En mars 2012, le Conseil constitutionnel avait censuré le cœur de la future carte nationale d’identité. Dans une réponse parlementaire au député Philippe Meunier, Manuel Valls explique que, finalement, le lancement de cette CNIe n'est pas souhaitable. Un rapport est attendu dans les trois mois pour fixer les arbitrages définitifs.
Pour mémoire, la loi portée par l’ex-ministre de l’Intérieur Claude Guéant reposait sur une puce biométrique implantée dans la future carte d’identité. Le dispositif avait provoqué de vives réactions en raison de la technique dite du lien fort. Le lien fort permet d’exploiter la base centralisée des CNI non seulement pour lutter contre l’usurpation d’identité, mais aussi pour exploiter les données biométriques recueillies à l’occasion d’infractions déterminées.
Ce super fichier aurait contenu les données biométriques de 45 millions de Français, ceux pourtant qualifiés « d’honnêtes gens » durant les débats parlementaires. Le PS, lors de la saisine du Conseil constitutionnel, avait été particulièrement critique : « la création d'un fichier d'identité biométrique portant sur la quasi-totalité de la population française et dont les caractéristiques rendent possible l'identification d'une personne à partir de ses empreintes digitales porte une atteinte inconstitutionnelle au droit au respect de la vie privée ». De même, considérait l’opposition d’alors, « en permettant que les données enregistrées dans ce fichier soient consultées à des fins de police administrative ou judiciaire, le législateur aurait omis d'adopter les garanties légales contre le risque d'arbitraire. »
Multiples violations des textes fondateurs
Le Conseil constitutionnel avait décapité le coeur de ce système, le jugeant disproportionné à l’aune des textes fondateurs, dont la Déclaration des droits de l’homme. Le traitement devait stocker les données biométriques de la quasi-totalité de la population de nationalité française, dont « les empreintes digitales », qui par elles-mêmes sont « susceptibles d'être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu ». Avec un fichier susceptible d’être interrogé à d’autres fins que la vérification de l'identité, la violation du principe constitutionnel du respect à la vie privée était évidente. Le Conseil déclarait également inconstitutionnelle une autre puce, cette fois optionnelle et dédiée à l’e-commerce. La loi avait renvoyé au décret le soin de définir de larges pans de ce régime. Un déni de compétence intolérable pour le juge : c’est à la loi d’en fixer les principes en l’état actuel des moyens de communication et de « l'importance prise par ces services dans la vie économique et sociale ».
Dans sa réponse, Manuel Valls résume les derniers pans encore debouts après la bataille constitutionnelle. « Le Conseil constitutionnel a censuré la création d'un traitement de données à caractère personnel (base centrale) et l'accès à cette base des agents de police et de gendarmerie. Il n'autorise pas non plus que la nouvelle carte contienne des données permettant de mettre en oeuvre la signature électronique de son titulaire comme outil de transaction commerciale ». En somme, « seule est autorisée une carte nationale d'identité électronique comportant un seul composant électronique sécurisé contenant l'état civil du titulaire avec la photographie et les empreintes digitales».
Du coup, la place Beauvau a une option : soit se lancer dans ce document, mais le coût de ce projet est estimé en année pleine à 85 millions d'euros. Soit, déposer un nouveau projet de loi en tenant compte des indications du juge constitutionnel et « permettant de relancer le projet de la CNIe ».
De fait, Valls ne tranche pas et préfère surtout consacrer l’enterrement provisoire du dispositif conçu et couvé par son prédécesseur, Claude Guéant. « À ce stade, il n'apparait pas souhaitable de décider du lancement de cette CNIe, laquelle n'offrirait pas, notamment en matière de lutte contre la fraude, toutes les garanties. ». Le sujet fait aujourd’hui l’objet d’une mission par un un inspecteur général de l'administration. Son rapport est attendu dans les trois mois. « La mission aura pour objectif d'identifier les besoins en matière de lutte contre la fraude et la protection de l'identité et de proposer des solutions permettant d'y répondre. Sur la base des conclusions de la mission, le ministre de l'intérieur prendra des décisions sur l'avenir de la CNIe. »