Alors que Twitter a refusé hier devant le TGI de Paris de communiquer l’adresse IP des auteurs de messages reprenant les mots clés #UnBonJuif et #UnJuifMort sans l'aval de la justice américaine, la ministre déléguée à l’Économie numérique, Fleur Pellerin, vient de brandir à nouveau l'idée d'une négociation entre les autorités et l'entreprise américaine, afin que le réseau social modère de lui même certains tweets. « Je pense qu’il faut juste définir avec eux le degré d’inacceptabilité » des messages litigieux, a précisé la locataire de Bercy.
Interrogée hier par LCI sur l’échec essuyé par plusieurs associations dont l’UEJF, qui réclamaient à Twitter dans le cadre d’une procédure d’urgence l’identité des auteurs de tweets considérés comme racistes et antisémites, Fleur Pellerin a expliqué que « nous avons en France une conception de la liberté d’expression qui n’autorise pas qu’on poste des messages qui contiennent des incitations à la haine raciale ou des choses qui sont réprimées par le Code pénal ». Selon elle, « la difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que nous avons à faire à une entreprise qui a son siège aux États-Unis, où la conception de la liberté d’expression est peut-être plus extensive ».
D’après la locataire de Bercy, il faut « trouver un terrain d’entente ». Mais quel pourrait être ce fameux compromis ? Fleur Pellerin estime qu’il est « techniquement possible » pour Twitter de repérer et de censurer les messages considérés comme contestables. « D’ailleurs, la société avait déjà, lors de la précédente plainte qui avait été présentée par l’UEJF, retiré un certain nombre de hashtags - vous savez, ces mots-clés - qui étaient à caractère antisémite, il y a un ou deux mois. Donc ils ont des moyens de retirer des tweets et également d’identifier des personnes qui se cachent derrière un pseudonyme ». Cependant, la ministre a bien insisté sur le fait que les autorités privilégiaient actuellement avec Twitter le terrain de la négociation, au moins « tant que ces questions juridiques de compétence des tribunaux ne sont pas levées ».
Twitter aurait tout intérêt à trouver un terrain d'entente
Le 28 décembre dernier, la ministre des Droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem, promettait d’ailleurs dans une tribune l’ouverture d’une concertation entre Twitter et plusieurs associations pour le 7 janvier. Surtout, la benjamine du gouvernement lançait une missive contre le site de micro-blogging : « L’entreprise Twitter doit trouver des solutions pour que des messages envoyés depuis notre territoire, dans notre langue et à destination de nos concitoyens ne portent pas une atteinte manifeste aux principes que nous avons fixés ». Ce faisant, la ministre esquissait la mise en place d’un système de modération assuré par la société américaine elle-même, afin de faire un ménage visant à ce que certains messages, qui manquent « manifestement » à la législation française, disparaissent.
Fleur Pellerin lui a emboîté le pas hier : « Une des mesures envisagée par le gouvernement est de négocier justement avec Twitter le fait de pouvoir retirer les contenus, les hashtags qui sont litigieux, et également d’obtenir de leur part qu’ils donnent l’identité des personnes qui postent de manière répétitive ou au-delà d’une certaine mesure, des posts de cette nature ». La ministre a poursuivi : « Je pense qu’il faut juste définir avec eux le degré d’inacceptabilité de ces posts ».
Les autorités indiquent ainsi qu'ils n'ont pas cédé face aux critiques faites en France comme à l’étranger. On citera par exemple l’analyse de Benjamin Bayart (FDN) qui dans une tribune publiée la semaine dernière dans nos colonnes a recommandé à Najat Vallaud-Belkacem de faire d’abord et avant tout appliquer la loi plutôt que de laisser entrevoir une usine à modération. « Demandez aux procureurs d'agir systématiquement contre les propos homophobes, racistes ou antisémites. Twitter se fera un devoir de répondre à toutes les demandes d'identification des auteurs, j'en suis certain. Mais ne rendez pas l'outil responsable de l'usage, c'est la première étape de la sortie de l'État de droit ».
La société américaine réceptive aux sollicitations françaises selon Pellerin
Notons par ailleurs que si plusieurs associations (SOS Homophobie, l’Inter-LGBT, le RAVAD notamment) ont rapidement répondu présent à l’appel de la ministre des Droits des Femmes, l’accueil de Twitter fut semble-t-il différent. Comme nous l’expliquions lundi, la concertation avec les associations a été repoussée à une date inconnue, tandis que le cabinet de la ministre doit en fin de compte simplement s’entretenir aujourd’hui avec le vice-président de Twitter, Colin Crowell.
Mais alors que le dossier semblait jusqu’ici géré par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre déléguée à l’Économie numérique vient de montrer son implication. Reconnaissant qu’il y avait « peut-être une petite question de décalage horaire qui fait que c’est pas forcément évident de s’adresser aux bonnes personnes au bon moment », les autorités sont selon elle « en contact avec [Twitter] par mail. Nous les connaissons depuis longtemps, nous avons parlé aux différentes personnes de la direction des affaires publiques ou de la stratégie monde à de nombreuses reprises, et ce sont des personnes qui sont tout à fait coopératives et avec lesquelles il est possible de discuter sans en passer par les tribunaux uniquement ».
Fleur Pellerin l’assure : « Ils sont réceptifs ! Twitter vient d’ouvrir une antenne commerciale en France (une société Twitter France). Ils souhaitent vraisemblablement s’installer en Europe, donc je pense qu’ils ont tout intérêt à s’adapter aux cultures juridiques, philosophiques et éthiques des pays dans lesquels ils souhaitent se développer ».