Quelle est l’efficacité des outils juridiques permettant de lutter contre le partage illégal de fichiers stockés chez des hébergeurs comme Rapidshare ou anciennement MegaUpload ? C’est la question que s'est posée une équipe de chercheurs dans une étude qui n'a pas échappé à la Hadopi. Voici leur réponse : des effets sont certes « perceptibles », mais ils restent pour l’instant « limités ». Cet argument scientifique ne devrait d'ailleurs pas tomber dans l'oreille d'un sourd du côté des ayants droit...
Dans une étude - pointée par TorrentFreak, quatre chercheurs américains et deux chercheurs autrichiens se sont intéressés aux effets des mesures anti-piratage sur les hébergeurs de fichiers. D’après eux, il existe aujourd’hui plus de 300 sites offrant des services tels que ceux que proposait il y a encore un an MegaUpload, ainsi que des « dizaines de milliers de sites » indexant des liens vers ces hébergeurs.
En conséquence, « des millions de fichiers piratés sont uploadés chaque jour » selon eux : séries, films, musique... Autant d’œuvres partagées illégalement, mais qui peuvent être retirées sur simple notification par certains hébergeurs, en fonction de la législation qu’ils doivent respecter. En Europe comme aux États-Unis, le statut des hébergeurs engage par exemple la responsabilité de ces intermédiaires à partir du moment où ils ne prennent pas les mesures nécessaires après que l’illicéité d’un contenu leur a été signalée par son ayant droit. Ceci conduit d’ailleurs parfois à des situations pour le moins cocasses (voir notre article : Un clip officiel de Jean-Louis Aubert bloqué par sa propre maison de disques).
Des demandes de retrait au milieu d'un océan de liens
Mesurant le temps durant lesquels les liens des hébergeurs restaient actifs, les auteurs de l’étude ont relevé deux tendances. D’un, ils ont observé que « pour la plupart des hébergeurs, plus de la moitié des liens subsistent pendant au moins 30 jours, même s’ils sont présumés illicites ». De deux, « la courbe [des disparitions, ndlr] est plutôt pentue dans les trois à cinq premiers jours, et à tendance à s’aplatir par la suite ». Autrement dit, pas de retraits massifs. Même s’ils ne le démontrent pas, les chercheurs déduisent que la plupart de ces retraits est le fait de notifications émanant d’ayants droit, par exemple sous le couvert du DMCA américain. Leur conclusion : les effets de cet outil sont « perceptibles et peuvent causer une nuisance » à certains internautes. Ils notent en revanche que comparé à l’étendue des infractions au copyright, ces effets restent « limités ».
Les chercheurs ont également remarqué que lorsque certains hébergeurs comme RapidShare ou Hotfile avaient mis un terme à leurs programmes de récompense - par lequel ils rémunèrent les uploadeurs dont les fichiers se téléchargent beaucoup - la mise en ligne de contenus avait diminué. « Ceci suggère qu’une partie non négligeable du trafic des hébergeurs de fichiers puisse être liée à des activités de piratage, et que les changements de politique aient conduit à une réduction locale des uploads illicites ». Mais si ce genre de décision est de nature à éloigner les pirates selon les auteurs de cette étude, cela ne porte pas pour autant un coup d’arrêt aux pratiques illicites. Ils expliquent en effet que les uploadeurs semblent se rabattre sur d’autres hébergeurs, et que des niveaux moins élevés de piratage subsistent sur les hébergeurs ayant cessé de récompenser les uploadeurs.
La souris prend de l'avance sur le chat, mais n'a pas gagné la course...
S’étant tout particulièrement intéressés à la fermeture de MegaUpload, les auteurs de l’étude retiennent que la mesure n’a pas forcément eu l’effet escompté : « de nouveaux hébergeurs de fichiers ont investi l’écosystème, en dépit des risques désormais apparents ». L’opération très médiatisée à l'encontre de la plateforme de Kim Dotcom n’aurait ainsi pas servi d'exemple, et provoqué malgré tout des émules. Le fondateur de MegaUpload a d'ailleurs promis son grand retour...
En conclusion, il s’avère que ce « jeu de chat et de la souris entre les uploadeurs et les ayants droit » tourne plutôt à la faveur des premiers selon les chercheurs, en ce que ceux-ci « fournissent bien plus de contenus que ce que les ayants droit en retirent ». Au vu de ce « déséquilibre », les auteurs de cette étude relèvent que les outils juridiques visant à lutter contre le piratage ne sont peut-être pas si efficaces qu’ils sont censés l’être.
Si certains verront dans cette étude une confirmation des thèses selon lesquelles il est impossible d’arrêter le partage de fichiers sur Internet, d’autres pourront en revanche y voir un argument en faveur d’une modification de la législation anti-piratage. La RIAA, le bras armé de l’industrie musicale américaine, insistait ainsi en novembre dernier sur le fait que les demandes de retrait restaient un outil relativement limité à ses yeux, car même une fois qu'un fichier signalé est supprimé par un hébergeur, d’autres réussissent à réapparaitre, sur le même site ou ailleurs. Se plaignant alors d’un « jeu interminable de “chat et de la souris“ », l’organisation militait pour un filtrage proactif des contenus par les hébergeurs de fichiers, mais aussi par les administrateurs de sites BitTorrent. Et ce quand bien même un tel changement aurait d’importantes conséquences juridiques.