En décembre dernier, les Jeunes Socialistes ont publié leur « Dossier du Changement », intitulé « Démocratie, liberté, égalité : le socialisme pour le numérique » (document PDF). Le texte a été adopté en Conseil National le 11 novembre dernier puis remis à tous les ministres du gouvernement. « Les 89 propositions de ce texte, élaborées, discutées et amendées partout en France par les militants, se veulent une contribution à la réflexion et aux législations futures sur le numérique » expliquent les auteurs.
Le changement c’est maintenant ? Les Jeunes Socialistes ont élaboré près de 90 propositions touchant de près ou de loin la question du numérique sous l’œil du consommateur, du citoyen, du travailleur, du développeur ou du créateur.
Ces jeunes socialistes « ont élaboré ces propositions au fil de rencontres organisées avec la Quadrature du Net, Philippe Aigrain, Jean-Marc Manach, Ludovic Penet, Le Parti Pirate France, et autres militants actifs du monde numérique » explique le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS). L’enjeu ? « Apporter des réponses allant vers la concrétisation des potentialités démocratiques offertes par internet, ouvrant de nouveaux droits face aux conséquences de l’ère du numérique sur la protection des données personnelles, le temps et les conditions de travail ainsi que les libertés individuelles, et assurant l’égalité d’accès au net ».
Le document, disponible sur ce lien, constitue un véritable inventaire à la Prévert.
Neutralité, RFID, CADA, DPI...
Ainsi, en soulevant le capot, le MJS sollicite d’ « adopter une loi garantissant la neutralité du net comme étant le fonctionnement normal du réseau dans ses trois couches (infrastructure, opérateurs et services), sans discrimination sur la provenance, la destination, le service ou le contenu des informations qui y transitent. »
Côté citoyens, ils réclament aussi des moyens renforcés pour la CNIL. D’autres propositions tablent sur la mise sous contrôle des puces RFID par exemple en rendant « l’étiquetage de leur présence obligatoire sur tout produit de consommation, notamment les vêtements et imposer la désactivation obligatoire de celles-ci après achat, par le magasin ». Une proposition demande aussi que soit empêché « le profilage des utilisateurs de télévision connectée », garantissant le droit à chaque utilisateur du choix du logiciel de télévision connecté installé. Dans le même sens, ils veulent que soit garanti « un droit de regard citoyen sur les fichiers policiers dans lesquels ils figurent et de faciliter leur retrait » ou « le retrait des traces ADN des citoyens prélevés lors d’une procédure d’enquête, dès le prononcé d’un non-lieu ou d’un acquittement », ou encore que les fichiers de police jamais déclarés à la CNIL soient supprimés.
Le MJS veut aussi garantir l’open data et permettre à la CADA, qui serait dotée de nouveaux moyens, de s’autosaisir pour contraindre les administrations et les autorités indépendantes à la transparence. Le document veut aussi « interdire à terme la vidéosurveillance, notamment les caméras à reconnaissance faciale dans l’espace public et demander un moratoire et l’ouverture d’une enquête parlementaire sur le sujet. »
Puisqu’on parle de surveillance, le MJS aimerait que « les systèmes Deep Packet Inspection (DPI), qui permettent d’analyser des paquets de données automatiques » soit ajoutés « à la liste des matériels de défense soumis par l’État français à validation du Premier Ministre, encadrant ainsi leur vente à l’étranger, notamment à certaines dictatures ». En France, ils souhaitent que le vote électronique soit interdit parce qu’il « ne permet pas à ce jour de garantir la sincérité du scrutin et de protéger le secret du vote. »
Salarié, consommateur, éducation
Chez les consommateurs, le MJS aimerait que soit garantie en France l’optionnalité lors de l’achat d’un ordinateur couplé avec des logiciels préinstallés.
Chez le salarié, d’autres mesures à noter : généraliser les chartes informatiques, soumises au contrôle de la CNIL, légiférer sur l’encadrement du travail collaboratif des médias numériques et leur rémunération ou encore « encadrer l’utilisation de tous moyens numériques hors des temps de travail et intégrer notamment le temps de consultation et de réponse à ses mails dans ce temps de travail ». Ils veulent aussi « garantir aux télétravailleurs une protection sociale équivalente aux travailleurs classiques, notamment s’agissant des questions liées aux accidents du travail. »
Et pour l’éducation ? Signalons dans la liste, celle visant à « instaurer des cours d’éducation au web sur les temps scolaires et réformer le B2i, afin d’aller vers une sensibilisation des potentialités positives d’internet et les risques-dépendance une diminution du lien social (etc.). »
Brevet, Hadopi, durée de protection, contribution créative
Du côté de la propriété intellectuelle et des brevets, le MJS réclame la non-brevetabilité des logiciels ou plus largement la « non-brevetabilité des créations immatérielles et découvertes sur le vivant, indépendamment de tout critère de technicité ou d’applicabilité industrielle. »
Sur la question d’Hadopi, pas de nuance. On retrouve la dynamique des propos du PS... du moins lors des débats parlementaires. En tête, c’est l’abrogation pure et simple du mécanisme de la riposte graduée avec, concomitamment la légalisation du partage non-marchand des oeuvres numériques entre individus (peer-to-peer ) « assurant qu’aucun tiers ne fasse de recettes supérieures aux frais d’hébergement du site (comme a pu le faire Megaupload, en vendant des offres premium pour faciliter l’accès aux oeuvres, et en vendant des espaces publicitaires, l’audience importante de la plateforme assurant à ses propriétaires des revenus importants) ». Les jeunes socialistes considèrent en effet que « le partage d’oeuvres culturelles doit se faire dans l’intérêt des citoyens, et non dans celui d’entreprises qui pourraient en tirer un bénéfice marchand. »
Ils veulent tout autant revoir la durée de protection des œuvres, 70 ans après la mort de l’auteur, pour la limiter à la date de son décès. Plus exactement serait imposé « un enregistrement des oeuvres par leur auteur pour les protéger par un copyright 2.0 pour une durée limitée à quelques années, reconductible jusqu’à la mort de l’auteur, sans quoi les oeuvres seraient placées par défaut sous le régime du Creative Commons, appartenant au domaine public, afin d’éviter le risque d’exploitations commerciales non désirées et la réappropriation par un éditeur d’une œuvre ». Dans le même temps, ils préconisent l’interdiction de la reprise d’un contrôle exclusif sur des oeuvres du domaine public. « L’appartenance au domaine public doit garantir la possibilité de modifier, copier, diffuser librement une oeuvre, sans restriction aucune. »
Les jeunes PS ne s’arrêtent pas là puisqu’ils souhaitent la mise en place d’une « contribution créative séparant les organismes de collecte et de redistribution ». La recette est déjà là : « L’organisme de distribution sera indépendant, calculera la répartition des redistributions en fonction de données de sites Internet d’accès à des oeuvres, des systèmes de partage comme les torrents ou les plateformes de partages, et de données remontées volontairement par des utilisateurs. L’organisme de collecte de la contribution sera en lien direct avec les FAI (fournisseurs d’accès à Internet). Seuls les foyers ayant un accès à Internet contribueront à hauteur de 5€ par mois et par foyer, ce qui correspond à 4% de la consommation culturelle moyenne des ménages. Une « ecotaxe numérique » sera prélevée en parallèle sur l’achat de biens numériques matériels : ordinateurs, supports de lecture des livres numériques, téléphones, etc. »
S’ajoutent dans cette longue liste un vrai droit à la copie privée, « sans restriction de lecture d’un support en fonction de la zone géographique, du matériel utilisé, du support et en supprimant le tatouage de chaque fichier, en supprimant les Digital Rights Management (DRM) » ainsi qu’une garantie à l’interopérabilité « pour assurer la capacité de chaque utilisateur à échanger des données librement, sans entraves matérielles ou logicielles, grâce à des standards communs ».
Droit à la connexion
Enfin, sans faire l’impasse sur la fiscalité du numérique, le document souhaite l’accès à la fibre optique sur tout le territoire par le biais d’un opérateur public financé par une taxe garantissant la péréquation des fonds de développement et d’entretien des réseaux numériques et que soit dans le droit à la connexion dans la loi. Pour lutter contre la fracture numérique, ils aimeraient la mise en place de forfaits de base pour l’accès à l’internet seul et un soutien public à l’acquisition de logiciels libres ou encore des prêts à taux zéro pour tous les jeunes en formation pour l’acquisition d’un ordinateur.
Bref, un puits de projets ou de réformes impossibles diront les uns, quand d’autres y verront une mine pour aiguiller les choix futurs. Dans tous les cas, bon nombre de ces propositions font office de piqure de rappel sur des problématiques en cours.