Il ya quelques jours, Canal + a été auditionné devant la mission confiée à Pierre Lescure, ancien numéro un de la chaîne. Frédéric Mion, secrétaire général, a profité de l’instant pour dévoiler les souhaits de cette société, propriété de Vivendi, sur la question du piratage et des moyens permettant de lutter contre ce phénomène.
Devant Pierre Lescure, le secrétaire général de Canal + s’est ainsi dit préoccupé par ce qu’il nomme « les nouvelles formes de piratage » (flux vidéo) . « Ce qui nous préoccupe le plus aujourd'hui et qui je crois préoccupe le plus l'ensemble de l'industrie, ce sont les modes de consommation en streaming des programmes ». Pour la chaîne, « un premier axe de lutte contre le piratage doit consister en une clarification du statut des sites 2.0 qui permettent aux internautes de télécharger des contenus pour la consommation de l'ensemble de la communauté des autres internautes. »
Canal + a spécialement dans le viseur les sites participatifs qui s’abritent selon elle trop souvent derrière le statut privilégié de l’hébergeur. Rappelons que celui-ci n’a pas l’obligation de traquer pro activement les contenus qui pourraient être illicites. En outre, ces intermédiaires ne sont responsables que si, alertés, ils ne font rien. Pour la chaîne, il est cependant désormais temps de modifier profondément ce régime. « Le statut d'hébergeur ou la qualification d'hébergeur est contestable lorsqu'un site par exemple permet à ses utilisateurs de télécharger des contenus d'une durée illimitée, ce que fait par exemple YouTube aujourd'hui » (par illimité, il faut comprendre de très longues durées, ndlr).
Refuser à YouTube le statut d'hébergeur en raison des films entiers
Depuis plusieurs mois (et même au-delà) il est désormais possible de télécharger des films ou des albums entiers, ce qui agace profondément le représentant du groupe Vivendi. « Il est possible sur Youtube depuis quelques mois de télécharger en intégralité et sans coupure un film d'une heure trente davantage. C'est évidemment une incitation qui est offerte de facto aux usagers de télécharger de tels contenus au mépris des droits de propriété intellectuelle ».
Incitation ? C+ estime que lorsqu’un hébergeur fait sauter la limite qu’il imposait jusque-là sur la durée des films, il crée une incitation forte au piratage qui lui ferait perdre son statut d’hébergeur. Les films « ne sont plus saucissonnés en tranches de 10 minutes, 15 minutes, mais sont disponibles en intégralité pour toute leur durée, c'est un confort plus grand de visionnage ». Lors des échanges avec les membres de la mission Lescure, un intervenant rétorquera qu’il est tout de même un peu « délicat en droit » de « lier le statut juridique d'un acteur à la taille des fichiers qu'il accepte »...
Pour Frédéric Mion, le statut de l’hébergeur ne serait pas davantage applicable « lorsque le site web 2.0 met en place de manière proactive des outils qui permettent la contrefaçon au bénéfice des internautes par exemple un site qui permet de reprendre intégralement et en simultané un signal de télévision ». Même conclusion quand un site « assure la promotion de contenus contrefaits ou associe directement sa marque à des contenus qui sont illégalement repris ». Bref, pour Mion, il y a matière à revoir l'architecture législative avec des répercussions européennes puisque le cadre des intermédiaires a été fixé dans une directive.
Ne pas faire peser la charge de la preuve sur l'ayant-droit
Mais Canal+ a d’autres idées, jugées « plus modestes ». Qu’on en juge. La chaîne aimerait que les procédures de notification soient « simplifiées », les exigences prévues par la loi pour la confiance dans l'économie numérique étant jugées un peu trop pénibles. « Aujourd'hui, les procédures sont parfois différentes d'un site à l'autre, toujours extrêmement lourdes et complexes pour l'ayant-droit qui cherche à faire valoir ses droits. »
Ce n’est pas tout : selon Mion, « on pourrait sans doute progresser notoirement en ne faisant pas systématiquement peser sur l'ayant-doit la charge de la preuve » car la « charge de la preuve est souvent lourde à apporter » et « coûte de l'argent. ». Une idée plus « modeste » qui bouleverserait cependant tout l’écosystème internet et le statut des intermédiaires si on touchait d'un fil au régime de la preuve ! En attendant, Youtube met en place un système de notification reposant sur le dispositif ContentID que les ayants droit doivent toutefois accepter...
Conserver la riposte graduée, étendre les compétences de la Hadopi
Preuve que le sujet de la Hadopi n’est une fois de plus guère éloigné, Mion considère qu’il est désormais temps et même « urgent de réfléchir à une réorientation ou à un élargissement des missions de l'Hadopi ». Comment ? Simple. Outre la riposte graduée, qui serait conservée, il considère qu’il y aurait « matière à étendre la compétence d'un organisme qui soit serait l'Hadopi, soit une Hadopi rénovée aux nouvelles formes de piratage et notamment au streaming illégal. »
L’urgence est là, à nos portes : « ces formes de piratage vont se déployer de manière croissante à mesure que le haut-débit et le très haut-débit seront présents sur l'ensemble du territoire et que vont se développer dans la population, des outils, télévision connectée et autres, qui permettront le visionnage illégal ou le streaming illégal dans des conditions de confort accru. »
Déréférencer des moteurs les sites pirates « notoires »
Pour reprendre la voie tracée par bon nombre d’ayants droit qui se sont succédés devant Lescure, Canal+ veut aussi qu’il y ait des actions spécifiques « auprès des hébergeurs qui tirent des revenus de l'activité du streaming illégal en renforçant notamment la coopération internationale sur ce point puisque beaucoup de ces hébergeurs sont en fait situés en dehors de nos frontières ». Une idée a la saveur d’un leitmotiv : « on pourrait imaginer d'exiger des moteurs de recherche qu'ils cessent de référencer des sites qui sont des sites notoirement destinés à la diffusion de contenus illégaux ». Problème, qui définira le caractère « notoire » de ces sites ? On rappellera rapidement que la Hadopi travaille actuellement sur le sujet comme elle nous l'a reconnu.
Lors des échanges, toujours éclairants, un membre de la Mission Lescure soulignera un autre petit problème : « est-ce qu'on n'a pas un problème de définition de ce que c'est qu'un site illicite ? ». En effet, sur ces plateformes coexistent des contenus licites et d’autres illicites. Dès lors,« à partir de quand peut-on considérer que c'est tout le site qui devient illicite et qui doit être déréférencé ? » Canal plus n’aura pas de réponse précise, préférant dire qu’elle cherche simplement à « indiquer des critères à des pistes qui pourraient être utilisées. »
En tout cas une certitude : pour Betrand Meheut, président de Canal+, il est inutile de rechercher dans la chronologie des médias les causes du piratage. « Je ne pense pas que la chronologie soit de nature à susciter le piratage. Le piratage a lieu très en amont, même parfois avant la sortie salles, et ce n'est pas un sujet de chronologie des médias. »