Cette semaine, le dépôt de bilan de Virgin Megastore en France a fait couler beaucoup d'encre. C'est sans compter la petite mort de l'enseigne Game, la liquidation de Surcouf, l'abandon de la Fnac par PPR, les 125 boutiques fermées de Bang et Olufsen, la quasi-disparition des disquaires, les difficultés des librairies et des boutiques de jeux vidéo, etc. En somme, les magasins liés aux biens culturels et aux produits de haute technologie souffrent... une fatalité ?
Pour expliquer les difficultés des enseignes physiques, Internet est le parfait bouc émissaire. Le téléchargement illégal et Amazon ont d'ailleurs été cités ces derniers jours par d'éminents intellectuels afin d'expliquer la mort de Virgin Megastore. Bien entendu, la vérité est plus complexe et de nombreux facteurs expliquent les difficultés des boutiques. Pour celles spécialisées dans les biens culturels, le téléchargement (légal comme illégal) a sa part de responsabilité. Et à ce jeu-là, les grandes enseignes basées en France n'ont pas forcément pris le bon train en marche, devancées par d'autres géants du web, notamment américains. Ces enseignes ont ainsi compris ce qu'elles ont fait subir aux petits magasins indépendants.
La disparition des Virgin Megastore devrait d'ailleurs avoir des conséquences positives sur ses autres concurrents physiques, qu'ils soient grands (la Fnac) ou indépendants. À Bordeaux, par exemple, Christel Chapin, coordinatrice à la Feppia (Fédération des Éditeurs et Producteurs Phonographiques Indépendants d’Aquitaine), estime que « la fermeture de Virgin ne va pas empirer la situation, ceux qui sont intéressés par les disques vont peut-être même retrouver le chemin des petits disquaires ». 20 Minutes nous apprend d'ailleurs que si aucun disquaire n'a ouvert à Bordeaux depuis au moins cinq ans, preuve de la difficulté du secteur, deux nouvelles librairies ont toutefois germé le mois dernier.
Le manque de marges de manœuvre des petites boutiques
Le point commun que l'on retrouve pour la plupart des boutiques est toutefois le suivant : elles subissent la situation. Et les boutiques boivent le calice jusqu'à la lie tout simplement parce que la plupart n'ont pas le choix. Aujourd'hui, une boutique de jeux vidéo peut bien tenter de vendre plus d'accessoires ou de produits annexes, elle reste dépendante des sorties de consoles et de jeux, des marges consenties par les éditeurs et surtout de leur politique en matière de jeux d'occasion, secteur majeur pour leur survie. Les enseignes de jeux vidéo pourront bien tenter d'évoluer, cela ne changera rien : si tout le monde passe par Steam et si les armes anti-revente d'occasion se multiplient, elles n'auront que leurs yeux pour pleurer.
Cette logique est finalement similaire pour les disquaires ou encore les libraires. Leur futur est bien plus encore entre les mains des consommateurs et surtout des politiques des éditeurs qu'entre leurs propres mains. Ils ne décident pas réellement de leur sort, leurs marges de manœuvre en matière stratégique étant minces, pour ne pas dire nulles. De ce point de vue, la fatalité semble de mise.
La Fnac a les moyens de résister
Pour les grandes enseignes, la logique est peu différente, justement du fait de leurs marges de manœuvre plus larges. La Fnac, si elle souffre, n'en est pas morte pour autant. Proposant une multitude de biens et de produits, des CD/DVD aux BD/mangas en passant par des ordinateurs, des tablettes, des casques, des consoles, des jeux vidéo, des liseuses, des baladeurs, des téléphones, des appareils photo, des billets de spectacles, etc. la Fnac a le pouvoir de réduire l'espace de certains secteurs (la musique par exemple) pour en avantager d'autres plus porteurs, tels les tablettes tactiles, les liseuses, la téléphonie et les casques. Un luxe stratégique que ne peut évidemment s'offrir une petite boutique spécialisée. Virgin Megastore, historiquement centré sur la musique, marché peu porteur s'il en est, aurait pu en faire de même, mais il semble que la direction ne l'ait pas entendue de cette oreille.
Autre force de la Fnac, son site internet. S'il est moins visité que celui d'Amazon ou d'Apple, d'après la dernière étude de Médiamétrie portant sur le mois de novembre 2012, Fnac.com a tout de même attiré près de 11 millions de visiteurs uniques. Un nombre important probablement lié à l'image de la marque, la Fnac continuant à occuper un certain espace médiatique ces dernières années, contrairement à Virgin Megastore. La Fnac a de plus réalisé des choix importants ces derniers temps, que ce soit via l'abandon de la Fnacbook (un fiasco) au profit des liseuses de Kobo, ou encore l'arrêt de Fnac Music. Des actions stratégiques parfois tardives, mais indispensables au regard de la situation du marché, la Fnac ne gagnant pas un kopeck, voire perdant de l'argent.
Toujours en matière d'adaptation, la Fnac et les autres grandes enseignes ont aussi le pouvoir de fermer les boutiques mal placées et peu bénéficiaires, tout en ouvrant d'autres enseignes à des endroits plus stratégiques. Ces derniers mois, la Fnac a ainsi cessé ses activités à Aubervilliers (Millénaire) du fait d'une fréquentation décevante. A contrario, l'enseigne a multiplié les ouvertures dans les gares et aéroports. Celui de Marseille-Provence sera d'ailleurs le prochain à en accueillir une. Là encore, pouvoir ouvrir et fermer si aisément est un luxe impossible à atteindre pour les plus petits indépendants.
Les avantages du web trop importants pour les indépendants
Si dans l'habillement, par exemple, les petites boutiques pourront probablement résister au Web, il est certain que dans les secteurs liés à la culture et à la high-tech, seuls les gros pourront tirer leur épingle du jeu, tant les avantages de la Toile sont immenses. Même en occultant le téléchargement illégal, le Web a l'avantage de l'accès 24h/24, du choix pléthorique et de la comparaison des prix facile. Et avoir le produit entre les mains avant de l'acheter est bien moins primordial que pour un vêtement ou d'autres types de biens. Seul avantage de poids pour les boutiques physiques, outre le conseil dans certains cas, le service après-vente. Les boutiques informatiques ont d'ailleurs très rapidement compris que leur survie ne passera pas par la vente de matériels (simples produits d'appel) mais plutôt par les services (réparations, formations, etc.), qui ne peuvent être concurrencés par Internet ni être corrélés aux aléas du secteur. Mais les librairies, les disquaires et les boutiques de jeux vidéo ne peuvent imiter un tel modèle.
Pour les petites boutiques, l'avenir est donc très sombre. Quant aux grandes enseignes, leurs capacités de réaction et d'adaptation seront primordiales. Surcouf, Game et Virgin Megastore ont échoué sur ce plan, parfois du fait d'une direction peu avisée. Cela ne signifie toutefois pas que les autres enseignes (Fnac, etc.) suivront le même chemin.