazeaux se félicite d'ailleurs de cette décision : « heureusement que dans le Far West que veut imposer Aurélie Filippetti, il y a encore des shérifs audacieux. » Référence est faite à l’analyse de la ministre de la Culture sur la démission des industriels du collège de la Commission copie privée.

 

Vendredi, a-t-on appris aujourd’hui à Bercy, le ministère de la Culture va d’ailleurs organiser une réunion avec ces démissionnaires...

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